L’effet de serre, un défi

Deuxième partie : Que faire ?

par  J.-C. PICHOT
Publication : mars 2001
Mise en ligne : 4 décembre 2005

L’environnement est un des domaines où le citoyen a intérêt à agir, et sans attendre. Jean-Claude Pichot en a pris conscience au point de chercher à informer ses concitoyens de Garches par une conférence donnée par Benoit Lebot en décembre. Il a commencé dans notre dernier numéro à nous rapporter cette conférence dans un article dont le titre, comme celui de l’éditorial d’ailleurs, a été escamoté par un “flasheur” pas très soucieux de son travail. Voici la suite de ce rapport, sous le même titre, en espérant que le flasheur voudra bien cette fois ne pas le supprimer :

Nous sommes tous face à une situation avérée, ayant déjà des effets identifiés et expliqués, et face à l’annonce d’une évolution inquiétante à l’échelle de la Terre. Ce problème, certainement le plus complexe jamais rencontré, ne peut pas nous laisser insensibles car il touche potentiellement toute la planète ; il n’est plus question d’attendre pour voir : ceux qui ont déjà dû supporter des dérèglements majeurs du climat sont nombreux et en savent quelque chose, et ceux qui n’en ont pas encore connus risquent un jour de les subir à leur tour.

Ce problème met en cause une première dimension : celle de l’économie dominante, basée depuis plus de deux siècles sur la consommation des combustibles fossiles sans lesquels les modes de vie, notamment dans les pays dits développés, ne seraient pas ce qu’ils sont. Qui va oser imposer un arrêt immédiat des activités utilisant le charbon, le pétrole ou le gaz ? Et qui va simplement imaginer une telle éventualité ?

Une autre dimension est mise en lumière : celle de la mondialisation du phénomène, entraînant la nécessité d’une solidarité “géographique” étendue à la Terre entière ; un véritable défi lorsqu’on sait que rien ne peut se traiter à cette échelle sans se référer au marché, ce mot magique qui cache de moins en moins les défauts et les effets pervers qu’il charrie.

Un autre paramètre important est le temps : les phénomènes incriminés, qu’il s’agisse des climats (inertie des masses maritimes ou atmosphériques) ou des comportements humains (liés aux générations), se mesurent en décennies. Cette caractéristique a pour conséquence la nécessité d’une solidarité intergénérationnelle.

Bien sûr, il reste toujours l’espoir que la science, vecteur historique par essence du progrès, trouvera des remèdes comme ceux qu’elle a souvent proposés depuis deux siècles également aux problèmes majeurs rencontrés ; mais il faut prendre en compte son frère cadet désormais bien connu : le principe de précaution.

 Faut-il faire quelque chose ?

Les médias nous ont abreuvés, au cours de dernières années, d’informations parfois contradictoires, mais qui nous ont laissé entrevoir des voies possibles pour faire face, d’une manière ou d’une autre. Certaines mesures, de nature essentiellement politique, ont même été décidées au niveau international (par exemple, ralentissement des émissions de gaz à effet de serre et stabilisation à l’horizon 2010) ; mais elles ne sont destinées qu’aux décideurs nationaux et internationaux et aux grands acteurs économiques, et elles ne sont pratiquement pas respectées.

Quelques constats :
•la “machine économique” est engagée dans le processus depuis plusieurs décennies ; si l’on doit faire quelque chose, il est trop tard pour qu’il s’agisse de mesures de prévention ;
•d’une certaine manière, nous faisons déjà quelque chose, tant au point de vue des améliorations des machines thermiques, dont les rendements s’améliorent (indépendamment des réductions de pollution auxquelles nous ne restons pas indifférents), que d’autres mesures destinées à limiter les consommations d’énergie aussi bien que les déperditions de chaleur, etc. ; mais c’est loin de répondre au défi ;
•sommes-nous assez informés et sensibilisés pour être conscients de la nécessité de faire de nouveaux efforts, pour ne pas dire des sacrifices ? Si nous ne sommes pas assez nombreux à croire qu’il est nécessaire d’agir, la démarche est probablement vaine.

L’humanité est partagée en deux grandes catégories d’individus : ceux, les plus nombreux, qui n’ont accès ni à la culture ni à l’information ; subissant les “lois” imposées par les plus puissants, ils n’auront une fois de plus d’autre choix que de suivre et de subir encore ; si les mesures adoptées vont dans le sens d’un ralentissement de la dégradation, à défaut d’une amélioration, ils devraient (?) en être bénéficiaires ; les autres, comprenant d’une part les sceptiques, qui refusent les diagnostics et les pronostics, et ceux qui s’intéressent au sujet, et dont dépend l’avenir.

On peut analyser les comportements de ces derniers en termes de volontarisme/fatalisme et d’altruisme/égocentrisme :
•le fataliste égocentrique sera tenté de ne pas s’impliquer et de vivre sa vie ; on peut parier qu’il saura profiter le moment venu des efforts faits par les autres ;
•le fataliste altruiste s’intéressera aux autres pour les aider, comme il le fait déjà pour venir en aide à tous ceux, de plus en plus nombreux, qui sont dans la misère à cause de l’incapacité du système économique dominant à répartir les richesses produites sur la planète ;
•le volontariste égocentrique ne devrait pas exister ; en effet, on imagine mal quelqu’un décidé à changer ses comportements dans le sens du bien commun tout en restant centré sur lui-même ; mais, qui sait ?
•le volontariste altruiste, catégorie dont il faut bien évidemment favoriser le développement, car sans elle, rien de bon ne pourra être fait.

À noter que si on peut dissocier sans ambiguïté le volontarisme du fatalisme, il n’en est pas tout à fait de même avec l’altruisme et l’égocentrisme. En effet, un altruisme bien compris peut participer directement au renforcement d’un confort de type égocentrique : à titre d’exemple, un soutien prolongé à des populations de régions sous-développées peut les aider à se fixer chez elles plutôt que de déferler dans nos pays nantis, et par conséquent nous aider à éviter les problèmes posés par les migrations.

En conclusion :

oui, il faut faire quelque chose, car ne rien faire de particulier entraînerait de toute façon l’obligation d’agir un jour quand même, et dans l’urgence, pour faire face aux conséquences quasi inéluctables que la science est en mesure de prévoir ; et un intérêt bien compris devrait nous inciter à faire ensemble quelque chose de plus intelligent : personne ne s’en porterait plus mal !

 Qui doit agir ?

Il est évident que si l’on se contente de laisser faire quelques pays isolés (en supposant qu’ils le décident unilatéralement !), on n’ira pas loin : c’est donc bien l’affaire de tous, d’une manière ou d’une autre. Du fait de leurs missions à vocation de service public (au moins théoriquement), il était “naturel” que les structures étatiques ou supra étatiques soient les premières à se concerter et à s’organiser pour définir et lancer des idées (ce qui ne coûte pas cher) et prendre des mesures (là, c’est un peu plus aventureux : voir les résultats de la conférence de La Haye en novembre 2000 !). Il n’empêche que si rien de significatif n’est rapidement fait à leur niveau, qu’il s’agisse de contraintes ou d’incitations politico-économiques ou d’exem-ples à suivre, il ne se passera pas grand’chose sur la planète.

De leur côté, les grandes entreprises, qui sont toutes plus ou moins impliquées en tant que consommatrices d’énergie fossiles ou évoluées (électricité, par exemple) et qui devraient se sentir concernées, fonctionnent pour la plupart dans un contexte marqué des deux sceaux de la concurrence et du profit individuel d’une part, et du court terme d’autre part, contradictoires de la coopération et du long terme identifiés ci-dessus. Certaines, qui ont commencé à adopter un comportement dit “citoyen” au regard des règles sociales (par exemple dans les cas de sous-traitance dans des pays à main d’œuvre bon marché) ou environnementales, auront peut-être à cœur que l’on dise d’elles qu’elles tiennent aussi compte de l’effet de serre, après la lutte contre les pollutions déjà mises en œuvre ; mais laissées à elles-mêmes, il est peu probable qu’elles prennent rapidement d’elles-mêmes des initiatives significatives. Qu’ils pensent à leurs descendances ou qu’ils en attendent un retour direct pour eux-mêmes (mais dans ce cas, il vaut mieux sans doute être jeune pour en recueillir les résultats dans un certain temps), il reste les volontaristes que ceci ne devrait pas rebuter :
•en tant que citoyens auxquels le droit de vote donne, de temps en temps, un pouvoir malheureusement souvent illusoire ;
•en tant qu’acteurs économiques individuels, responsables de leurs choix en investissements ou en consommation.

C’est donc bien au plus grand nombre à s’engager, chacun à la mesure de ses capacités et des sacrifices qu’il acceptera de faire, dans tout ce qui est susceptible d’apporter un mieux qui ne pourra qu’être bénéfique au plus grand nombre, donc à eux-mêmes.

Avant de développer le paragraphe suivant, il peut être intéressant de rappeler les obstacles majeurs que nous pouvons rencontrer sur notre route : sauf à accepter de vivre hors du système économique dominant (sans voiture, sans électricité, sans fioul), nous dépendons de ce que nous offrent nos magasins, et les entreprises productrices de services et de biens d’équipement ou de consommation n’ont pas nécessairement intérêt pour leurs bilans et leurs actionnaires à faire des efforts dans le sens souhaité. Dans ce contexte, il paraît donc évident que, pendant un certain temps au moins, nous soyons amenés à accepter des sacrifices, et ultérieurement à vivre sur la base de modes de vie nouveaux.

 Que faire ?

Certains grands axes d’actions possibles ont été abondamment présentés et développés par les médias. En voici plusieurs :
•réduction massive des émissions de gaz à effet de serre, principalement le CO2. Il s’agirait là d’un effort de grande envergure, comprenant l’amélioration des rendements des machines de grande taille utilisant les combustibles fossiles (dans les centrales électrique ou les grandes installations industrielles consommatrices de pétrole, de gaz ou de houille), et des moteurs des véhicules en tous genres (poids lourds, voitures particulières, bateaux et... avions, généralement oubliés jusqu’à maintenant dans les statistiques car ils ne sont recensés dans aucun pays particulier !), les économies dans les systèmes de chauffage (meilleure maîtrise, isolation des bâtiments,) ainsi que pour tous les types d’équipements utilisés dans nos bureaux et logements (notamment électroniques), l’utilisation d’autres sources d’énergie (hydraulique, vent, soleil, géothermie, biomasse), sans oublier le nucléaire, qui a permis à notre pays de produire moins de gaz à effet de serre que d’autres pays (80% de l’électricité produite en France proviennent de cette source), mais qui pose d’énormes problèmes pour l’avenir et mériterait un développement particulier qui n’a pas sa place ici ;
•“recyclage” du CO2 dans les processus naturels de photosynthèse : on parle à ce titre de “puits de CO2” constitués de zones forestières nouvelles concentrées près de lieux producteurs de ce gaz (par exemple grandes centrales électriques), et aussi de l’adsorption accélérée par le phyctoplancton, qui est à l’origine de près des 4/5 de la photosynthèse (des expériences ont eu lieu récemment près de l’Australie, par ensemencement de la mer avec des produits chimiques ; mais ces produits n’auront-ils pas, un jour, des effets pervers ?) ;
•séquestration dans le sol du CO2 issu de grandes installations industrielles (des essais sont en cours aux Etats-Unis, où ont été identifiés des sites géologiques susceptibles de conserver en stock pendant quelques siècles de grandes quantités de gaz ; celles-ci retrouveraient alors progressivement un accès à “l’air libre”, à une époque où nous n’aurons peut-être plus de réserves de combustibles à brûler) ;
•actions vis-à-vis d’autres gaz à effet de serre, notamment le méthane issu des activités agroalimentaires, qui pourrait soit être utilisé comme carburant (des expérimentations en vraie grandeur existent en France ; même si cette solution produit du CO2, il faut rappeler que celui-ci est 20 fois moins producteur d’effet de serre que le CH4), soit voir sa production réduite par modification des processus mis en œuvre par exemple dans les rizières (on ne sait malheureusement pas encore modifier le fonctionnement du système digestif des ruminants !).
•réduction volontaire de consommation des énergies à usage domestique (notamment l’électricité) et amélioration des isolations dans les bâtiments : cette voie n’est jamais la première proposée, car elle touche trop les ressorts de notre société de consommation.

Il est peut-être bon de rappeler qu’à ce jour, personne n’a proposé de solution de destruction du CO2 en excès dans l’atmosphère : on entrerait là dans le domaine de la science fiction.

Tous ces grandes solutions, naturellement, posent des problèmes sérieux : choix dans les investissements industriels, incertitudes et coût des dernières solutions imaginées (la science a des idées, mais il faut que leur mise en œuvre soit économiquement supportable et sans incidences ultérieures graves, qu’elles soient imprévues ou cachées), changements de modes de vie (qui est prêt à abandonner l’usage de la voiture ?)