Au fil des jours


Publication : mai 1968
Mise en ligne : 22 octobre 2006

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Dans sa déclaration télévisée, M. Peyrefitte, ministre de l’Education Nationale, a fait allusion aux « enragés » de Nanterre. Ne, voit-il pas que la rage s’est communiquée à des milliers d’étudiants à Paris ? Il faut se hâter de « dégager » des crédits pour l’agrandissement de l’Institut Pasteur, afin de combattre cette épidémie, s’il en est encore temps...

Mais ce n’est plus possible, car la « rage » sévit encore chez les étudiants allemands, italiens, et même chez les étudiants espagnols. Elle avait déjà atteint les étudiants des Etats-Unis, de l’Angleterre, du Brésil, de la Pologne et même du Japon ! Enfin, chose infiniment plus grave, certains professeurs de l’Université sont devenus « enragés » à leur tour, y compris le professeur Kastler qui recevait récemment le prix Nobel. Juste Ciel où allons-nous ?

 

La « rage » fait encore des ravages chez les agriculteurs de la Bretagne et même parmi les travailleurs de son industrie. On la traite, comme partout, par la matraque, mais le remède apparaît un peu primitif. Pourquoi ne pas essayer des incantations ?

 

Après avoir épuisé toutes les hypothèses sur l’origine de cette « rage », la grande presse a fini par mettre en cause l’Université : elle ne serait plus à la page. Le général de Gaulle estime, lui- même, qu’elle a besoin d’une réforme profonde. C’est de plus l’opinion du Grand Maître de l’Université, M. Alain Peyrefitte. Alors si « tout le monde » est d’accord, est-il permis de se demander si « tout le monde » s’en serait aperçu si les étudiants n’avaient pas été atteints de la « rage » ? En définitive cette « rage » pourrait bien finir par avoir des effets bienfaisants.

 

On met donc maintenant en cause la structure de notre Université. L’enseignement qu’elle donne serait désuet. Chose plus grave, l’Université devrait orienter les étudiants, or c’est précisément cette orientation qui a fait faillite...

A cet égard, le doyen de la Faculté des Sciences de Paris, M. Zamansky, a donné quelques précisions : l’Université produit, chaque année, 3.000 sociologues, 2.400 psychologues, enfin 750 archéologues. C’est tout simplement ridicule. Quel dommage qu’il n’ait pas pu le répéter à la télévision quand il lui fut permis de s’y faire entendre.

 

Mais à la radio, à l’occasion d’une conférence de presse, M. Zamansky avait dit bien d’autres choses : la moitié des étudiants de la Faculté des Sciences ne trouve pas de débouchés ; un quart parvient à se faire une situation grâce à des appuis divers. Quant aux étudiants de la Faculté des Lettres, leur situation est pire encore : qui réclame un archéologue, un psychologue ?

En conséquence on aura raison de modifier cet état de choses, mais ce ne résoudra pas le problème. Dans quelle direction orienter les étudiants pour qu’ils trouvent des débouchés ? On en revient toujours au même point : comment réaliser le plein emploi, à un moment où de gigantesques progrès techniques suppriment toujours plus d’emplois ? Ce n’est donc pas seulement la structure de notre Université qu’il faut changer, c’est encore celle de notre système économique et social. Et c’est ce que l’immense majorité de nos contemporains refuse de voir. La preuve ? C’est que ce répète la Grande Relève n’est jamais repris par la grande presse qu’elle soit de droite, du centre ou de gauche. On ne sort jamais des chemins battus, on se refuse à l’évidence.

 

On prévoit quelques difficultés en Bretagne, où agriculteurs et travailleurs de l’industrie ont l’intention de manifester. Mais la preuve que cette agitation ne trouble pas la France, c’est que son Premier Ministre, M. Georges Pompidou, est en voyage en Asie. Il serait bien vite revenu si la situation menaçait de s’aggraver...

 

Croyez-vous encore aux sondages d’opinion ? L’élection de Bastia devrait vous édifier sur leur valeur : tous les pronostics étaient en faveur du candidat officiel de la Ve République ; c’est au contraire le candidat de l’opposition qui a été élu.

 

Et le marché commun ? Nous avons toujours prétendu qu’il était la plus belle utopie du siècle. En effet, les six nations qui en font partie comptent y écouler les « excédents » de leur production, mais entendent bien ne rien acheter à leurs partenaires. Le délégué de la France, Edgar Faure, exige, par exemple, que l’Allemagne achète nos produits laitiers et notamment nos stocks de beurre qui sont prodigieux. Les notres sont encore plus importants que les votres répondent les Allemands.

La France menace de se retirer... En revanche l’Angleterre, , la Suède, le Danemark souhaitent entrer dans le marché commun. Qui parie qu’il ne s’ouvrira pas le 11, juillet ? On parle déjà d’en retarder la date...

 

Aux Etats-Unis, pays de la grande prospérité, le nombre des banqueroutes a augmenté de 200% au cours des trois dernières années. Le Sénateur Burdick (Dakota du Nord) se plaint de cette épidémie (sic) et réclame un renforcement de la loi.

 

Heureusement le nombre des emplois a augmenté d’un million aux Etats-Unis grâce à la guerre du Vietnam qui débuta en 1965. C’est un succès dont les économistes américains se félicitent.

Après la fameuse loi sur la prohibition des boissons alcooliques, il fut créé un Institut National de la santé mentale, dont le rapport annuel (198 pages) vient d’être publié à Washington. Il en ressort les intéressantes statistiques que voici :

70 millions d’Américains boivent raisonnablement.

6 millions sont de fieffés ivrognes.

1 sur 4 des personnes hospitalisées est alcoolique.

1 sur 3 des personnes arrêtées est un poivrot.

En revanche, alcooliser ses contemporains est une occupation éminemment « rentable ».

 

On se souvient d’une certaine miss Kint qui, invitée chez Madame Johnson à la Maison-Blanche, y fit un scandale retentissant. Comme la conversation était engagée sur l’augmentation inquiétante de la délinquance juvénile, miss Kint, à l’indignation générale, déclara qu’elle lui paraissait toute naturelle. Invitée à en donner la raison, elle répondit « nos garçons préfèrent de beaucoup aller en prison que se faire tuer au Vietnam. » (sic). Miss Kint est une journaliste de talent actuellement en voyage en Europe et prochainement à Paris.