Et maintenant ?


par  P. MONTREUX
Publication : septembre 1968
Mise en ligne : 23 octobre 2006

L’OCDE a publié au printemps de cette année certains chiffres correspondants au produit national brut, c’est-à-dire la valeur de la production brute du pays calculée au prix du marché, obtenue dans l’année et exprimée en termes monétaires, ainsi que le produit national brut par tête, pour la période allant de 1960 à 1966.

Nous voyons que pour l’ensemble de notre pays, les chiffres exprimés en millions de dollars, sont les suivants : 60,40 en 1960 et 101,88 en 1966.

Ainsi, pour chaque Français, le produit national brut est passé de 1.320 à 2.060 dollars pendant la même période, soit une augmentation de 740 dollars par tête ou encore 56,06 %. En nouveaux francs, cela donne environ 6.600 NF à 10.300 NF, donc une augmentation de 3.700 NF par an et par tête.

En 7 années, le coefficient d’augmentation de la production a été multiplié par 1,56.

Ceci dit, il serait utile de connaître le coefficient d’utilisation totale de nos moyens de production, étant donné que les différentes entreprises ne fonctionnent pas à plein rendement.

Si nous voulons, tout de suite, augmenter le volume des biens consommables et des services à répartir entre tous, une première mesure consisterait à demander aux chefs d’entreprise de pousser la production au maximum, compte tenu du degré actuel de modernisation de l’équipement.

Par la suite, avec de nouvelles machines toujours plus perfectionnées et des procédés de fabrication améliorés de jour en jour par les soins des techniciens, nous pourrions produire « en avalanche » tout cc qui serait susceptible d’améliorer notre sort. Ce qui a été possible pendant la guerre pour la production d’armements (d’après Churchill), doit l’être encore plus facilement en temps de paix.

L’entreprise France, sous la direction du chef de l’Etat, devrait être à même de nous faire connaître d’année en année, le montant de la production annuelle globale. Et au lieu d’attendre passivement que les travailleurs se mettent en grève pour obtenir une augmentation de salaires, il serait beaucoup plus logique de procéder à un rajustement annuel des salaires.

D’autre part, on nous parle toujours de plein emploi comme d’une chose qui va de soi. Or, les travailleurs en chômage n’arrivent pas à trouver un nouvel emploi leur permettant de participer à une production accrue.

Le ministère de l’Economie Nationale devrait donc être en mesure de signaler immédiatement aux chômeurs à quelles entreprises ils pourraient s’adresser pour obtenir un emploi. Dans le cas contraire, il serait urgent d’utiliser les services de la Statistique de la France pour établir le recensement des entreprises en activité, ainsi que celui des emplois vacants.

Par le suite, la production battant son plein, le bilan annuel de l’entreprise France nous permettrait d’opérer le rajustement annuel des salaires sans aucune difficulté.

Naturellement, de ce bilan, il conviendrait de retrancher les frais généraux de la Nation et le solde serait affecté au paiement des salaires, appointements, bénéfices, etc...

Ce ne serait donc plus qu’une simple opération de comptabilité, grandement facilitée par l’utilisation des nouvelles machines électroniques que l’on emploie couramment dans toutes les grandes administrations. On obtiendrait simultanément le coefficient d’augmentation de la production qui serait appliqué automatiquement à la fin de chaque exercice.

La tâche du gouvernement serait bien simplifiée et il deviendrait inutile de songer à une « participation » des travailleurs, celle-ci ne pouvant qu’aboutir à retrancher sur les bénéfices pour augmenter les salaires. D’ailleurs, de nombreuses entreprises se plaignent de ne pouvoir obtenir des bénéfices suffisants pour conserver une rentabilité convenable.

Il est clair, dans le cas où nos services économiques sont certains d’être dans la bonne voie, que seule, une augmentation massive de la production permettra une augmentation massive des salaires.

D’ailleurs, le général de Gaulle a déclaré à Lyon, il y a cinq ans : « Chacun comprend, en effet, que pour marcher vers la prospérité, notre économie, nos finances, notre monnaie doivent être maintenues en équilibre, que nos moyens de paiement doivent être calculés, nos rémunérations adaptées, nos prix fixés, nos dépenses publiques limitées, non par des désirs ou au gré des uns et des autres, mais en ordre, et d’après l’avance réelle de notre économie. Autrement dit, que le niveau de vie de tous et la dimension de ce qu’entreprend l’Etat doivent être en proportion de la productivité nationale. Faute de quoi, toute l’activité industrielle, la transformation agricole, l’organisation commerciale, la construction des logements, des écoles, des hôpitaux, des centrales, des routes, la modernisation de l’armée, la sécurité sociale et familiale, les conditions d’existence des Français, tout, oui tout, s’en irait se noyer dans l’inflation. »

« Chacun comprend qu’aux temps modernes, c’est aux pouvoirs publics qu’il appartient d’agir sur le volant, sur l’accélérateur et les freins, pour que la voiture ne dévie ou ne s’arrête, ni ne s’emballe, mais qu’elle marche normalement sur la route. »

Depuis cette date, les travailleurs ont pensé que tout irait bien, mais petit à petit, ils se sont rendus compte que les conditions de vie s’aggravaient au lieu de s’améliorer et cinq ans après les promesses du général de Gaulle, ils se sont rebellés, puisque les pouvoirs publics ne faisaient pas leur devoir, alors que la production avait augmenté de 56 % en sept années.

Quand on a l’honneur d’être à la tête du peuple français, il ne faut pas s’endormir, mais au contraire veiller sans cesse au bon fonctionnement de l’économie. Or, nous avons l’impression que nos dirigeants ont pris pour baromètre, non pas l’opinion publique tout entière, mais seulement celle de certains dirigeants de nos entreprises.

Voilà tout le mystère de l’explosion du mois de mai dernier, mais il ne faut pas en rejeter la faute sur les travailleurs qui sont, dans leur ensemble, courageux et disciplinés, et ne demandent qu’à contribuer dans la mesure de leurs moyens, à la prospérité du pays.

Ils seraient enchantés de voir leurs efforts récompensés, mais si nous continuons à nous heurter à des impossibilités (alors que nous savons tous qu’impossible n’est pas français), ils pourraient en déduire que l’organisation économique et sociale actuelle n’est plus à l’échelle d’un monde bouleversé par la science et la technique et qu’il convient d’en changer sans plus tarder.

La dernière guerre nous a prouvé qu’il existe des moyens puissants pour franchir le Rubicon.