DANS les deux premières parties (1) de cette
étude, nous avons montré que l’accroissement du chômage,
amorcé ces dernières années, allait augmenter de
façon inéluctable tant en France que dans la Communauté
Européenne et les pays semblablement développés.
Nous l’avons montré, chiffres officiels à l’appui, pour
répondre aux « optimistes » qui parlent de crise
cyclique et attendent encore le plein emploi grâce à une
miraculeuse relance.
Ce qui nous permet d’affirmer que même une relance générale
ne viendra pas à bout du chômage dans la plupart des secteurs
de la production, c’est que c’est par l’intermédiaire d’investissements
nouveaux qu’économistes et hommes de gouvernements ont d’abord
cherché à le résorber. Nous avons montré
qu’à chaque fois, ces investissements s’accompagnent de nouvelles
suppressions d’emplois. La raison est simple, elle a été
expliquée ici- même depuis des années par Jacques
Duboin : les investissements les plus rentables sont ceux qui suppriment
de la main d’oeuvre. Et comme la rentabilité prime en économie
de marché...
C’est sans beaucoup d’effet que certains gouvernements ont conditionné
leur aide financière à la création de nouveaux
emplois (Belgique, Irlande). En Grande-Bretagne et en Italie, on s’est
plutôt tourné vers un allègement des charges salariales
pour les entreprises. Le gouvernement néerlandais va même
plus loin puisqu’il verse aux entreprises des sommes destinées
à compléter les salaires des travailleurs embauchés
au-dessous d’un certain traitement (2).
Les efforts les plus grands ont dû être orientés
vers l’embauche des jeunes : une loi oblige les entreprises belges à
embaucher comme stagiaires des jeunes au chômage ; en Allemagne
Fédérale, des programmes d’instruction professionnelle
et de formation permanente sont spécialement destinés
aux chômeurs et surtout aux jeunes. En France, le gouvernement
a pris en charge les cotisations patronales des jeunes. En Irlande,
c’est une prime à l’emploi qui est accordée pour l’embauche
des jeunes chômeurs.
Parallèlement à ces mesures tendant à augmenter
les offres d’emploi (même temporaires...) , on a cherché
à restreindre la demande, mais de façon plus timide. En
France, en Belgique, en GrandeBretagne on a donné à certains
travailleurs la possibilité de prendre une retraite anticipée...
mais il faut en contrepartie que l’emploi ainsi libéré
soit donné à un chômeur. Aux Pays-Bas, le travail
à mi- temps est encouragé. En Allemagne, on a reculé
l’âge minimum pour entrer dans la vie active. En France, on a
offert une prime de 10 000 F aux travailleurs étrangers acceptant
de rentrer dans leur pays. D’autres mesures spécifiques ont été
essayées en France, au Danemark et au Luxembourg : relèvement
des allocations familiales, possibilité d’interruption prolongée
d’activité rémunérée, limitation des heures
supplémentaires, extension de congés à salaire
réduit.
La communauté européenne contribue à ces efforts.
Le fonds de développement régional va être utilisé
pour une politique orientée en priorité vers la résorption
du chômage. Le fonds social européen, par suite d’une décision
du conseil des ministres de juillet 1975, va désormais subventionner
l’emploi des jeunes, notamment par le biais de la formation professionnelle
(2).
*
Toutes ces mesures montrent bien que face au chômage
inéluctable, prévisible, voulu par la nature même
des recherches effectuées par tant de générations
avant nous, il n’y a pas d’autre remède que l’Economie Distributive
(3) dont elles sont l’amorce évidente.
Un peu de bon sens, voyons ! De quoi manque-ton ? De rien. On a de quoi
produire pour nourrir et entretenir une population bien supérieure
à celle du pays. La terre ne demande qu’à produire plus,
les usines à tourner, les entreprises à entreprendre et
les consommateurs les moins riches à consommer plus. Cependant
qu’on détruit des denrées alimentaires pour en maintenir
les prix et que le nombre d’entreprises en faillite vient, d’après
l’INSEE, d’augmenter de plus de 17 % ces derniers mois ! Alors ? Où
est le caillou qui coince l’engrenage ? Il réside dans le fait
qu’on continue à évaluer les besoins des gens au contenu
de leur porte- monnaie, lequel ne se remplit que si son propriétaire
a trouvé un travail à faire. Or depuis que l’homme est
sur terre, il cherche les moyens de faire faire le travail nécessaire
à son entretien par d’autres que par lui ! Son ingéniosité
lui a permis d’abord d’inventer quelques outils rudimentaires puis à
domestiquer des animaux. Tant que ces moyens limités ne faisaient
que le soulager partiellement, il a dû s’organiser en une société
basée sur l’échange, le marché, donc le profit.
Mais ces temps sont révolus avec l’automatisation et les procédés
modernes. On peut produire suffisamment sans faire travailler tout le
monde et toujours. Il est donc nécessaire de dissocier travail
et revenus : répartir le travail mais en même temps distribuer
des revenus à tous de façon à ce que tout le monde
puisse vivre le mieux possible, héritant ainsi de tant d’efforts déployés dans ce but.
*
Il faudra bien, heureusement, en arriver là.
Mais auparavant, tout aura été essayé même
l’impossible pour sauvegarder les bonnes habitudes et le sacro-saint
profit. Cela devient apparemment de plus en plus difficile. N’est-ce
pas le dernier combat que fut à Bonn la conférence au
sommet ? Deux chefs d’Etat, dont celui du pays le plus industrialisé
du monde, et notre bon V.G.E., cinq chefs de gouvernement, ceux du Canada,
du Japon, de l’Allemagne Fédérale, de la Grande-Bretagne
et de l’Italie, accompagnés de leurs ministres des Affaires Etrangères,
de l’Economie et du Commerce Extérieur, ont déclaré
clairement lors de la réunion des 16 et 17 juillet : «
Notre principal souci est le chômage ». Le président
Carter a eu beau proclamer que « chacun est allé à
la limite de ce qu’il pouvait faire », il n’en reste pas moins
que leurs déclarations d’intention n’émeuvent plus personne
tant on sait d’expérience que les réunions au sommet passent
mais les problèmes demeurent.
Ces déclarations, qu’on veut faire paraître efficaces,
pèseront en effet bien peu face à la loi du profit ! On
en aura encore la preuve à l’issue des négociations commerciales
multilatérales de Genève, dès la fin de cette année...
(1) Voir n°` 757 et 758 de « La Grande Relève
».
(2) B. Seidel, DIW-Wochenbericht, 21-12-1977.
(3) Voir ci-dessous pages 15 et 16.