Apportant son témoignage à notre «
tribune libre » du numéro précédent, un de
nos correspondants, M. R. Roche, nous a transmis son ouvrage «
Mammon », dont le développement s’apparente pour une grande
part à nos thèses. Avec son autorisation, nous en extrayons
le passage ci-dessous traitant de l’égalité économique.
« ... Un ingénieur acceptera-t-il de matièregriser
au salaire du manoeuvre ? Acceptera-t-on de travailler sans espérer
mettre un petit pécule de côté pour monter au-dessus
de la masse, sortir de la gangue, profiter de sa valeur personnelle
? Quel espoir aurait- on ?
Je pourrais déjà répondre ceci : quel espoir a-t-on
actuellement ? Oui, peut-être quelques-uns, un sur mille ont un
espoir de grimper sur les voisins, mais la masse, quel espoir a-t-elle
dans le contexte de maintenant ? Quels sont les salaires ? Et pourtant,
ils travaillent !
L’on dit encore : qui voudra se donner du souci, que deviendront la
production et le rendement dans de telles conditions ? On a l’exemple
russe. Qui acceptera d’effectuer les travaux durs et salissants ? Qui
fera des études difficiles et compliquées pour finir payé
comme un ouvrier (fond de mépris) et qui voudra, surtout, prendre
des responsabilités ? C’est là le grand argument !
Qui entreprendra ? Où seront les hommes dynamiques, honneur de
notre magnifique société ? Où seront les savants
qui s’intéresseront au perfectionnement de nos armes stratégiques
et dissuasives ? Où irait-on !!!
Je ferai tranquillement réponse à ces objections passéistes
nourrissant en moi-même la plus totale conviction qu’elles ne
tiennent pas. Il est en effet faux d’alléguer que, seul, un intérêt
pécuniaire sordide pousse les hommes à agir. C’est les
méconnaître. Les preuves contraires foisonnent déjà
en notre monde actuel si âpre au gain, si avide, où l’on
voit cependant des personnes s’occuper gracieusement d’oeuvres ou d’organisations
charitables, de comités d’entraide ou de fêtes, de groupes
d’idées, etc.... et qui prennent sur leur peu de temps restant
après le travail imposé pour vivre. J’en connais autour
de moi, et de tous les âges.
Y avez-vous songé ? Si les hommes avaient, réellement,
le choix de leur travail, si ce travail n’était pas entaché
du fait d’en enrichir d’autres à ses dépens alors que
l’on reste pauvre soi-même, ils se présenteraient d’eux-mêmes
aux postes. des plus manuels aux plus élaborés.
Et je dis : un homme qui s’en sait capable ne pourra jamais s’empêcher
de prendre des responsabilités même à l’-Sil.
Sinon, il ne serait pas heureux.
Un savant ne pourra jamais s’empêcher (le se lancer dans la recherche,
même à l’-Sil. Sinon, il serait malheureux. PASTEUR,
Pierre et Marie CURIE étaient-ils riches ? L’argent était-il
leur objectif ?
J’affirme, et j’ose le dire hautement, le tenant pour indubitable :
nul ne refuserait d’assumer le rôle pour lequel il se sent habilité
au service de la vie sociale dans un contexte de justice et de paix.
Il reste évident que ce comportement n’est pas pensable dans
notre monde actuel sous l’emprise de l’argent où règne
l’injustice, la peur, où rien ne se dessine vers un quelconque
idéal.
Après tout, se sortir du commun, pour une tête bien faite,
ce serait sûrement de se voir confier une mission en vue, rare
ou savante, au dessus, d’en sentir l’estime, d’en être reconnu,
quand, par ailleurs, la société donne tout ce qu’il est
possible de donner et qu’on le sait...
La plupart du temps, l’ambition s’arrête à ce que l’on
peut faire. Il en est se trouvant bien d’oeuvrer tranquillement sans
se mettre en évidence ; alors que d’autres, au contraire, tiennent
à assumer une fonction en vue, avec des responsabilités.
Cela est plus fort qu’eux, ils ont soif de se mettre en avant, d’être
reconnus et de faire admirer leur savoir-faire, à prix égal
d’ailleurs.
Nous avons évoqué le « ressort » nécessaire
pour pousser les hommes à agir, eh bien ! l’estime en est un.
Même dans le contexte actuel, montrez à un pauvre bougre
de terrassier que personne ne fait mine de le voir, qu’il a bien compris
son boulot, qu’il l’a exécuté comme il faut et que vous
êtes content de lui et, soyez-en certain, il deviendra votre homme,
il fera tout pour continuer à vous satisfaire.
Chaque homme est naturellement créé pour agir, bouger,
faire la chose pour laquelle il se sent une propension particulière.
Il suffit de l’aiguiller vers la voie qui lui convient le mieux. Il
faudrait lui supprimer les livres, le mettre en prison, pour qu’un être
disposé à l’étude n’étudie pas ; pour qu’un
être scientifique ne se plonge pas dans la physique, la chimie,
la biologie, l’astronomie, la médecine, la psychologie... ; pour
que les femmes (certaines, tout au moins) ne s’orientent pas vers des
activités de coeur, d’humanité : l’hôpital, les
soins, les actions sociales. salvatrices.
Dans la société sans finance ils seront tous là,
apportant leurs mains, leur tête, leur coeur : savants, romanciers,
musiciens, artistes, mathématiciens, menuisiers, architectes,
métallos, maçons, bureaucrates, dactylos, cultivateurs,
journalistes, couturières, etc., etc...
Une société riche, luxueuse, opulente et nageant dans
l’abondance, qui ne permet pas à ses ressortissants de se réaliser,
d’extérioriser leurs vocations, ou ce à quoi ils aspirent,
ce qu’ils préféreraient tout simplement, ou ce qu’ils
sont capables d’assumer si telle est leur complexion, qui, en outre,
promet le chômage, est odieuse, brimante, brisante, génératrice
d’un climat d’insatisfaction où l’on ne peut se trouver heureux.
C’est bien ce que nous voyons dans le système capitaliste de
la libre entreprise que vous tenez tant à défendre parce
que.. peut-être, vous êtes du bon côté ou pensez
l’être... »
Au delà de l’appât du gain
par
Publication : août 1978
Mise en ligne : 24 avril 2008