Vive les étudiants, ma mère...


par  É. REYBAUD
Publication : septembre 1968
Mise en ligne : 23 octobre 2006

On croyait qu’à notre époque, en France, il n’y avait plus de révolutionnaires. Cela s’expliquait parce que le moindre prolétaire voit, tout de même, son niveau de vie monter. Il n’y a, pour s’en rendre compte, qu’à comparer les situations, à qualifications égales, entre un ouvrier de jadis et un d’aujourd’hui. Ceux en âge d’être retraités n’avaient pas de retraites ; si peu qu’ils en aient aujourd’hui, il y a progrès. Il n’y avait pas de sécurité sociale ni de congés payés, ni d’allocations familiales, de logements, de chômage, les journées de travail étaient plus longues.

Qu’est ce qui vaut cet accroissement de bien être pour tous ? C’est le progrès qui met à la disposition des hommes d’innombrables forces mécaniques qui créent des richesses dont, plus ou moins, tous bénéficient. Le rôle des syndicats est de pousser à ce que, dans le partage, les humbles aient une part plus grande ; mais, s’il n’y avait pas eu le progrès nous en serions encore au temps où, pour que l’industrie puisse vivre, il était naturel de faire travailler des enfants au-dessous de huit ans.

Ce progrès constant, crée une espérance de mieux être qui fait que plus personne ne se révolte jusqu’à descendre manifester dans la rue. Chacun pense qu’il sera un peu mieux demain. En gros, pour les raisons données ci-dessus, les événements lui donnent raison. Le prolétaire le plus mesquin compte bien, s’il est jeune, qu’il aura bientôt sa motocyclette et qu’il ne tardera pas à réaliser ses rêves d’avoir une petite voiture et les appareils ménagers qu’il envie. Alors il fait preuve de cette patience que Faust maudit, car elle est la cause de la stagnation dans le médiocre.

Et bien les étudiants de Paris ont secoué cela. Ils ont extériorisé le malaise. Ils osent réclamer. Ils ne se résignent plus aux incohérences de notre époque. Car, s’il est vrai qu’il est permis à davantage d’accéder à plus d’instruction, ils voient les défauts qui se précisent, le manque de locaux et surtout de maîtres, l’incertitude où ils se trouveront pour avoir l’emploi auquel ils se croyaient en droit de compter à la fin de leurs études. Ces jeunes, à l’âge du mariage, savent les difficultés qu’ils vont rencontrer pour obtenir le logement nécessaire au foyer qu’ils envisagent de créer.

Les gouvernants ripostent aux remontrances en étalant tout ce qu’ils ont déjà fait qui est loin d’être négligeable ; mais, plus ou moins consciemment, les jeunes constatent que construire des facultés est possible puisque l’on a toutes les nécessités désirées. Les entrepreneurs et leurs salariés ne demandant qu’à travailler et pourraient édifier beaucoup plus de bâtisses. Il en est de même pour tous les métiers, pour tout ce dont on a besoin. Des gens suffisamment instruits pour pouvoir enseigner, abondent ; mais on les laisse en chômage ou occupés à des besognes indignes de leur savoir. La crainte du manque de logement est inconcevable s’il y a, en même temps, des milliers d’appartements inoccupés.

On connait la chanson : ces anomalies ont lieu parce qu’on manque d’argent, de crédits. Or l’argent ce sont des morceaux de papier appelés : billets de banque, quant au crédit, il suffit de quelques gouttes d’encre pour les ouvrir efficacement sur un livre. Alors qu’il y a tout le reste, ce papier et cette encre manquent seuls.

La pléthore de logements vides est assimilable à ce qu’on appelle : surproduction, comme cela a lieu pour tant de produits utiles. Les nations se trouvent dans une impasse pour le Marché commun, non pas parce qu’on est pauvre et qu’on manque de richesses, niais parce qu’il y en a de trop. Du lait, par exemple ; comme du vin, du blé, on ne trouve pas d’autres moyens pour supprimer ces produits que de les détruire. On rejette souvent le poisson à la mer. On brime, on pénalise les productions, ce qui diminue la richesse pour tous. Il y a, parait-il, trop de pommes, alors que tant de familles ne voient jamais de fruits sur leur table. On tâche d’exporter les récoltes à bas prix, et l’on fait payer aux nationaux les différences avec le coût à payer. Comme tous les pays développés sont dans le même cas, compter sur un avantage général par le Marché commun à venir est une pénible illusion.

Ces circonstances absurdes entraînent la gêne et même parfois la misère devant l’Abondance des richesses et, des moyens de les produire. Tout le monde le constate, mais personne ne le signale. Il n’y eut en tout que deux députés, M. Archer en mars 1936 et M. Bergery en janvier 1938 qui, par leur vote, s’élevèrent contre les mesures de destructions. M. H. Bergasse, au temps où il était député des B.-du-R., nous promit d’en faire autant si l’occasion se présentait. Elle ne dut pas arriver à temps. Depuis, à quelque parti qu’il appartint, aucun élu ne s’étonne de ces faits aberrants.

La jeunesse est moins encroûtée que les vieux, dans des habitudes dont ces derniers ne supposent pas qu’on puisse en sortir. Les jeunes de tous les pays comprennent que ça ne tourne pas rond. Ils protestent véhémentement. Ils comprennent confusément que, puisqu’il est impossible de supprimer ces absurdités dans l’Economie qui nous régit, il est normal, obligatoire, sage, de changer d’Economie. Pas en ajoutant quelques millions de plus en faveur de telle branche au détriment de telle autre, aux frais des contribuables, car cela ne transformera rien, que ce soient les Gaullistes ou les F.G.D.S. qui emploient ces emplâtres sur jambe de bois.

L’économie dans laquelle nous sommes enlisés n’a pas de difficultés à produire mais ne peut VENDRE la production. Ce ne sont pas les richesses qui manquent. On pourrait, tout de suite, augmenter considérablement les quantités et la qualité de tout ce dont on a besoin ou désire dans notre pays. Cela pour tous, sans rien enlever à personne. Pour ce résultat il suffit simplement d’instaurer une Economie dans laquelle la Vente et l’Achat soient supprimés. Cette Economie, étudiée dans des écoles depuis plus de quatre-vingts ans et surtout depuis quarante ans dans tous ses détails, s’appelle Economie de Distribution ou ECONOMIE DISTRIBUTIVE.

Comme il est beaucoup plus facile de distribuer que de vendre, elle est incomparablement moins compliquée que l’Economie mercantile qui nous régit. Elle supprime des millions de parasites, ceux qui ne créent ni richesses ni services. Ils pullulent dans notre régime périmé. L’Economie distributive les utilise à des besognes rémunératrices. Elle supprime les fonctionnaires, les intermédiaires en surnombre, tous ceux qui passent leur temps à écrire pour signifier que tel bien appartenant à Pierre, passe à Paul. Ce oui n’intéresse nullement la nation, n’augmente pas le bien commun de la collectivité, dont la richesse totale n’est pas modifiée par ces transactions internes.

De nos jours on ne cherche pas suffisamment à créer des richesses, leur quantité gêne les ventes, on s’efforce de créer du travail. Alors que le chômage montre qu’il n’y en a plus pour tout le monde. Le plein emploi est une inutile utopie, son impossibilité est un heureux phénomène. En Economie rationnelle le manque de travail s’appelle joyeux loisirs et non chômage. Quelle immense distribution de richesses pourrait avoir lieu pour tous, si l’on n’était pas arrêté par la nécessité de vendre.

Sur mille étudiants en révolte il en est certainement moins d’un qui sache ces choses là. Il faudrait le leur apprendre puisqu’ils s’avèrent être le fer de lance du progrès social. Peu de gens connaissent les règles de cette future économie. Elle est inéluctable, parce que l’absurdité du régime où nous restons ne peut durer toujours.

Pour ceux qui ne son` pas capables d’imaginer ce que sera cette future économie, qu’ils sachent que des groupements, de nombreux ouvrages, sont à même de les renseigner, à Paris, comme dans les villes de province. Qu’ils ne comptent pas sur les partis politiques ou même sur les Syndicats pour pousser au changement. Ceux là attendent que la masse les poussent. Or la masse n’est pas « au parfum ».

LE PRESIDENT HONORAIRE DU M.F.A. DU SUD-EST
(Reproduit du « Massalia »)