Combines et vérités
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Publication : 16 novembre 1935
Mise en ligne : 8 octobre 2006
Mesurer la valeur de marchandises rares et tenter de les répartir tant bien que mal, plutôt mal que bien, à l’aide de marchandises rarissimes l’or et l’argent, peut, malgré l’imperfection du système, se comprendre. Mais continuer à utiliser ces métaux rares, dits précieux, pour évaluer et pour régler la répartition de marchandises dont l’abondance est reconnue même par les plus grands profiteurs de la rareté, c’est vraiment trop sacrifier au passé.
Je sais bien que le principe de la rareté du précieux métal-étalon s’est trouvé assoupli par l’usage de billets de banque, chèques et autres moyens de paiement, mais il n’en est pas moins vrai que la base de ces moyens de paiement restant le métal-étalon, c’est lui qui continue à contrôler les prix.
Par contre, le principe de la rareté du métal-étalon s’est trouvé confirmé par l’abandon de l’argent quand ce métal est devenu abondant.
Mesurer avec une marchandise unique et rare (car l’or n’est qu’une marchandise et par surcroît une marchandise étrangère) les produits de plus en plus abondants de notre France, à la terre et aux cerveaux féconds, voilà où nous en sommes.
Les palliatifs à cette situation absurde abondent : Déflation, Inflation, Dévaluation.
Il s’agit toujours d’essayer de raccrocher une production de plus en plus abondante à un système monétaire désuet.
Le but de la déflation est de faire baisser les prix par rapport à l’or et de pouvoir donc racheter avec la même quantité d’or une production plus abondante.
L’expérience a été tentée dans maints pays, elle n’a jamais réussi.
Il faudrait pouvoir faire baisser les prix sans diminuer le pouvoir d’achat global du pays, chose impossible. On constate, même en période de déflation, que la capacité d’achat des masses baisse plus vite que les prix, à cause des frais généraux fixes qui ne peuvent être comprimés que difficilement. Pour un pouvoir d’achat global annuel équivalent à 150 milliards, la France produit 300 milliards de marchandises, et pourrait en produire le double en augmentant ce pouvoir d’achat de l’équivalent de 50 milliards seulement.
Peut-on faire baisser les prix de 50 % ?
Quand bien même on économiserait 20 milliards sur le budget, et en admettant, ce qui est absurde, que cela n’ait pas de répercussion sur le pouvoir d’achat des masses, où trouverait-on, dans le système actuel, 130 milliards annuellement pour combler l’écart entre la production et la consommation solvable ?
Réduire la production annuelle à 200 milliards ?
Alors le pouvoir d’achat global tombera à 75 milliards, car certains engagements ne pourront plus être tenus et notamment le paiement des intérêts et l’amortissement des investissements industriels, ainsi que le paiement des rentes ; car comment prélever 20 milliards pour les rentiers sur 75 milliards de revenu total ?
Par l’inflation, au contraire, on veut augmenter la quantité de monnaie en circulation, espérant faciliter ainsi l’écoulement de la production. Je ferai remarquer à ce sujet, que nous avons connu la prospérité avec 50 milliards de circulation monétaire et que nous subissons la crise avec une circulation de 80 milliards.
Personne n’a, du reste, réussi à expliquer sérieusement comment ce surcroît de monnaie irait justement dans la poche de ceux qui désirent consommer.
Avec la dévaluation, on veut faire de l’inflation sans risquer de voir brusquement la monnaie abandonner le poids d’or auquel elle est rattachée. Pour éviter cet abandon considéré comme une catastrophe, on provoque une catastrophe artificielle, afin de pouvoir en contrôler les effets et la limiter, c’est-à-dire rattacher de nouveau la monnaie à un poids d’or déterminé, inférieur, naturellement, au précédent et plus en rapport avec la situation économique.
L’Etat fait un profit certain en s’appropriant le bénéfice de la revalorisation de l’encaisse or, mais on ne voit toujours pas de quelle façon le pouvoir d’achat global du pays augmentera.
On voit très bien, au contraire, diminuer le pouvoir d’achat de tous ceux dont les revenus, traitements et salaires sont basés sur une quantité fixe de monnaie, car les prix augmenteront fatalement.
Qu’on ne vienne pas nous donner en exemple les Etats-Unis ou l’Angleterre, dont les monnaies sont internationales et régissent les prix des matières premières de base, ce qui n’est pas le cas pour le franc ; leurs dévaluations se sont faites en période de baisse des matières premières, baisse qui est maintenant momentanément arrêtée.
Il y a aussi l’exemple belge (la Belgique en est à sa troisième dévaluation depuis la guerre).
Si nous voulons faire une exposition et donner tout à moitié prix aux étrangers, au détriment de nos nationaux, nous pouvons, nous aussi, réussir dans ce genre de prospérité pour « Hôtels et Cafés ».
Pendant la période de dévaluation les gens achètent n’importe quoi à n’importe quel prix ; en réalité, ils « vendent » leur monnaie à moins qu’ils n’exportent leurs capitaux et ensuite, la fièvre tombée, tout rentre dans l’ordre et les difficultés restent les mêmes.
Tous ces palliatifs : déflation, inflation, dévaluation, tendent à mettre en harmonie la monnaie avec l’économie au pays ; aucun n’y parvient, car la prospérité vient du rapport entre le pouvoir d’achat global du pays et la quantité de marchandises produites, et non pas du prix de ces marchandises.
Quand le rapport est égal à 1, l’harmonie est réalisée.
La prospérité vient également de la vitesse de circulation de la monnaie et non pas de la quantité de monnaie en circulation.
Si vous créez une marchandise sans créer le pouvoir d’achat correspondant, il n’y a pas de solution ; la marchandise ne pourra pas être achetée quel que soit son prix. La cadence de production de cette marchandise dépendra de la rapidité avec laquelle le pouvoir d’achat créé pour consommer la marchandise précédente aura été utilisé.
Il faut donc que, pour chaque marchandise produite, soit créée la monnaie correspondante et que cette monnaie soit remise à ceux qui sont susceptibles de consommer cette marchandise ; ainsi disparaît la nécessité de la déflation périodique qui mettait fin aux anciennes crises cycliques.
Il ne faut pas que soit jamais créée une monnaie qui ne correspondrait pas à une marchandise mise en circulation, afin d’éviter les méfaits de l’inflation dont nous avons encore le souvenir.
Toute monnaie émise sans contre-partie en marchandise sera considérée comme fausse ; des peines sévères existent dès maintenant pour punir les faux monnayeurs. Quand la monnaie a servi à racheter la marchandise, il faut la détruire, son rôle étant terminé.
Pour éviter les à-coups et les accaparements, il faut limiter la durée de la monnaie, tout en restant dans des limites très larges. Il faut faire contrôler, par la production elle-même, la sortie de la monnaie et par les organismes de distribution, sa rentrée.
Est-il besoin d’ajouter que la monnaie, basée et gagée sur la production, n’a pas besoin de l’être sur un étalon métal, qui aurait la prétention de régir les prix de marchandises qui n’ont aucun rapport avec lui.
La production française ne doit pas être sous l’emprise de l’or sud-africain.