Du patriarcat au capitialisme


par  D. DELCUZE, M.-L. DUBOIN
Publication : septembre 1983
Mise en ligne : 15 octobre 2006

"... le statut actuel des femmes sur le marché du travail et la ségrégation professionnelle des sexes telle qu’elle existe aujourd’hui découlent d’une interaction prolongée entre patriarcat et capitalisme ... Le capitalisme s’est développé en prenant comme base le patriarcat : le capitalisme patriarcal est la société stratifiée par excellence. Pour que les hommes qui n’appartiennent pas à la classe dirigeante puissent se libérer, il leur faudra reconnaître qu’ils sont récupérés par le capitalisme patriarcal et renoncer à leurs avantages patriarcaux. Pour que les femmes puissent se libérer, il leur faudra combattre à la fois le pouvoir patriarcal et l’organisation capitaliste de la société ..." [6].

"Le Capitalisme n’a pas arraché la femme au foyer domestique et ne l’a pas lancée dans la production sociale pour l’émanciper, mais pour l’exploiter encore plus férocement que l’homme ; aussi s’est-on bien gardé de renverser les barrières économiques, juridiques, politiques et morales, qu’on avait dressées pour la cloîtrer dans la demeure maritale. La femme, exploitée par le Capital, supporte les misères du travailleur libre et porte en plus ses chaînes du passé" [5].

"Les syndicats masculins ont perpétué la politique et l’attitude des guildes qui les avaient précédés et continué d’assurer des avantages aux travailleurs masculins. Les capitalistes ont hérité de la ségrégation professionnelle des sexes, mais ils ont souvent été capables de l’utiliser à leur profit. S’ils peuvent remplacer des hommes expérimentés par des femmes payées moins cher, c’est tant mieux ; s’il leur suffit de menacer de le faire pour affaiblir les syndicats, c’est une bonne chose aussi ; ou alors, ils échouent dans ces tentatives mais peuvent utiliser la différence de statut entre hommes et femmes pour offrir des récompenses aux hommes et acheter leur fidélité au capitalisme en leur assurant des avantages patriarcaux, c’est toujours bon pour eux ..." [6].

On voit ainsi comment les femmes-salariées forment en fait une classe située encore au-dessous de la classe des prolétaires-hommes dans l’échelle sociale, puisque même les syndicats ouvriers ne font plus bloc avec elles comme le souligne cette remarque :

"Là encore, la lutte de classes est perdante. L’inégalité des hommes et des femmes, évidente dans le monde du travail, les divise et empêche une action commune solidaire et efficace" [14].

Cette injustice a même échappé à MARX lui-même, note ce même article : "C’est ce schéma de division sexuelle des rôles qui a conduit Marx, homme et bourgeois de surcroît, à méconnaître les problèmes des femmes ..." [14].

Citons, pour illustrer ceci, l’organe du parti communiste italien "Compagna" du 26 mars 1922 :

"Le camarade GRAMSCI souligne qu’une action spéciale devrait être organisée parmi les ménagères qui constituent la majorité des femmes prolétaires. Elles devraient d’une manière ou d’une autre être liées à notre mouvement par la création d’organisations spéciales. Les ménagères, par la qualité de leur travail, peuvent être rapprochées des artisans, et c’est pourquoi il sera difficile qu’elles deviennent communistes ; toutefois, dans la mesure où elles sont les compagnes des ouvriers et, d’une certaine façon, partagent leur vie, elles sont portées vers le communisme. Par conséquent notre propagande peut influencer ces ménagères ; elle peut servir sinon à les encadrer dans notre organisation, au moins à les neutraliser de façon à ce qu’elles ne constituent pas un obstacle à des luttes éventuelles des ouvriers ..." [15].

On comprend en découvrant ces textes, combien doivent faire preuve d’énergie les femmes qui entreprennent de mener leur lutte, telle cette pionnière remarquable que fut Nelly ROUSSEL [16], que les lecteurs de la Grande Relève connaissent. Elles doivent affronter d’abord les rires de ceux qui les traitaient naguère de "suffragettes", et ce mépris, largement répandu, n’est pas l’apanage des partis politiques les plus réactionnaires.


[6H. HARTMANN, Capital, Patriarcat et Ségrégation professionnelle des sexes, Questions Féministes n°4, 1978.

[5P. LAFARGUE, La question de la femme, (édition de "l’Oeuvre Nouvelle", 1904).

[14(anonyme), Pour les femmes, le travail c’est la santé, Mignonnes allons voir sous la rose, n°3.

[15Extrait du journal "Campagnol’ du 26 mars 1922, cité par MR Dalla Costa [2].

[16Nelly ROUSSEL, Une lutteuse, un précurseur, La Grande Relève, n° 769, juillet 1969.