La logique des événements


par  C. SIMON
Publication : mars 1977
Mise en ligne : 14 octobre 2006

Un soir de mai, vers cinq heures de l’après-midi, le quai, direction Paris, à la gare du Vésinet, est noir de monde. Phénomène exceptionnel à cette heure où le trafic se fait surtout en sens inverse, les banlieusards rentrant de leur travail à Paris.

Dans cette foule, un vieillard. Pas très grand, mais droit et mince, vêtu d’un vieil imperméable et coiffé d’un chapeau, il regarde sa montre à intervalles de plus en plus rapprochés. Puis brusquement, il déclare à la cantonnade d’une voix nette :

 Pas la peine d’attendre, il n’y aura plus de train. Faites comme moi, allez à pied. »

Et d’un geste sec, il pointe sa canne en avant, et s’accompagnant d’un « Une, Deux, Une, Deux, ... », il traverse la foule des badauds ahuris et quitte la gare.

Il ne mit pas tout à fait trois heures à faire le chemin qui conduit du Vésinet à Saint-Cloud. On était en mai 1968... Ce vieillard, c’est Jacques Duboin. Il avait alors près de 90 ans.

Il ne passa effectivement plus de trains pendant longtemps. C’est encore lui qui avait eu raison avant tout le monde. Mais pour avoir été le premier à voir, puis prévoir juste, parmi des gens qui, placés devant les mêmes faits furent cependant incapables de les observer avec autant de bon sens, il passa une fois de plus pour un fou.

...Jusqu’au moment où tous furent obligés de se rendre à l’évidence. Beaucoup regrettèrent alors d’avoir attendu !