Un savoyard au Maroc
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Publication : mars 1977
Mise en ligne : 14 octobre 2006
C’était il y a tout juste 25 ans : le hasard m’avait fait découvrir, chez un bouquiniste de Rabat, un livre de J. Duboin :« Demain ou le socialisme de l’abondance ». Ma formation économique s’était jusque-là bornée à la lecture des deux volumes de l’histoire des doctrines économiques de René Gonnard. J’étais donc d’autant plus réceptif que de nombreuses questions demeuraient en suspens. Ce fut le coup de foudre. La série des autres ouvrages que J. Duboin devait me faire parvenir par la suite allait me révéler, servie par un style d’une incomparable séduction, l’extrême richesse de pensée de leur auteur. Et, très vite, celui-ci devenait à la fois un ami, un conseiller, un confident.
Sans doute nos relations qui se poursuivirent durant quelque vingt années, traversèrent-elles maintes tempêtes et j’aurai été son élève le plus turbulent. Mais nos dissensions passagères n’entamèrent jamais notre indéfectible amitié.
Cette amitié se noua plus particulièrement à l’occasion d’un séjour que je lui organisai au Maroc aux frais du Protectorat. Reçu à la coupée de l’Azemmour par les photographes de la Presse et une délégation du M.F.A., il eut à Rabat : conférence de Presse, débat à la Radio, fut reçu par le Directeur des Finances M. Lamy et, le soir, connut le plus brillant, le plus éclectique des auditoires avec la présence de cinq directeurs et du Secrétaire Général du Protectorat. Salle archi-comble le lendemain dans un grand hôtel de Casablanca où il parla trois heures durant, sans notes, à l’issue d’un dîner réception chez le « Préfet » de la ville. Le groupement des Savoyards lui fit fête pareillement et les agapes assaisonnées de « bonnes histoires » se prolongèrent fort tard. A Casablanca, il devait retrouver son vieil ami SOUCHON, ex-militant J.E.U.N.E.S. d’avant-guerre, devenu Président de la Chambre syndicale des industries métallurgiques. Là aussi il fut fêté.
Je lui fis visiter la ville et je le vois encore sauter à pieds joints - à 75 ans - d’une murette qu’il avait tenu à escalader pour regarder le panorama : « Les Savoyards, me dit-il, sont tous comme ça ».
« Henri Bergson, m’écrivait-il sur l’une de ses lettres, m’a dit et répété que mon livre : « La Grande Relève » était celui qui l’avait le plus impressionné de tous ceux qui avaient paru depuis la première guerre mondiale. Il m’a signalé deux points intéressants au sujet de la population et dont j’ai tenu compte dans des articles de « L’Oeuvre » en le citant. »
« Langevin, grand savant, accepta de faire des conférences avec mol dont une salle Wagram et une autre aux élèves de l’Ecole normale supérieure rue d’Ulm. »
Dans une autre il me confiait que l’ouvrage de Bellamy avait été publié par son camarade de guerre Charpentier, que c’était le M.F.A. qui en avait fait les frais et que « La Grande Relève » l’avait reproduit in extenso, mais que le M.F.A. ne possédait plus trace du livre.
D’un caractère entier, il se montrait sensible aux témoignages et marques de sympathie. Nous avons fait une longue route, parfois ensemble, parfois sur des chemins séparés mais visant le même objectif.
Le 22 février 1955, il me dédicaçait son livre : « Les yeux ouverts »
« A mon complice et ami Henri MULLER en souvenir de sa précieuse collaboration et en témoignage de sincère affection ».
J. Duboin disparu, sa pensée reste vivante et elle continuera de l’être par delà notre temps.