ON LIT EN CE MOMENT SUR DES AFFICHES :
« Chômeur, tu veux travailler, tu as raison... »
Sous entendu : - Nous t’en donnerons du travail, du
beau, du bon, du vrai, jusqu’à plus soif, jusqu’à ta dernière
goutte de sueur et à pas cher. Viens par ici ! C’est beau le
travail, c’est bon « l’ouvrage bien faite » ! Vois-tu travailleur,
travailleuse, tu es fait pour travailler, c’est ton état, c’est
inscrit dans ton hérédité ; d’autres portent dans
leurs gènes le farniente, le repos perpétuel ; d’autres
sont nés pour parler, répandre la bonne parole, te convaincre
de la beauté du travail à perpétuité.
Va, suis-les ces guides éclairés. Après ton usure
par le travail servile, la tombe...
Réfléchis si ta lassitude et ton conditionnement t’en
laissent le goût.
Pourquoi travaillais-tu chômeur ? Pourquoi sursautais-tu, encore
plein de fatigue, au brutal tintement de ton réveil et partais-tu
chaque jour avant l’aube vers la porte de l’usine ? Par amour du travail
ou pour pouvoir vivre et faire vivre les tiens ?
Pourquoi, travailleuse, courais-tu dans la nuit froide du matin, poussant
la voiture où ballotait ton bébé jusqu’à
la crèche, qui ne te le rendrait qu’à la nuit, quand tu
rentrerais épuisée ? Par amour du travail ou pour manger
et nourrir ton enfant ?
« Les hommes ne sont pas mis au monde pour travailler, mais ils travaillent pour vivre ».
(Jacques DUBOIN)
Cette dure nécessité harcela nos ancêtres
qui n’avaient que leurs bras pour se nourrir, se protéger, s’abriter
au cours des âges le travail fut dur, inhumain, effroyable. Des
générations et des générations périrent
à la tâche pour subsister. Puis au siècle dernier,
avec l’apparition du machinisme, la contrainte pour convaincre de la
vertu du travail changea de forme. A la nécessité vitale
de gagner son pain, s’ajouta celle de rendre un culte au dieu TRAVAIL
: travailler c’est être un homme, quel que soit le travail, utile
ou non, nuisible ou non, et même si- l’on devient ainsi l’esclave
du capital.
Au début de cette « Belle Epoque », la durée
moyenne d’existence d’un travailleur adulte ne dépassait pas
25 années ; de tout jeunes enfants (G ans, 7 ans) travaillaient
dans les filatures de 5 h du matin à 7h du soir, s’y étiolaient,
y grandissaient difformes, mouraient avant d’être adultes. C’étaient
de mauvais camarades : ils n’avaient pas même « voulu »
du travail durant 20 ans !
Si un Charles PEGUY put s’extasier avec lyrisme sur les beautés
de l’ouvrage « bien faite », considération à
la fois affective. et esthétique de réalisations artisanales
un homme éminemment social, le marxiste Paul LAFARGUE, propre
gendre de Karl MARX, écrivit, lui « LE DROIT A LA PARESSE
», qu’on pourrait intituler de nos jours « Le Droit aux
Loisirs ». En ce début de notre siècle, se dessinait
déjà la relève du labeur humain par la machine.
Confondre le travail forcé avec l’attrait de l’effort constructif
ou le goût de l’activité : confondre le travail obligatoire
sous l’emprise du besoin avec l’attrait mis à l’exécution
d’une tâche formatrice, avec la satisfaction d’une participation
active désintéressée, avec l’exaltation dans l’exécution
d’une réalisation collective librement consentie, ressort de
la mystification et prête au travailleur l’horizon de l’animal
domestique, le réflexe du boeuf qui, de lui-même. vient
docilement prendre place sous le loup. Mais, que penser, quand cette
confusion sur l’astreinte au travail est voulue par des Commissions
d’Etudes « Economiques » ?
- Ignorance totale ou duplicité ?
« Tu as raison chômeur de vouloir du travail »...
La « raison » se résumerait-elle dans cette approbation
insidieuse, qui laisse croire ai, chômeur à l’existence
et à l’avenir d’un travail désormais disparu ? Ou bien
consiste-t-elle à prendre conscience de cette réalité
objective :
« Les loisirs font leur apparition par la porte basse du chômage ».
(Jacques DUBOIN)
Nous vivons la relève du travail humain par
les machines, machines créées, perfectionnées sans
cesse par les vénérations précédentes et
par nous- mêmes, dans le but constant d’épargner l’intervention
humaine. Avec les techniques automatisées noirs faisons le saut
: - None atteignons les productions de masse sans travail humain. donc
sans les salaires permettant de les acquérir sans gagne-pain
pour les chômeurs.
Doit-on mourir face à ce potentiel de production ? Notre inutile
suicide entraînerait la Société tout entière
dans son sillage :
« Qui ne peut acheter, ruine qui ne peut vendre ».
(J. DUBOIN).
Nous, nous voulons vivre du travail des machines et
des dispositifs que l’intelligence humaine et nos efforts collectifs
ont créés. ils sont nôtres. Aujourd’hui par leur
productivité, ils nous offrent le repos, les loisirs et la culture.
Nous réclamons notre part de ces biens. Demain, l’équipement
productif fabriquera toujours elus. en demandant toujours moins notre
concours. Nous aurons toujours moins à intervenir, nous aurons
toujours moins de travail. Ce n’est donc pas le travail en disparition
qui pourra désormais assurer notre existence. Ce n’est plus le
travail que nous réclamons, c’est de vivre des biens que nous
avons contribué à créer. Nous revendiquons une
prestation, un revenu qui nous permette d’accéder aux biens que
produisent nos esclaves mécaniques.
Ils étaient, nous dit Albert DUCROCQ* :
- « Plusieurs centaines de millions en 1800 sur une terre où
vivait un milliard d’hommes. Les voici devenus 25 milliards en 1900,
200 milliards en 1975. On attend dans les trois décades prochaines
1 000 milliards d’esclaves mécaniques aux côtés
de 6 milliards d’hommes que la terre pourrait alors compter ».
Nous ne refusons pas notre participation à ce qui subsiste de
travail humain nécessaire à la production. mais nous exigeons
pour tous le SALAIRE GARANTI PAR L’ETAT, c’est-à-dire par la
collectivité, ce salaire devenant ainsi un REVENU SOCIAL, plus
rationnel et mieux adapté à notre époque.
(*) « Les éléments au pouvoir » (Julliard 1976).