Attention, danger : aux fous !!!


par  M.-L. DUBOIN
Publication : octobre 1996
Mise en ligne : 10 août 2008

Ce n’est pas sans raison si beaucoup de gens, ces temps-ci, font un rapprochement entre la situation actuelle et celle des années 30 : nombre des chômeurs qui ne cesse d’augmenter, misère croissante, scandales financiers et “affaires” en série qui montrent la vénalité des responsables, critique du parlementarisme qui s’en suit, etc. Il y a donc un risque très sérieux de voir à nouveau un beau parleur séduire les foules, en exaltant le racisme, le nationalisme et l’intégrisme, et en promettant de mettre fin au chômage par élimination des étrangers et autres mécréants. N’oublions pas qu’Hitler a été plébiscité… Alors, face à cet immense danger, n’ayons surtout pas la mémoire courte.

Mais le peuple français, pas plus que ses semblables d’ailleurs, ne pourra pas supporter encore longtemps l’avalanche de mesures catastrophiques que le gouvernement lui assène, imperturbable devant les désastres qu’elles entraînent. Jusqu’où peut encore aller la destruction systématique de la protection sociale et du service public ? Peut-on laisser aller plus loin encore la détérioration de la situation des plus démunis au profit des plus riches [1] ? La suffisance, voire l’arrogance, avec laquelle ces mesures sont annoncées, donne l’impression qu’elles sont prises par des insensés, refusant d’en voir les conséquences évidentes, sourds à toutes les menaces qu’elles font peser et aveugles—ou indifférents— devant la misère qu’ils créent avec détermination.

Quel fanatisme pour obéir à la dictature qu’exerce la finance sur ceux qu’on appelle encore parfois “les responsables” ou “les décideurs” dans les pays “avancés” ! L’exemple est donné par Bill Clinton : il vient de signer, en l’appelant bien sûr “réforme”, l’arrêt de mort de “l’état-providence” dans son pays. C’est la suppression de toute aide de l’état aux plus démunis, y compris celle à l’enfance en péril, prescrite par le Social Security Act de 1935. Le montant de celle-ci était pourtant 14 fois moindre que le service de la dette aux financiers, et égal à ce que reçoivent, sous forme de dérèglements fiscaux pour achat d’une résidence, les 5% des ménages les plus riches [2]. En Allemagne, la remise en cause de “l’état social” et le plan d’austérité ont été imposés par la coalition au pouvoir afin “d’obéir à Maastricht”. Ce qui a soulevé un énorme mouvement de contestation le 7 septembre. En Angleterre, une formule rusée a été trouvée par le gouvernement qui a déclaré tout simplement que le chômage n’était pas de son ressort : c’est une affaire privée, celle des chômeurs eux-mêmes. Une façon de se laver les mains que ses homologues vont sûrement copier…

Que faire pour arrêter cette vague de folie, cette vaste entreprise d’appauvrissement des peuples, au nom d’une pensée unique, fermée, stupide, indiscutable et martelée à longueur de journée dans nos cerveaux par des médias serviles ? Réagir, bien sûr, mais sans tomber dans l’extrémisme qui mène au fascisme.

Comment ? D’abord en ne renonçant jamais à faire entendre la voix de la raison et du bon sens, même au milieu de la raillerie sur les utopies simplistes. Puisque l’intégrisme financier mène le monde à sa perte, il faut avoir le courage de le dénoncer, de démonter ses mécanismes et de réfuter sa loi. L’entreprise n’est pas facile, puisqu’elle va à contre-courant. Mais nous sommes de moins en moins seuls. En Angleterre, le Mouvement pour la Justice Monétaire, qui nous a invités en juillet dernier à parler à la Chambre des Communes, a bien compris l’enjeu. Son secrétaire a pris soin d’adresser une lettre aux congressistes de BIEN [3], réunis à Vienne, pour les inciter à orienter leurs débats vers la question, à son avis fondamentale pour l’allocation universelle : qui va la payer ? et à la relier à la profonde réforme monétaire qui lui apparaît indispensable : rendre à l’état le droit régalien d’émettre monnaie, sans intérêt. En Allemagne, l’association Kairos Europa, qui s’appuie, entre autres, sur les travaux du Pr. Duchrow [4], après avoir mené une campagne aux niveaux nationaux, s’attaque au niveau européen : elle va faire une intervention au Parlement européen ce mois-ci [5]. En France aussi, l’association chômage et monnaie travaille dans le même sens par ses études sur la formation des masses monétaires. Elle vient de sortir sur ce sujet un manifeste [6] très clair, sous une forme bien condensée et que tous les distributistes peuvent utiliser pour expliquer les dysfonctionnements qu’entraîne une monnaie de dette (créée sous forme de crédits, à rembourser contre intérêt aux banques).

et viva Zapata !!

Et puis ? Si cela ne suffit pas, les peuples des pays industrialisés se retrouveront aussi spoliés que les Indiens du Mexique, entre autres. Et il ne restera plus d’autre façon digne de réagir que celle de Zapata [7] au début du siècle et celle des populations courageuses du Chiapas aujourd’hui. Ces hommes sont avant tout nos frères, comme dit Danielle Mitterrand qui a eu le courage admirable d’aller les voir et de publier le récit [8] de cette visite et de leur lutte. Digne de tous les distributistes.


[1En écrivant ceci, j’apprends que le gouvernement va encore “trouver” 7 milliards “d’économies” en les retirant de l’aide au logement. Et puis quoi encore ?

[2Chiffres donnés par L.Wacquant, Professeur de sociologie à l’Université Berkeley, Californie, dans le Monde Diplomatique N°510.

[3Basic Income European Network, le réseau européen pour l’allocation universelle, a tenu son dixième congrès dont J-P Mon fait le rapport page 5.

[4Invité également à la Chambre des Communes par le Mouvement pour la Justice Monétaire, U.Duchrow est l’auteur d’une étude traduite en Anglais sous le titre “Alternatives to Global Capitalism”, remarquable et très bien documentée, éditée par Kairos Europa, Hegenichstrasse 22, 69124 Heidelberg, Allemagne.

[5Voir l’annonce ci-dessous.

[6Des exemplaires de ce manifeste de 4 pages, intitulé “Pour une relance rapide sans inflation”, sont à la disposition des abonnés (écrire au journal en joignant, si possible, un timbre pour nos frais d’envoi).

[7Le métis émilio Zapata mena, au début du siècle le combat contre le pouvoir en place au Mexique qui spoliait les paysans de leur seule richesse, la terre, et les Indiens, de toute dignité. Son combat ne visait qu’à rendre au peuple l’indispensable à leur existence : “Terre et liberté”. Il fut assassiné comme une bête sur l’ordre du président Carranza.

[8“Ces hommes sont avant tout nos frères” par D. Mitterrand est publié aux éditions Ramsay, 144 pages, au prix de 49F. Les droits d’auteur sont intégralement versés à France-Libertés.