L’UNE des plaies du métier d’agriculteur est
la dépendance en face des marchands d’engrais et de pesticides...
Il faudrait que les services agricoles les renseignent objectivement,
fassent contrepoids. Or, pendant longtemps, ils ont enseigné
eux-mêmes les classiques méthodes N.P.K. Heureusement,
certains d’entre eux ont réagi avec vigueur et divulguent aujourd’hui
les méthodes biologiques.
L’I.N.R.A. (Institut National de la Recherche Agronomique) se met aussi
à les expérimenter.
Il ne faudrait pas non plus que certains réseaux fournisseurs
d’amendements naturels tombent dans le même travers, imposent
leurs produits à un prix abusif et leur méthode.
Aux consommateurs d’exiger des produits sains ! Aux électeurs
de réclamer une aide particulière en faveur des agriculteurs
désireux de se reconvertir et l’enseignement officiel des méthodes
biologiques. C’est vrai que la reconversion peut coûter cher,
le rendement baisser les premières années. La solitude
morale n’est certainement pas non plus un vain mot.
Ici, des associations comme « Nature et Progrès »
peuvent jouer un rôle. Mais « Nature et Progrès »
(1) n’est pas encore implantée partout. D’autres, comme «
l’Union Fédérale de la Consommation » (Que choisir
?) devraient l’épauler fortement. Partout, des groupements peuvent
se constituer pour l’achat direct aux producteurs.
La spéculation sur le « mode biologique » est une
réalité qui peut encourager les intermédiaires
; mais pas les producteurs, dont le revenu n’augmente pas, alors que
les nouvelles méthodes exigent davantage de travail (en maraîchage
du moins) . Les groupements d’achat sont un moyen d’éviter cela.
Que les agriculteurs ne s’imaginent pas, cependant, que l’augmentation
des prix, suffira à résoudre leurs problèmes. Comme
nous l’avons déjà souligné, il n’y aura pas de
solution possible tant qu’il restera dans notre pays des millions de
pauvres.
Le contrôle de la qualité est un autre moyen de promouvoir
la vraie culture biologique. Si les tricheurs ne nous intéressent,
pas (2), ils n’en portent pas moins un grave préjudice au mouvement.
Là encore, les groupements de consommateurs ont un rôle
à jouer : imposer les analyses aux pouvoirs publics ou les faire
effectuer eux-mêmes, ce qui revient trop cher à un isolé.
Reste le cas des agriculteurs en reconversion : on ne devra pas en exiger
des produits irréprochables. En contrepartie, on ne pourra leur
donner tout de suite le label.
Sur les divers points que nous venons d’exposer : problèmes de
reconversion, fraudes, nécessité de contrôle, nous
ne pouvons qu’être d’accord avec Anne Gaillard. Nous ferons remarquer
cependant que la diffusion des études biologiques se fait, dans
le monde agricole, autant que possible.
A elle de l’amplifier pour vaincre la conspiration du silence. S’il
est vrai que certains ouvrages sont difficiles à lire, d’autres
sont très clairs. Effectivement. Toutefois, nous gagnerons toujours
à un effort dans ce sens.
Que faut-il retenir de tout cela ? Des preuves supplémentaires
de la nocivité du profit. Même lorsqu’ils travaillent en
faveur de l’agriculture biologique (nouveau marché en perspective),
les mécanismes économiques ne le font jamais sans contrepartie
: exploitation des producteurs et des consommateurs.
L’article de Jean MATEU confirme cela et soulève en même
temps d’autres questions.
Trop de cultivateurs pensent que la petite exploitation familiale, telle
qu’elle existe actuellement, est une condition de liberté.
A vrai dire, ce n’est pas complètement inexact, si l’on se réfère
à certaines conditions du travail en usine ou même au bureau.
Mais cette liberté n’est-elle pas payée trop cher, en
travail excessif par exemple ? Peu importe. On ne changera pas les structures
agricoles si les agriculteurs ont l’impression qu’on leur propose un
nouveau marché de dupes.
Un grand pas serait déjà fait s’ils pouvaient se borner
à produire, la collectivité assurant l’écoulement.
La récolte ne devrait jamais leur rester sur les bras. dans la
mesure où ils ont fait le travail demandé pour obtenir
la qualité aussi bien que la quantité.
Si la production est surabondante, ils ne doivent cas être pénalisés.
Au contraire, leur revenu doit augmenter, sous réserve d’accepter
les modifications que l’intérêt collectif peut estimer
nécessaires pour l’année suivante. Mais dans ce cas on
devra tenir le plus Grand compte de l’avis des cultivateurs et ne pas
imposer des plantes ne convenant pas au sol et au climat. En général,
les vieux les connaissent bien.
Les consommateurs auront leur mot à dire, surtout au sujet de
la qualité. Mais une fois assurée la garantie du revenu,
il sera plus facile de trouver des formules convenant à la fois
aux agriculteurs et à l’ensemble de la collectivité. Pourquoi
nos concitoyens n’auraient-ils à choisir qu’entre la condition
de fonctionnaire à l’ancienne mode soumis et résignés,
et les « joies de la libre entreprise », joies perfides
s’il en fut ?
Ne peut-on envisager des conditions de travail entièrement nouvelles
associant les avantages des deux systèmes et évitant leurs
inconvénients ? des tâches dans lesquelles les travailleurs
se sentiraient pleinement responsables, sans que cette responsabilité
devienne écrasante ? C’est à cela que devrait conduire
notre « Service Social ». Comme la garantie du revenu agricole
devrait conduire au Revenu Social, ainsi que l’indique Jean MATEU.
Actuellement, cette garantie existe déjà. Mais elle assure
aux gros exploitants une énorme rente de productivité
pendant que les autres surnagent.
Peut-être y aurait-il un moyen d’améliorer la situation
agraire dans notre pays en confiant la répartition des terres
à des groupements d’agriculteurs. Cela éviterait les cumuls
de certains, qui en ont déjà trop et la misère
des autres. Cette mesure concerne particulièrement les terres
vacantes. Cela peut être aussi obtenu par une loi.
Tout cela doit viser à l’amélioration de la condition
paysanne, qui en a bien besoin. Le surmenage demeure fréquent
: si l’on a des machines, on reste seul pour travailler une surface
plus grande, avec des journées aussi longues ou presque. Il faut
encourager les G.A.E.C. (groupements agricoles d’exploitation en commun)
qui permettent à l’agriculteur d’avoir des loisirs. L’éleveur
isolé ne les connaît pas.
Ces groupements nous semblent concilier les avantages de la liberté
et ceux de l’exploitation collective. Nous aimerions avoir sur ce point
l’opinion d’un membre de G.A.E.C. Et pourquoi ne pas les améliorer
? P. GUILLOT pourrait nous dire ce qu’il en pense. Il ne s’agit pas
là d’un problème intéressant seulement l’agriculture
biologique, mais l’amélioration du sort des travailleurs nous
concerne tous. Nos lecteurs du monde agricole feront bien de nous signaler
comment ils la conçoivent.
Souvenons-nous que l’être humain ne peut vivre qu’en société.
Cela lui permet certaines libertés mais lui impose en retour
des contraintes.
Toute la question est de savoir quelles contraintes on veut accepter
et quelles libertés obtenir. Et il n’y aura pas de véritable
liberté sans répartition égale des contraintes.
Des contraintes qui ne pèseront plus guère lorsqu’elles
seront la source du bien-être général.
Merci encore à Jean MATEU de sa réponse. Nous reviendrons
la prochaine fois à des problèmes plus spécifiques
du jardinage biologique.
(1) Et les écologistes ?
(2) Sur le plan de l’étude des méthodes.