Joyeuse mise à mort
par
Publication : mars 1977
Mise en ligne : 14 octobre 2006
Marseille pavoisait. Le soleil, agité par le Mistral, tremblotait sur les milliers d’affiches qui enjolivaient les murs ocres et roses DIMANCHE PROCHAIN 29 SEPTEMBRE 1946 GRANDE MISE A MORT... du système capitaliste par Jacques DUBOIN.
Nous étions cent mille et même moins à taper du pied, sans cadence et avec enthousiasme, sur les planches des gradins. Car si les luxueux Nîmois et les opulents Arlésiens se sont offerts des Arènes en pierre, modèle César ou Crésus, nous, pôvres Marseillais nous avons construit les nôtres, sous le Petit Père Combes, en pin maritime.
N’empêche que l’enceinte était archi-bourrée et l’on y beuglait plus fort qu’à un match O.M.-St-Etienne. Soudain, coup de cymbales symbolique : Carmen of Bizet. Le toril s’ouvre. Pas de toro du Vaucluse, mais un petit homme souriant s’avance, tête nue, suivi par le groupe des animateurs provençaux : Elysée Reybaud, Taddéï, Doërr, etc. Tonnerre d’applaudissements.
Puis la conférence-maison du « patron ». Quelle maestria ! Il plante des banderilles au système financier, jette un bon mot comme une passe de muleta, ses véroniques sont appréciées par un public d’aficionados. Il a droit à toutes nos oreilles.
L’après-midi, le Président dédicaçait ses livres. J’avais apporté le mien, le seul, j’étais bien trop fauché pour en avoir plusieurs, presque dix ans que je l’avais. Il sourit en l’apercevant : « Il n’est pas d’aujourd’hui celui-là, jeune homme ! » me dit-il, amusé, tout en inscrivant : « A monsieur Armand de la part de Kou l’Ahuri ».
C’était la première fois que je voyais l’économiste le plus génial du siècle. Un souvenir ineffacé malgré plus de 30 ans.