Vers une morale impossible ?


par  L. TISSOT
Publication : août 1985
Mise en ligne : 13 mars 2009

Tous les moralistes, déontologues et autres philanthropes s’accordent pour engager les hommes à manifester une attitude morale en s’abstenant de toute activité nuisible à autrui.
Celà reviendrait à demander aux cabaretiers de ne plus vendre d’alcool et aux buralistes de fermer leurs guichets. C’est convaincre les ouvriers des industries de guerre à ne plus oeuvrer au supplice de leurs frères. C’est prier l’industrie de ne plus livrer à la consommation des produits frelatés ou polluants.
Or, dans le régime actuel, chacun doit, à tout prix, se créer et conserver une activité payante et la lutte est d’autant plus implacable que le progrès technique élimine toujours plus de main d’oeuvre.
C’est la raison pour laquelle il y a autant de cafetiers, pourvoyeurs de drogues, prostituées, boursicoteurs, escrocs, militaires, travailleurs pacifistes fabriquant de l’armement, gangsters, racketteurs, avocats, geôliers, etc... Que ferait-on de ces gens si le désarmement devenait une réalité, si l’alcoolisme était vaincu et si l’honnêteté régnait en ce monde ?
Ça ferait beaucoup de chômeurs en plus. Et, c’est pas le moment d’en rajouter... Voilà pourquoi les « Soupes populaires  » sont un pis-aller au chômage que chacun s’accorde pourtant à trouver préférable à une réforme fondamentale du système économique constamment différée à seule fin de préserver les privilèges d’une minorité vivant de manipulations monétaires.
Même si l’opinion publique n’en a pas encore conscience, la crise nous enfonce dans une société duale où se creuse un énorme fossé entre deux classes en formation. A savoir, d’une part, un petit nombre de gens fortunés : Les uns vivant de l’exploitation de gros capitaux et tenant les leviers de commande du pouvoir ; les autres, ayant acquis un certain savoirfaire encore recherché, qui perçoivent de gros revenus, fut-ce au prix d’un travail épuisant. D’autre part, une foule croissante de sous-consommateurs, n’ayant que leur force de travail à offrir sur un marché saturé qui n’en a pas besoin. Ils sont condamnés à survivre en occupant, à l’occasion, des emplois aléatoires, sans intérêt, sans sécurité, ou à percevoir diverses allocations ressenties comme une aumône. Tout ça, paradoxalement, vécu au milieu de magasins regorgeant de marchandises, dans une atmosphère, bien naturelle ; de violence et délinquance.
Il est vrai, inutile de le souligner, que nous sommes entrés dans une ère où le croissance économique supprime plus d’emplois qu’elle n’en crée. Il est évident qu’affirmer, dans ces conditions, que l’on va créer des emplois nouveaux et donner du travail à tous, relève d’une démagogie à courte vue. A moins de déclencher un conflit mondial...
Alors, pour qu’il y ait encore une morale possible, reste une solution, en attendant que soit mise en place le réforme fondamentale du système : Faire accéder l’homme à un véritable « Revenu social garanti » compatible avec les énormes moyens de production existants. En vertu du droit sacré que détient chacun d’entre-nous des lois de le nature : se juste part (avec ou sens emploi) des richesses de le planète. Envisager, également, le gratuité de certains services.
Perspectives, hélas ! qui échappent encore eux partis politiques et eux syndicats corporatistes.