Le monde de demain
par
Publication : juillet 1968
Mise en ligne : 22 octobre 2006
Le bouleversement provoqué par les découvertes scientifiques, les progrès techniques et l’organisation moderne des entreprises a suscité la publication de nombreux ouvrages.
Cependant leurs auteurs, en ce qui concerne l’industrie, se sont surtout appliqués à décrire les améliorations apportées par le machinisme w la production, celle-ci devenant de plus en plus rapide et précise amenant une réduction massive des prix de revient et une augmentation de la qualité.
C’est ainsi que M. Pasdermadjian, professeur à l’Université de Genève, a pu rédiger avant sa mort, un grand nombre de documents que le doyen Terrier, de la Faculté des Sciences économiques et sociales de l’Université de Genève, a déchiffrés et complétés pour en faire un livre publié en 1959, sous le titre « La deuxième révolution industrielle », avec le concours de l’Association Internationale des Grands Magasins !
Partant de l’invention de la machine à vapeur, il e décrit avec le plus grand soin, les découvertes successives qui ont transformé le monde industriel. Il rappelle incidemment que « Rathenau, ayant commencé sa carrière dans la construction des machines à. vapeur de faible puissance (quelques chevaux), avait abandonné cette branche, malgré l’existence « une clientèle qui assurait la prospérité de son entreprise. Il s’était convaincu que les machines à vapeur dé faible puissance n’étaient pas rentables, et que la demande pour ces machines ne s’expliquait que par l’ignorance qui régnait alors dans l’industrie en ce qui concerne les prix de revient. »
Ensuite, il passe en revue les différentes machines motrices : la machine à vapeur à piston, la turbine
vapeur, la turbine hydraulique, le moteur à gaz, le moteur à explosion, le moteur Diesel à. combustion interne qui, entraînant dés génératrices électriques, ont servi à alimenter des moteurs électriques depuis les plus faibles jusqu’aux plus puissants, tout en assurant l’éclairage public et privé.
En 1895, fut édifiée la première partie de l’usine Niagara Falls, dont les turbines hydrauliques étaient accouplées à des génératrices d’une puissance de 5.000 CV qui, à cette époque, semblait énorme.
On connait la suite : de nos jours ce’ te puissance unitaire atteint des centaines de milliers de CV et le courant produit est distribué à grande distance au moyen des lignes de transport de force, dont le voltage est de plus en plus élevé.
En ce qui concerne l’usinage, la guerre de Sécession avait donné une grande impulsion à la fabrication des armes ; des méthodes fondées sur l’interchangeabilité des armes y avaient été élaborées ; elles furent bientôt appliquées à d’autres domaines comme, par exemple, celui de la fabrication des machines à coudre. Or cette interchangeabilité des pièces exigeait des tolérances beaucoup plus faibles, donc des machines-outils plus précises.
Partant de ces données, toutes les usines du monde fabriquent maintenant du matériel en grande série et avec la plus haute précision.
En 1900, Taylor et White, inventeurs des aciers à coupe rapide, ont participé puissamment à l’accélération de l’usinage. C’est le même Taylor qui a joué un grand rôle dans l’organisation des usines, dont le rendement a été presque quadruplé, ce qui a permis aux nations en guerre de produire des armements « en avalanche » au cours de la deuxième guerre mondiale.
Le pétrole, les matières plastiques et la chimie en général, sont venus ensuite et ont contribué à la transformation de l’existence dans les pays industrialisés.
Ce livre très documenté est intéressant à lire pour le profané. Mais il présente un gros défaut : s’il nous montre bien le remplacement d’un grand nombre d’ouvriers par des machines toujours plus perfectionnées, dont certaines sont destinées à l’agriculture, il ne consacre pas une seule ligne au chômage, ni à la diminution parallèle du pouvoir d’achat. Est-il donc nécessaire d’être dans la misère pour s’apercevoir que la question sociale tient une place toujours plus grande dans la vie des peuples ?
Dans la préface, M. André Siegfried, de l’Académie française, pense que M. Pasdermadjian se demande si la deuxième révolution industrielle, n’est pas maintenant sur le point de faire place à une troisième révolution, celle de l’énergie nucléaire, de l’électronique, de la cybernétique. Cette révolution, poursuit- il, nous la voyons se faire sous nos yeux ; elle va certainement, et en raison de l’accélération de l’histoire, transformer la production et la vie dans des proportions difficiles à imaginer. De ce point de vue, nous assistons peut-être à la fin de cet âge de l’organisation mécanique que l’avenir jugera peut-être bien pesant, comparé à l’esprit ailé de son successeur, léger comme un nouvel Ariel.
M. Siegfried devrait se pencher plus spécialement sur le côté social de la révolution en cours, en recherchant les causes de la mévente qui bloque un système basé sur l’échange. Il découvrirait à coup sûr que la diminution incessante du pouvoir d’achat global de notre pays (signalée depuis plus de 35 années par notre président Jacques Duboin), est la cause directe des difficultés qui nous assaillent depuis la première guerre mondiale.
La production n’en est pas responsable, car elle est capable de mettre à notre disposition le nécessaire et le superflu, comme l’a montré M. Pasdermadjian, mais la distribution des biens consommables ne peut s ’ faire, les consommateurs solvables devenant chaque jour moins nombreux. C’est la misère dans l’abondance, crime impardonnable dans le pays de Descartes. On ressent un certain découragement en lisant des livres aussi bien construits que « La deuxième révolution industrielle » en voyant que son auteur ne s’est pas aperçu que la masse sans cesse accrue de produits déversés par l’industrie moderne ne pouvait plus trouver un écoulement normal.
Il ne suffit plus, comme il est indiqué dans ce livre, d’inciter les masses à acheter, plutôt qu’à épargner. Il faut donner à chaque individu le moyen d’acheter tout ce qui est nécessaire à son existence.
Une certaine publicité, non payée, pourrait être maintenue afin de faire connaitre les nouvelles productions à l’ensemble des consommateurs.
Mais il est pénible de lire dans la conclusion de l’ouvrage précité : « Ainsi, à côté de la deuxième révolution industrielle, se place effectivement une révolution mentale qui en était à la fois la condition et la conséquence. On conviendra sans peine que tout de nos jours démontre que les besoins de l’homme, loin d’être immuables, sont susceptibles d’être renouvelés et étendus ; n’est-il pas évident que la société, issue de cette révolution, a fait dépendre l’équilibre de son économie, de l’extension continue des besoins de consommation les plus variés ? »
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« La redoutable question du freinage de la consommation et de la production ne va-t-elle pas se poser au moment le plus inattendu ? Cette marche accélérée vers la satisfaction, au plus haut degré, des besoins surtout matériels, ne constitue-t-elle pas déjà une menace pour la culture dans les pays les plus évolués et, plus généralement, pour la civilisation à laquelle nous appartenons ? »
Pour nous, cette question n’a pas de sens, car le jour où tous les individus auront accès à l’enseignement sous toutes ses formes leur mentalité tendra à s’élever et nous n’aurions plus guère à craindre la révolte des étudiants telles que celles qui éclatent actuellement dans tous les pays du monde.
Le souci du lendemain qui pèse sur chacun de nous disparaitrait avec la certitude d’un revenu social assuré de la naissance jusqu’à la mort. Est-il donc si difficile de comprendre la situation actuelle ?
Etant donné que la production peut être assurée dans tous les domaines et que le système économique actuel basé sur l’échange ne permet plus le passage de la production à la consommation, faute d’un pouvoir d’achat suffisant, que devons-nous faire ?
Continuer à détruire les excédents et tenter d’augmenter le pouvoir d’achat en construisant du matériel de guerre, ou bien distribuer équitablement la production entre tous les consommateurs, afin de supprimer la misère et le découragement qui touchent un trop grand nombre de nos contemporains ?
Un enfant répondra sans hésiter : Distribuons !
C’est dans ce but que nous proposons la réforme de nos institutions et l’instauration de l’Economie distributive.