A première vue, les pays de l’Est paraissent
offrir ce que le travailleur occidental recherche souvent désespérément
: des emplois.
En effet, le chômage y est virtuellement inconnu, à l’exception
de ce qu’on appelle le chômage frictionnel, purement temporaire,
qui ne concerne que les travailleurs en train de changer d’emploi, par
exemple. De plus, la constitution soviétique de 1977, dans son
article 40, garantit le droit au travail dont on parle tant en ce moment
de notre côté du rideau de fer. Tout est-il donc résolu
à l’Est dans le domaine de l’emploi ?
On pourrait le croire puisqu’on n’entend pas les travailleurs réclamer
du travail mais le gouvernement réclamer des travailleurs. Car
il y a pénurie de main d’oeuvre. Pourquoi ? Les économistes
occidentaux diront que le caractère fermé des marchés
intérieurs des pays de l’Est et la fixation des prix à
l’exportation par le pouvoir politique ne favorisent guère la
productivité. La concurrence ne joue pas. Si bien que, pour produire
un article, il faut davantage de main d’oeuvre qu’à l’Ouest.
Première source de pénurie.
Ajoutez à cela que le taux de croissance de la population des
pays de l’Est va sans doute décroître d’ici l’an 2000 pour
n’être qu’environ un tiers de ce qu’il était dans les années
50. Où donc trouver d’autres bras pour l’industrie ?
De 1950 à 1975, la main d’oeuvre industrielle est passée
en U.R.S.S. de 15 à 34 millions au détriment de l’agriculture.
Même phénomène en Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Pologne,
Allemagne de l’Est. Il n’est plus possible d’accroître cette évolution
sans mécaniser encore davantage l’agriculture, ce que l’économie
nationale des pays concernés ne supporterait peut-être
pas actuellement.
Où trouver alors le supplément de main d’oeuvre nécessaire
? Pas dans l’armée bien décidée à carder
ses pensionnaires. Restent les femmes et les retraités qui sont
effectivement incités à prendre un emploi (le monde à
l’envers, presque). C’est ainsi que plus de 4 millions de retraités
avaient repris du travail en 1975 contre 2,5 millions en 1970. Il y
a encore la possibilité de faire venir des travailleurs étrangers
mais les commissaires au plan s’y opposent et ne tolèrent l’entrée
de techniciens que lorsqu’il est impossible de faire autrement, et encore
pour la période la plus brève possible.
La solution réside sans doute dans une meilleure utilisation
de la main d’oeuvre disponible. Selon un ministre tchécoslovaque,
l’industrie de son pays utilise 25 % de plus de main d’oeuvre que les
industries comparables des pays occidentaux. Si la productivité
d’un ouvrier spécialisé de l’Est est environ les trois-quarts
de celle de son homologue américain, la proportion tombe à
un quart pour les ouvriers non spécialisés qui représentent
85 % de la main d’oeuvre.
D’autres facteurs de distorsion sont la hâte fébrile qui
s’empare, dans les derniers jours d’un plan annuel, des usines qui n’ont
pas reçu à temps les matériaux nécessaires
; ou encore, les objectifs du plan sont brusquement relevés,
à moins que les autorités ne prélèvent une
partie du personnel d’une entreprise pour faire les moissons. Pour toutes
ces raisons, les chefs d’entreprise maintiennent en permanence des effectifs
supérieurs à leurs besoins réels.
D’ailleurs, une remise en ordre n’irait pas sans conséquences
graves. Quelques tentatives ont bien été faites en Russie
et en Hongrie pour produire davantage avec moins de travailleurs que
l’on paye plus. Mais l’exemple de la Yougoslavie (qui n’est pas membre
du Comecon) incite à réfléchir. En supprimant,
en 1965, les subventions qu’il pavait aux entreprises en difficulté,
le gouvernement a déclenché une spectaculaire montée
du chômage qui à l’heure actuelle, demeure élevé.
Allons, il semble bien que les pays du Comecon n’aient pas non plus
résolu la quadrature du cercle de l’emploi en économie
non distributive. Pendant ce temps, les ménagères russes
ne sortent jamais sans un panier qu’elles appellent, dit-on, un «
aucas-où », au cas où elles trouveraient enfin les
articles qui font défaut depuis si longtemps dans les magasins.
À l’Est, rien de nouveau
Étranger
par
Publication : novembre 1978
Mise en ligne : 8 septembre 2008
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Publication : novembre 1978
Mise en ligne : 8 septembre 2008