Girouette ?
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Publication : mai 2004
Mise en ligne : 7 novembre 2006
D’aimables politiciens, qu’on me pardonne cet oxymore [*], ont osé qualifier de “girouette” l’électorat français pour avoir infligé une cinglante défaite à la droite, deux ans après avoir éliminé la gauche aux présidentielles. C’est refuser d’admettre une réalité très simple : le peuple français est au contraire très conséquent, après avoir été enthousiasmé par les discours prometteurs de la gauche, il a été déçu par sa “politique de gouvernement”, soumise aux impératifs du néolibéralisme sous prétexte “qu’il n’y a pas d’alternative”. Alors il a manifesté cette déception par son vote contestataire au premier tour des présidentielles. Mais sa contestation ayant débordé, les règles électorales ne lui ont laissé pour le second tour que le choix entre la peste et le choléra. Comment s’étonner alors qu’ayant été victime de la peste, il exprime clairement, dès qu’il en a l’occasion, qu’il n’en veut pas ?
Le peuple français n’aime ni les promesses électorales non tenues, ni qu’on lui raconte que c’est pour son bien qu’on lui impose la dégradation, voire le démantèlement sans précédent des services publics. Il n’est pas idiot. Il voit bien que la France est un pays riche qui a beaucoup de moyens et qui produit beaucoup de richesses. Et il n’admet pas que ces richesses soient si mal utilisées et si mal réparties.
Pour prendre un des problèmes les plus brûlants, celui de la santé, il sait que si on manque maintenant de personnels soignants c’est parce que depuis 20 ans les gouvernements successifs ont décidé de façon odieuse de limiter le nombre de médecins et d’infirmières au niveau de la formation. Il sait pourquoi, et il se doute du poids de certains syndicats de médecins cherchant à valoriser leur profession. Et il soupçonne, même s’il ne sait pas tout ce qui se trame, que les groupes pharmaceutiques et les propriétaires de cliniques privées exercent des pressions sur les gouvernements pour continuer à bénéficier de “marges” suffisamment élevées pour satisfaire leurs actionnaires.
S’il avait cru aux raffarinades à propos du souci du précédent gouvernement de sauvegarder le régime des retraites par répartition, toutes les publicités qui l’assaillent aujourd’hui pour qu’il souscrive à de mirifiques plans d’épargne afin d’assurer sa retraite, lui ouvrent les yeux.
Il n’est plus dupe.
Et,quand après avoir reçu une magistrale gifle électorale, le Président de la République lui dit « je vous ai compris ! » tout en reconduisant son Premier ministre pour lui infliger la même politique, il prend conscience qu’on se fout de lui…
La seule question qui se pose est la suivante : jusqu’où abusera-t-on de sa confiance et de sa patience au nom d’une soi-disant démocratie ? — On va bientôt le savoir avec la question européenne. Plus précisément avec la façon dont va lui être présenté le projet de Constitution de l’Union Européenne. Car tel qu’il est, ce projet a surtout pour but d’imposer l’idéologie libérale dans tous les domaines, sans se soucier des dégâts qu’elle engendre, que les peuples constatent dans leur vie quotidienne mais que leurs dirigeants s’obstinent à nier. Et il s’agit de l’imposer de façon irréversible puisque pour changer, le projet exige un vote à l’unanimité de l’Union, ce qui est pratiquement impossible.
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On va voir d’une part comment ce principe essentiel sera camouflé et d’autre part, quelle méthode choisira le Président de la République pour le faire passer…
[*] oxymore = “emploi de deux mots incompatibles pour leur donner plus de force expressive”
Le Robert.