Chasses gardées...


Publication : 16 novembre 1935
Mise en ligne : 10 octobre 2006

Les diamantaires en mal de débouchés viennent de nous offrir une « perle ». Exploitant la dernière panique monétaire, ils ont essayé de nous faire croire que le diamant constituait le meilleur des placements. Dans une annonce que nous avons sous les yeux, ils n’ont pas hésité à citer à l’appui de leur thèse « La Paix d’Aix-la-Chapelle, signée en 1748 par Louis XIV » (mort en 1715 !...)

De qui se moque-t-on ? Si le diamant a, en effet, conservé une certaine valeur, c’est que sa rareté a été artificiellement maintenue.

Nul n’ignore plus que, depuis plus de dix ans, la De Beers et les autres compagnies s’intéressant à l’exploitation des terres bleues diamantifères, ne mettent sur le marché qu’une faible partie de leur production. Mais il y a mieux : avec l’appui du gouvernement sud-africain, les mêmes groupes interdisent l’accès d’immenses territoires connus pour recéler des « diamants d’alluvions » par trop abondants. Fils de fer barbelés, courants à haute tension et mitrailleuses concourent, aux frontières de l’ancien Sud-Ouest Africain Allemand, à la protection de la rareté !

Certains lecteurs nous objecteront peut-être que l’exemple des pierres précieuses ne les intéresse pas, qu’on peut vivre - très bien vivre même - sans en posséder une seule. Nous leur répondrons en les entretenant d’une autre « chasse gardée » qui les touche directement le marché français du sucre !

Alors que ce produit se négocie aux environs dc 40 francs le quintal dans les ports de la mer du Nord, il est encore coté plus de 170 francs à la Bourse du Commerce de Paris. Ce résultat est obtenu par un jeu savant de restrictions à la production (limitation des plantations de betteraves et stockage aux différents échelons de la fabrication) et d’encouragements officiels (droits protecteurs astronomiques, et prohibitions d’importation quand les droits ne suffisent pas).

Compte tenu des taxes intérieures, le prix de gros du sucre s’établit encore en France à 280 francs environ le quintal, contre 130/135 francs en Grande-Bretagne. Pour l’ensemble des consommateurs français (la consommation annuelle de notre pays est de 950.000 tonnes), cela représente une dépense supplémentaire de 1.450 millions de francs par rapport aux consommateurs britanniques correspondants. Chaque Français paie ainsi plus de 35 francs par an, à titre de prime, aux producteurs de betteraves et aux sucriers.

Le point de vue du consommateur ne compte pas pour ces champions de la rareté ! Ne vous étonnez donc pas d’apprendre que la consommation du sucre ne représente en France que 24 kilos par an et par habitant, contre 47 kilos dans les pays anglo-saxons

Et voilà le régime que, grâce à la récente loi sur les ententes industrielles, d’aucuns voudraient étendre aux autres branches de la production !