Nouvelle économie, finances : II – L’Europe à deux ?
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Publication : mars 2004
Mise en ligne : 10 novembre 2006
Le rejet du projet de constitution européenne est une occasion pour remettre à l’ordre du jour la stratégie monétaire de l’union européenne. C’est à cette réflexion que Paul Vila s’est attelé en commençant par rappeler les propositions de Douglas et Duboin, passées sous silence pendant les années 30, quand la crise était plus simple, et qui lui paraissent toujours incontournables. Il aborde ici les problémes de structures posés par le noyau dur de l’Europe que constituent l’Allemagne et la France.
L’initiative de convention européenne n’a pas beaucoup d’autre vertu que de réveiller les consciences françaises. Depuis l’automne 2003 les réflexions sur l’Europe se multiplient et montrent la légèreté des “porte-paroles” médiatiques, et le manque de réalisme chez les penseurs français de nos supports culturels. Politologues et “historiens”, braqués sur l’avenir philosophique de l’Union sont en mal de modèle, contaminés qu’ils sont par la présente misère mentale de nos partis, eux-mêmes paralysés par l’échéance du printemps 2004 : à force de s ‘être moqués du peuple, les “grands chefs” se sentent en danger. Et nos guignols français sont obsédés par l’illusoire société de l’image.
Il m’a paru logique de lancer le débat, comme j’ai cherché à le faire dans la GR 1040, à la lumière des modèles qualitatifs de l’entre-deux guerres, quand des crises plus simples frappaient majoritairement la scène européenne. Je voudrais maintenant aborder deux thèmes peu traités, même par les nouveaux économistes tels ceux d’Alternatives Économiques. En commençant par les problèmes d’échelle : régionalisation et démocratie, gestion bancaire et État-Nation, Confédération d’Europe à géométrie adaptée selon problèmes et cultures. Ils mènent à des réflexions sur l’impôt, panacée très limitée, et sur la simplification apportée au budget par l’allocation universelle. Mais comment appliquer ce dividende ? Quelle stratégie pour faire accepter le distributisme en Europe ?
France-Allemagne contre Bruxelles
Le premier problème auquel se heurte la convention européenne c’est le retard hexagonal à rendre efficace notre administration publique. Notre système fatigué est en mal de structures cohérentes avec, d’une part, le besoin de proximité et, d’autre part, d’efficacité républicaine : une cohésion peut-elle renaître dans un pays où on n’aperçoit plus les réalisations, mais seulement les promesses non tenues ? Ce n’est pas tant “trop d’État” qui pèse, mais un système à la fois trop rigide et trop lâche… Et en cela, les petits et moyens entrepreneurs semblent représenter, depuis les années 1980, un atout et un exemple humain.
Mais il reste à l’État français le devoir de déconcentrer et décentraliser son appareil. Nos grands secteurs industriels restent dépassés par la vitesse d’évolution mondialisée de concurrents extérieurs qui utilisent l’informatique dans la gestion, et la simulation pour l’aide à la décision. Cette arme “lourde” pour nos décideurs est en même temps le champ d’une coopération entre la génération sortante, qui est expérimentée, et la génération entrante, qui est outillée. On devrait y gagner : le déblocage des liaisons hiérarchiques pour le citoyen, et, pour tous, un sentiment de responsabilité.
Du côté allemand, l’explosion du carcan pyramidal hérité de Bismark et exploité par Hitler n’avait pas détruit en 1945 l’encadrement juridico-administratif de fonctionnaires organisateurs, et la soumission au plan Marshall a rendu respectables beaucoup d’ex-héros nazis. La “petite Amérique” des Länder de l’Ouest a bien fonctionné sur deux générations, celles du Deutsch Mark triomphant, de la reconquête commerciale et des caisses d’épargne populaires. De 1960 à 1990, l’Allemagne de l’Ouest a attiré les plus libres des Allemands de l’Est. Dans la réunification en 1991, au lieu de mettre tous les germains en paix et en prospérité, le chancelier Kohl a engagé un processus de re-socialisation très douloureux de part et d’autre. Les deux morceaux n’avaient plus les mêmes valeurs d’urgence, ni la même confiance dans leurs Länder respectifs, et la structure à Berlin marche encore mal. D’où une querelle d’Allemands sur la philosophie de la nouvelle gross Republik, entre les valeurs ultimes d’une “élite” néo-bourgeoise familiale, avec costumes et église de village, faite d’actionnaires des grosses firmes mondialisantes, et les masses déstabilisées par l’insécurité d’emploi. Cette pyramide à deux étages déstructure l’ex-“Nation” allemande… Le parti social-démocrate n’est pas en phase sur tout son programme avec les Verts de base, et ceux-ci essaient de rassembler les vrais innovateurs et les pauvres des cités. Un réveil socialiste à Berlin-Est a semblé conforter G. Schröder fin 2003. Inversement on voit l’ex-rouge Dani Cohn-Bendit se rallier à la doxa Bruxelloise du gros capital, et entrer dans le schéma de V.G.Estaing (pour gagner du temps ?)… au lieu de penser les réformes complémentaires.
Depuis trois ans, des deux côtés du Rhin, la colère du peuple se manifeste dans la rue et aux élections, elle profite aux ramasse-contestation néo-nazis, aux paras en retraite de Mlle Le Pen et au pas plus sérieux mais surdoué Besancenot. Les retards de structure contribuent à envenimer ce que le manque de réelle socialisation produit de part et d’autre. Le niveau de vie du peuple étant bradé, pas de discrimination positive d’égalité et de justice contre les groupes minoritaires. Côté français, quelques jeunes citoyens “arabo-musulmans” font la leçon de l’affranchi à un maître jacobin corrompu.
De part et d’autre les politiciens essaient de jouer sur ces menaces pour faire tenir tranquilles le Deutsch et le Gaulois moyens. Mais leur principal devoir, celui de clarifier les enjeux et de distribuer le crédit, est réduit à des vœux, à des discours, surtout avant chaque élection…
La priorité des combats partisans est un double frein à la réforme, aussi bien des États vers une Union cohérente, que des partis nationaux vers une refondation des structures essentielles.
Le manque de rigueur en politique sociale à la tête de l’État se pare d’une rigueur financière à Bercy, qui fait de nos représentants internationaux les serfs d’un consensus d’experts en modèles globaux. La simulation des gros ordinateurs tourne encore avec les moyennes productivistes des années 90, tout en reconnaissant qu’une mesure d’allègement du FMI ne peut porter de fruit qu’après environ dix ans, si les décideurs locaux appliquent vertueusement le plan. Les copies restent à revoir alors que les Américains vont se ressaisir.
D’où l’important dilemme de Nice 2002 et Genève 2003 à propos de l’Union. Nos diplomates prétendent qu’on va fédérer une demi-douzaine d’États pour donner l’exemple aux trente autres… Mais rien qu’à elles deux, la France et l’Allemagne sont au cœur de la désunion européenne ! Elles devraient d’abord se soutenir mutuellement dans leurs réformes respectives ! Mais au lieu de réfléchir au problème fondamental du crédit réel des sociétés-nations, on fuit en avant pour grossir la fédération, avec un schéma d’Occident uni contre la menace des extrême-orientaux déjà concurrentiels… Et revoilà la vieille proposition bancaire, hostile à toute équité, au nom du profit maximum, le secret mépris des cultures et des subtilités de l’adaptation au réel des horizons et des terroirs ! La réalité naturelle est réduite à un jeu de cours monétaires boursiers que l’on se résigne à voir dominer l’espèce…Alors je suggère de renverser la proposition, et de mettre à profit l’échec momentané des accords en vue d’un gros bloc à 36, pour schématiser l’adaptation réciproque des deux pays, France et Allemagne.