Merci à M. Saillard de nous avoir fait parvenir la photocopie des extraits parus dans la « Revue de l’Entreprise » de mai 1978, de la communication intitulée « Stratégie pour les années 80 », préparée pour le Congrès Mondial de la Fédération internationale des ouvriers sur métaux, par Wassily Léontief. Professeur à l’Université de New-York, économiste, écrivain et philosophe, il a reçu le prix Nobel de Sciences Economiques en 1973.
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LES « économistes distingués »
dont le monde entier est affligé, et plus particulièrement
les nôtres, devraient bien se pencher sur ses travaux, Raymond
Barre en tête ! Que ressassent-ils depuis des années ? Oui,
les machines évincent la main-d’oeuvre, mais d’ajouter aussitôt
qu’un nombre égal, voire plus important, de nouveaux emplois
sera nécessairement créé dans l’industrie des machines
et branches annexes.
Est-ce réellement le cas, demande M. Léontief ? Sa réponse
est non. « On peut dire que les machines nouvelles peuvent réduire
la demande totale de main-d’oeuvre humaine de la même façon
qui, il y a une génération, a conduit au remplacement
du cheval de trait par le camion, le tracteur et l’automobile. Prétendre
que les travailleurs évincés par les machines trouveront
inévitablement de l’emploi pour construire ces mêmes machines
n’a pas plus de sens que de s’attendre à ce que les chevaux remplacés
par des véhicules mécaniques puissent être utilisés
directement dans les différentes branches de l’automobile !!
».
Evidemment, le passage de l’animal au moteur a provoqué, par
" l’action des forces aveugles du marché " bien des
désordres, mais la « transition se serait faite sans le
moindre accroc dans un système organisé capable d’anticiper
le changement et de s’y préparer ». C’est ce que nous nous
efforçons de faire comprendre depuis bien longtemps ! En vain,
d’ailleurs, il suffit en effet de considérer l’action gouvernementale
actuelle.
FAUSSE ROUTE
« Un des moyens de faire face au chômage
technologique potentiel réside dans la création de nouveaux
emplois et dans la conservation des emplois existants par un accroissement
des investissements, c’est-à-dire par la croissance économique.
Mais cette possibilité a des limites précises. Dans sa
poursuite du plein emploi par un volume sans cesse croissant d’investissements
productifs, la société se retrouverait finalement dans
la situation du miséreux qui se prive du minimum tout en épargnant
de plus en plus et ce nonobstant son revenu annuel qui augmente régulièrement.
»
A vous M. le chef du gouvernement, vous le plus grand économiste
de France, et à votre cohorte de ministres, sous-ministres, énarques
et technocrates bornés.
A vous Mitterand, Marchais, Séguy, Maire, Bergeron, Attali, Rocard
et Cie, révolutionnaires en retard d’une révolution !
QUE FAIRE ?
C’est ici, Wassily Léontief, que vous êtes
bien près de la solution, très près, vous brûlez
mais passez encore à côté. Que dites-vous : «
Dans une société utopique où chacun combinerait
les fonctions de détenteur du capital et de la terre, la substitution
de machines à la main d’oeuvre ne poserait aucun problème
: la part du revenu dérivée du travail diminuerait graduellement
tandis que s’accroîtrait la part revenant au compte de capital.
De plus le revenu global provenant de ces différentes sources
croîtrait. »
Eh bien ! Il vous suffit de vous rendre compte que la terre et ses ressources
sont propriété de la Nation et que le capital, en l’occurence
l’équipement technique, fruit du travail des générations
précédentes et de la nôtre en particulier, est donc
aussi propriété de la Nation tout entière. La solution
coule de source ! Chaque citoyen accomplira sa fonction de travailleur
pendant un temps. C’est le Service Social ! De sa naissance à
sa mort, il sera crédité au compte de sa part de capital.
C’est le Revenu Social !
Je souhaite que ce numéro de « La Grande Relève
» vous parvienne et que vous vous penchiez sur nos solutions.
Il y a plus de 40 années que Jacques Duboin mit tous ces faits
en pleine lumière, en a tiré toutes les conséquences.
La lecture de ses ouvrages éclairerait l’économiste qui
ne pourrait qu’apprécier la justesse de ses analyses ; son style
ferait l’admiration de l’écrivain, et son humanisme ne saurait
qu’émouvoir le philosophe. J’y ajouterai « Looking backward
», titre français « Cent ans après »,
roman d’un Américain comme vous : Edward Bellamy, écrit
à une époque où radio et télévision
étaient deux invraisemblables utopies !
Bien sincèrement à vous.
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N.-B.- M. Ulrich Briefs, économiste ouest-allemand,
a déclaré au congrès I.F.I.P. de Toronto :
40 % des cols blancs au chômage et 20 % des ouvriers sans emploi
le sont du fait de l’informatique, ce qui explique 15 % des suppressions
d’emploi depuis 1970 ». Le président de la session, Olaf
Engberg, en conclut que « les règles économiques
ne fonctionnent plus ; il faut développer de nouvelles attitudes
en face de l’emploi ». Le « Computerworld » revue
consacrée à l’informatique ajoute : « Il est nécessaire
de mettre la question publiquement à l’ordre du jour, même
si cela doit être douloureux ».
A vous Monsieur le Président Giscard d’Estaing, et, révérence
parler, de grâce, qu’il ne soit plus question d’actionnariat ouvrier,
lequel rappelle le vieux slogan de 1936 : « les usines aux ouvriers
», que les travailleurs parisiens faisaient suivre avec humour
de : « la mine aux mineurs »... la banque aux banquiers
et la ceinture aux chômeurs !! Ils avaient déjà senti
que là n’était pas la solution.
Priez donc votre Premier ministre « d’envisager un système
capable d’anticiper le changement et de s’y préparer ».
Et si dans cette tâche il se montre moins brillant que dans celle
d’épigone d’Adam Smith, nous sommes quelques-uns à pouvoir
lui donner des idées.