Quels enjeux, quelle finalité ?

HORS DE L’HEXAGONE…
Publication : février 2005
Mise en ligne : 4 novembre 2006

L’ONU a donné rendez-vous dans l’Ile Maurice, du 10 au 14 janvier, à quelque deux mille représentants de ses pays membres, dont 25 chefs d’État. Il s’agit de faire le point sur l’évolution, depuis la Conférence de la Barbade, en 1994, sur le développement durable des Petits États Insulaires en Développement (PEIDS).

Yves Pitchen nous a adressé les commentaires qu’en fait son groupe, le NOUVO LIZOUR : l’imaginaire des décideurs reste polarisée sur l’idée de développement, sans voir les dangers de cette course en avant qu’impose la logique capitaliste.

Pourquoi si peu de publicité ou d’information au niveau mondial, sur cet événement ? Est-ce pour ne pas apporter de l’eau aux moulins de ceux qui dénoncent les multiples et successives grand-messes onusiennes qui se sont révélées vaines, remplies surtout des promesses illusoires des décideurs du monde ? Comment expliquer le fait que, depuis que ces conférences sont organisées, la vie de tous et partout sur la planète ne se soit pas améliorée et qu’on constate au contraire une aggravation indéniable dans toutes les sphères de vie ?

Les chercheurs scientifiques n’ont-ils pas établi que la grave dégradation à laquelle la Terre est confrontée, a d’une part des causes lointaines, la conquête physique par l’esclavage et la colonisation, et aussi des causes tout actuelles, le sacro-saint “développement” qui, depuis le XVIème siècle, « met sous tutelle le monde du vivant » ? Les initiateurs du Club de Rome n’avaient-ils pas, dès les années 60, tiré la sonnette d’alarme pour que les autorités concernées en tirent les conséquences, illico presto ? Ne disaient-ils pas déjà que : « l’exploitation extensive du monde a atteint ses limites physiques et géographiques, les marchés sont saturés, l’accaparement des richesses est fait au profit du modèle concentrationnaire, l’épuisement des ressources naturelles et les conséquences écologiques graves sont devant nos yeux » ? Qu’est-il advenu de ces mises en garde solennelles ? Comme si de rien n’était, on a continué à parler de ce “développement”, synonyme de gaspillage et d’injustice ! Nos habitudes de suivisme et de dépendance sont-elles tellement tenaces qu’il nous est impossible de remettre en cause une vision linéaire qui en est le moteur depuis 500 ans de conquête ?

Souffrons-nous à ce point de cécité pour ne pas voir que la Planète est “au bout du rouleau” ? Que nous sommes déjà dans le mur ? Que le mode de vie des riches de l’hémisphère Nord continue à grever, sans vergogne, les rares et faibles ressources restantes ? Que les pays du Sud n’utilisent que 1/10 des ressources de la planète, alors que pour satisfaire les besoins de consommation d’un seul pays du Nord, en l’occurrence les Etats-Unis, il faudrait au bas mot les ressources de 8 planètes telle la nôtre, sans compter leur fantasme d’aller bientôt faire du tourisme sur la planète Mars ?

Ivan Illich, dans sa lucidité, avait vu juste, lui pour qui développement équivalait à pauvreté planifiée. Depuis le 24 octobre 1960, par l’alinéa 43 de sa Résolution 2626, l’ONU a adopté l’objectif d’une Aide Publique au Développement (APD) versée par chacun des pays économiquement avancés et égale à seulement 0,7% de son Produit National Brut (PNB).

Mais on constate que cet engagement n’a jamais été tenu. Pourquoi ? Cette même Résolution a été réactualisée 40 ans plus tard, les pays riches s’engageant à nouveau par la Déclaration du millénaire ! Or, selon l’OCDE, en 2003 l’augmentation de l’APD était de 0,1% pour les USA, de 0,2% pour le Japon, de 0,4% pour la France ! Alors, quand est-ce que ces objectifs fixés depuis 45 ans seront atteints ? C’est le constat le plus flagrant de la défaillance de la solidarité internationale, dans le temps et dans l’espace ! L’hypocrisie des bons sentiments va-t-elle un jour faire place aux vraies mesures, aptes à répondre aux vrais enjeux ? Des masses de plus en plus nombreuses sont victimes de ce processus de paupérisation. Cette pauvreté se développe en parallèle avec le modèle de croissance et de consommation d’un monde régulé par le marché unique du Village Global, dans le cadre juridique de l’Organisation Mondiale du Commerce !

L’ONU va-t-elle encore tabler sur la soi-disant réussite économique de la République de Maurice pour faire la leçon aux pays dits sous-développés, pour leur offrir des solutions préemballées et autres avantages douteux, sous prétexte qu’ils sont parmi les plus vulnérables de la planète et qu’ils n’ont pas d’autre choix ? Et ceci, sans que soit posée la question centrale « À qui profite la dépendance au développement ? » ! On va continuer à agiter le miroir aux alouettes du “développement” même s’il est maintenant fallacieusement qualifié de “durable”.

Quel bel exemple la République de Maurice donne-t-elle à ses petits États frères ?

Pour cette Conférence sur les problèmes cruciaux de survie de la planète et le sort spécifique de ces petits États, …il a fallu y construire à grand frais, donc en endettant un peu plus le pays, un immense Centre de Conférences. Et puis acheter, dans des conditions discrètes, quelque 200 limousines de luxe, pour plus de 1,5 milliard de roupies, somme astronomique. Ce tableau étant enjolivé d’un vernis de Bonne Gouvernance. Ne parlons pas de toutes les gabegies qui ont cours en matière économique, car Maurice a été un docile élève des bailleurs de fonds de Bretton Woods (le FMI et la Banque mondiale). Ces derniers, en lui imposant des stratégies de “développement” orientées vers les marchés étrangers occidentaux, ont placé le pays dans une situation de sursis, dans tous ses secteurs économiques. Transformée en un “net food importer [1]” , l’île Maurice n’a plus d’autre recours, aujourd’hui, que d’importer quasiment tout ce qu’elle consomme. Une telle détérioration de ses termes de l’échange a rendu le coût de la vie horriblement prohibitif pour les masses. La philosophie dominante du système économique mondialisé se résume à ces slogans impitoyables “adapt or perish [2]”, “survival of the fittest [3]”, en prétextant un “level playing field [4]” pour tous les pays. Alors que cette philosophie est systématiquement démentie dans la pratique par une concurrence cruelle, une course effrénée à la productivité et une véritable guerre économique, même si on la qualifie pompeusement d’Intelligence économique. À la fin de cette Conférence Internationale, il va y avoir une Déclaration de Maurice. S’agira-t-il de promouvoir ce marché de dupes ? Les pauvres contribuables ont-ils une toute petite idée du genre de sauce, concoctée par leurs gouvernants sous la houlette onusienne, à laquelle ils seront immanquablement mangés ? D’ailleurs, quel contrôle démocratique peut-il y avoir sur toutes ces grandes déclarations, avant, pendant, et après ? Par exemple, le statu-quo qui persiste après la Conférence Mondiale de Stockholm sur le Développement social et ses Résolutions de 1995, en dit long sur l’efficacité et la détermination des gouvernants à traduire en actes les décisions votées à … grands frais !

Les organisateurs mauriciens du Sommet en question ont pris des précautions pour que la prochaine grand-messe onusienne soit dite avant même de commencer. Il règne en effet une opacité considérable sur le déroulement de la Conférence et son contenu. La société civile n’a été que très vaguement invitée à participer aux débats, et son forum a été contraint de se réunir loin du Centre de Conférences des délégations officielles. On a donc de bonnes raisons de craindre que ses recommandations ne soient pas prises en compte. Par exemple, quelques rares écologistes mauriciens ont récemment dénoncé le projet autoroutier qui va saccager la vallée de Ferney (ils sont bien obligés de se mettre en avant pour combler le déficit d’engagement socio-politique des ONG environnementales mauriciennes officielles, plus aptes à dénoncer régulièrement les mauvaises herbes que le béton). Or, même s’ils participent au forum de la société civile, ces jeunes écologistes-durables-volontaires ont été avertis par le Premier Ministre mauricien qu’aucun “dérapage” de leur part ne serait accepté. Cet avertissement signifie très clairement que la construction de l’autoroute de Ferney ne sera en aucune manière remise en question. Silence, on développe durablement !

Pour éviter sans doute aux délégations étrangères de profiter pleinement des conséquences du “développement-automobiledurable”, les autorités mauriciennes ont décidé que pendant la tenue du Sommet, une partie de l’autoroute du Nord ainsi que le tronçon reliant Port-Louis aux Pailles seraient exclusivement réservés aux déplacements des délégations étrangères, quitte à ce que les mauriciens se retrouvent un peu plus longtemps coincés dans les embouteillages des heures de pointe. Nos décideurs ne pouvaient pas mieux démontrer leur manque d’imagination et leur incapacité à prendre des décisions permettant réellement de réguler l’anarchie du développement.

Les Nations-Unies elles-mêmes semblent vouloir noyer le poisson en organisant, en marge de ce Sommet de Port-Louis, une “Technologies Fair [5]” où sont présentées quelques prétendues avancées “technologiques” supposées améliorer les conditions de vie des insulaires (par exemple, remplacer le diesel par de l’huille de coco dans les générateurs ou les automobiles). Pourquoi ne pas évoquer plutôt la déplétion imminente des ressources énergétiques fossiles qu’aucune énergie alternative ne pourra massivement remplacer ? Matthew Simmons, un pétrolier américain très conscient de cette échéance [6], a récemment démontré que le remplacement, aux Etats-Unis, du diesel par le sojadiesel organique était impossible car il demanderait la mise sous culture de soja de la quasi totalité de la surface des États-Unis.

Beaucoup d’eau devra sans doute encore passer sous les ponts avant que l’imaginaire de tous nos politiques, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, ne soit débarrassé de l’emprise idéologique du Développement. Les pays du Sud restent dans l’ensemble terriblement colonisés par ce paradigme. Il n’est que de voir l’empressement avec lequel les autorités thaïlandaises veulent voir le tourisme reprendre pied rapidement sur les côtes touchées par le terrible tsunami du 26 décembre dernier pour s’en rendre compte.

Et pourtant tout ne deviendrait-il pas bien plus réaliste et plus viable, si l’on se posait cette simple question : Qu’est-ce-qui est vraiment indispensable à la vie de chacun et de tous, ici, maintenant et pour les générations futures ?

Le Nouvo Lisour.

Traductions DLR :


[1= importateur net de denrées alimentaires

[2= s’adapter ou périr

[3= la survie pour les plus aptes

[4même terrain de jeu.

[5= Foire des technologies.

[6Voir GR 1036, octobre 1036, p. 7-9.