Agriculture biologique et économie

Les questions agricoles :
par  J. MESTRALLET
Publication : août 1978
Mise en ligne : 24 avril 2008

L’UNE des plaies du métier d’agriculteur est la dépendance en face des marchands d’engrais et de pesticides...
Il faudrait que les services agricoles les renseignent objectivement, fassent contrepoids. Or, pendant longtemps, ils ont enseigné eux-mêmes les classiques méthodes N.P.K. Heureusement, certains d’entre eux ont réagi avec vigueur et divulguent aujourd’hui les méthodes biologiques.
L’I.N.R.A. (Institut National de la Recherche Agronomique) se met aussi à les expérimenter.
Il ne faudrait pas non plus que certains réseaux fournisseurs d’amendements naturels tombent dans le même travers, imposent leurs produits à un prix abusif et leur méthode.
Aux consommateurs d’exiger des produits sains ! Aux électeurs de réclamer une aide particulière en faveur des agriculteurs désireux de se reconvertir et l’enseignement officiel des méthodes biologiques. C’est vrai que la reconversion peut coûter cher, le rendement baisser les premières années. La solitude morale n’est certainement pas non plus un vain mot.
Ici, des associations comme « Nature et Progrès » peuvent jouer un rôle. Mais « Nature et Progrès » (1) n’est pas encore implantée partout. D’autres, comme «  l’Union Fédérale de la Consommation » (Que choisir  ?) devraient l’épauler fortement. Partout, des groupements peuvent se constituer pour l’achat direct aux producteurs.
La spéculation sur le « mode biologique » est une réalité qui peut encourager les intermédiaires  ; mais pas les producteurs, dont le revenu n’augmente pas, alors que les nouvelles méthodes exigent davantage de travail (en maraîchage du moins) . Les groupements d’achat sont un moyen d’éviter cela.
Que les agriculteurs ne s’imaginent pas, cependant, que l’augmentation des prix, suffira à résoudre leurs problèmes. Comme nous l’avons déjà souligné, il n’y aura pas de solution possible tant qu’il restera dans notre pays des millions de pauvres.
Le contrôle de la qualité est un autre moyen de promouvoir la vraie culture biologique. Si les tricheurs ne nous intéressent, pas (2), ils n’en portent pas moins un grave préjudice au mouvement. Là encore, les groupements de consommateurs ont un rôle à jouer : imposer les analyses aux pouvoirs publics ou les faire effectuer eux-mêmes, ce qui revient trop cher à un isolé. Reste le cas des agriculteurs en reconversion : on ne devra pas en exiger des produits irréprochables. En contrepartie, on ne pourra leur donner tout de suite le label.
Sur les divers points que nous venons d’exposer : problèmes de reconversion, fraudes, nécessité de contrôle, nous ne pouvons qu’être d’accord avec Anne Gaillard. Nous ferons remarquer cependant que la diffusion des études biologiques se fait, dans le monde agricole, autant que possible.
A elle de l’amplifier pour vaincre la conspiration du silence. S’il est vrai que certains ouvrages sont difficiles à lire, d’autres sont très clairs. Effectivement. Toutefois, nous gagnerons toujours à un effort dans ce sens.
Que faut-il retenir de tout cela ? Des preuves supplémentaires de la nocivité du profit. Même lorsqu’ils travaillent en faveur de l’agriculture biologique (nouveau marché en perspective), les mécanismes économiques ne le font jamais sans contrepartie  : exploitation des producteurs et des consommateurs.
L’article de Jean MATEU confirme cela et soulève en même temps d’autres questions.
Trop de cultivateurs pensent que la petite exploitation familiale, telle qu’elle existe actuellement, est une condition de liberté.
A vrai dire, ce n’est pas complètement inexact, si l’on se réfère à certaines conditions du travail en usine ou même au bureau.
Mais cette liberté n’est-elle pas payée trop cher, en travail excessif par exemple ? Peu importe. On ne changera pas les structures agricoles si les agriculteurs ont l’impression qu’on leur propose un nouveau marché de dupes.
Un grand pas serait déjà fait s’ils pouvaient se borner à produire, la collectivité assurant l’écoulement. La récolte ne devrait jamais leur rester sur les bras. dans la mesure où ils ont fait le travail demandé pour obtenir la qualité aussi bien que la quantité.
Si la production est surabondante, ils ne doivent cas être pénalisés. Au contraire, leur revenu doit augmenter, sous réserve d’accepter les modifications que l’intérêt collectif peut estimer nécessaires pour l’année suivante. Mais dans ce cas on devra tenir le plus Grand compte de l’avis des cultivateurs et ne pas imposer des plantes ne convenant pas au sol et au climat. En général, les vieux les connaissent bien.
Les consommateurs auront leur mot à dire, surtout au sujet de la qualité. Mais une fois assurée la garantie du revenu, il sera plus facile de trouver des formules convenant à la fois aux agriculteurs et à l’ensemble de la collectivité. Pourquoi nos concitoyens n’auraient-ils à choisir qu’entre la condition de fonctionnaire à l’ancienne mode soumis et résignés, et les « joies de la libre entreprise », joies perfides s’il en fut ?
Ne peut-on envisager des conditions de travail entièrement nouvelles associant les avantages des deux systèmes et évitant leurs inconvénients ? des tâches dans lesquelles les travailleurs se sentiraient pleinement responsables, sans que cette responsabilité devienne écrasante ? C’est à cela que devrait conduire notre « Service Social ». Comme la garantie du revenu agricole devrait conduire au Revenu Social, ainsi que l’indique Jean MATEU.
Actuellement, cette garantie existe déjà. Mais elle assure aux gros exploitants une énorme rente de productivité pendant que les autres surnagent.
Peut-être y aurait-il un moyen d’améliorer la situation agraire dans notre pays en confiant la répartition des terres à des groupements d’agriculteurs. Cela éviterait les cumuls de certains, qui en ont déjà trop et la misère des autres. Cette mesure concerne particulièrement les terres vacantes. Cela peut être aussi obtenu par une loi.
Tout cela doit viser à l’amélioration de la condition paysanne, qui en a bien besoin. Le surmenage demeure fréquent  : si l’on a des machines, on reste seul pour travailler une surface plus grande, avec des journées aussi longues ou presque. Il faut encourager les G.A.E.C. (groupements agricoles d’exploitation en commun) qui permettent à l’agriculteur d’avoir des loisirs. L’éleveur isolé ne les connaît pas.
Ces groupements nous semblent concilier les avantages de la liberté et ceux de l’exploitation collective. Nous aimerions avoir sur ce point l’opinion d’un membre de G.A.E.C. Et pourquoi ne pas les améliorer  ? P. GUILLOT pourrait nous dire ce qu’il en pense. Il ne s’agit pas là d’un problème intéressant seulement l’agriculture biologique, mais l’amélioration du sort des travailleurs nous concerne tous. Nos lecteurs du monde agricole feront bien de nous signaler comment ils la conçoivent.
Souvenons-nous que l’être humain ne peut vivre qu’en société. Cela lui permet certaines libertés mais lui impose en retour des contraintes.
Toute la question est de savoir quelles contraintes on veut accepter et quelles libertés obtenir. Et il n’y aura pas de véritable liberté sans répartition égale des contraintes.
Des contraintes qui ne pèseront plus guère lorsqu’elles seront la source du bien-être général.
Merci encore à Jean MATEU de sa réponse. Nous reviendrons la prochaine fois à des problèmes plus spécifiques du jardinage biologique.

(1) Et les écologistes ?
(2) Sur le plan de l’étude des méthodes.