Formez les faisceaux !
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Publication : mars 1977
Mise en ligne : 14 octobre 2006
Dans le XIXe arrondissement de Paris, au milieu de l’avenue Jean- Jaurès, se trouve un important gymnase ; il fait face à l’avenue Laumière qui ascensionne les Buttes-Chaumont. C’est ce grand vaisseau doté d’un balcon en gradins qui accueillit la première réunion de masse organisée en 1933, par le « Droit au Travail » l’ancêtre du M.F.A.
Le Vice-Président du D.A.T. était alors bien introduit à la Mairie. Il mena les négociations avec les autorités locales et l’autorisation fut accordée après bien des démarches et réticences.
– « Vous aurez comme auditoire les cellules communistes de Paris et de la banlieue proche. Vous serez débordés et votre conférence sera une réunion communiste. »
Pour l’affluence, le pronostic était bon. Il est vrai que, pendant quinze jours, l’avenue Laumière était barrée d’un trottoir à l’autre, d’un énorme calicot publicitaire planant au-dessus des arbres. Les trois mille places du stade furent occupées.
Les autorités s’étaient inquiétées à tort ; les précautions d’usage à cette époque, devant une concentration importante dans un arrondissement périphérique n’étaient pas négligeables. Derrière le groupe de bâtiments du stade Jaurès, dans une sombre rue sans trafic, la rue de Tandou, une section de gardes municipaux avaient formé les faisceaux de leurs courtes carabines, sur le trottoir d’un cours complémentaire. L’organisateur avait dû produire à l’officier-commandant en tenue d’armes la réquisition qu’il tenait prête, pour lui permettre de faire évacuer la salle en cas de violences.
A l’intérieur de la salle, appuyée à l’un des murs, une estrade de plusieurs marches avait accueilli le bureau du D.A.T. que présidait Jacques DUBOIN. L’organisateur salua l’assemblée d’une voix habituée à ce genre de réunion. C’est dire qu’il fallait de bonnes cordes vocales car nous n’avions pas de sonorisation : c’était bien au-dessus de nos moyens. Il convenait donc de hurler dans le tumulte pour en couvrir le bruit et se faire entendre. L’aide ne venait pas de la traditionnelle petite sonnette présidentielle mais d’une forte cloche de jardin, rivée sur une barre de fer doux d’un demi-mètre, masse à la fois sonore et dissuasive. Elle obtint un silence suffisant et une protection convenable du bureau. Les marches d’accès à la tribune furent préservées, deux essais téméraires furent découragés par le mobile sonore de la cloche de jardin.
Mais le plus malheureux de cette conférence fut bien le Président DUBOIN. Sa voix se perdait dans un tel volume sonore ! Après quelques minutes de présentation difficiles à passer, les grandes « VOIX » du comité directeur qui l’entourait reprirent le thème de nos démonstrations, usant de la technique convenable pour ce genre de conférence.
Quant aux contradicteurs inscrits, leur école d’orateurs ne les avait pas préparés à l’économie politique et leurs responsables hiérarchiques n’avaient pas été formés rue St-Guillaume. De l’un des jeunes opposants qui nous entraînait sur les conquêtes coloniales et que j’essayais de remettre sur les rails de la production et de la distribution, j’obtins cette confidence : « On ne nous a pas encore appris cette contradiction ».
Aussi bien, notre conclusion fut-elle prononcée sans opposition valable, les opposants satisfaits d’avoir pu parler, bien que mal à l’aise, sur le thème que la salle leur rappelait ; leur seule revanche fut un dernier refrain de « l’Internationale ».
En somme cette « première » fut une bonne soirée, malgré les faisceaux et les pauvres bougres qui battaient la semelle dans la rue sans joie. Elle fut un banc d’essai pour les jeunes, appelés à connaître les auditoires nombreux de Wagram et de province.
Quarante-quatre années nous séparent de ce souvenir. On ne forme plus les faisceaux. La télévision est encore plus dissuasive.