"En route vers l’abondance"


par  J. DUBOIS
Publication : 16 novembre 1935
Mise en ligne : 8 octobre 2006

Jacques Duboin vient de condenser en deux volumes sous un même titre « En route vers l’Abondance » le fruit d’une nouvelle année de travail et de réflexions. L’activité intellectuelle et l’énergie de l’auteur sont au service d’événements qui viennent chaque jour s’aligner sur la ligne fatale où il avait prévu qu’un implaccable destin les conduirait. Voilà dix ans que Jacques Duboin a été pris irrésistiblement par sa vocation de prophète : les réalités, d’heure en heure plus pressantes, ne lui ont infligé aucun démenti. Ceci est remarquable dans une époque où tout le monde a « fait fausse route » et où l’erreur de l’un sert à excuser l’erreur de l’autre.

Le succès porte et nourrit une pensée, surtout quand, objective comme chez Jacques Duboin, elle réclame d’être alimentée par les faits. Aussi les deux volumes dont je m’occupe ici, nous montrent-ils l’auteur en pleine maîtrise de sa doctrine et de son talent. La première est aussi vigoureuse et solide que le second est clair, léger, alerte comme il appartient aux seules bonnes plumes françaises de l’engendrer. Jacques Duboin sait convaincre et séduire, mais pour lui la première tâche c’est de convaincre. Et qui ? Tous les hommes placés dans la contradiction entre les réalités économiques et les conventions sociales, passés et aplatis, de ce fait au laminoir de misère. Une conclusion aussi cruelle et stupide intervenant comme la récompense du génie humain indigne Jacques Duboin et toute la phalange d’hommes de bonne volonté qui se sont groupés autour de lui pour un nouveau rachat des hommes, à l’encontre, cette fois, de toutes les mystiques mobilisées pour le maintien d’un état social et économique périmé au point qu’il ne présente plus que des aspects de « débâcle » et d’agonie.

Matériellement, les deux volumes d’ « En route vers l’Abondance » comprennent quatre parties.

La première consiste en une explication des phénomènes qui constituent l’ensemble de la crise mondiale dont le caractère universel est, par lui-même, significatif. C’est la « grippe espagnole » qui sévit sur la totalité d’un système économique et social. Il suffit à Jacques Duboin d’une cinquantaine de pages pour débrouiller l’écheveau de la crise et constater qu’il s’agit, en réalité, « du passage à une nouvelle civilisation ».

Toute cette partie du livre I est pensée et écrite sous le signe du pouvoir d’achat ». Le monde s’est détraqué du jour où la production a pu augmenter en même temps qu’augmentait le chômage.

C’est l’effondrement par la base de la pyramide des pouvoirs d’achat qui ne peut naître que d’une production susceptible d’être absorbée par des consommateurs solvables. Ainsi est apparu dans toute sa cruelle et indécente nudité économique et sociale un régime dont la formule est : « Qui ne vend pas ne mange pas ». L’impossibilité pour ce régime d’accomplir son acte essentiel, qui consiste à convertir les produits en argent, a déterminé la rupture de tous ses équilibres. La baisse des prix qui résume et constitue toute la crise équivaut au sacrifice progressif de tous les pouvoirs d’achat. Ceux-ci étant solidaires, il deviendra au long du temps impossible à quiconque de se sauver. Déjà l’Etat qui est partout le substitué grand fabricateur de pouvoir d’achat et porte ainsi à bout de bras la voûte de la société qu’il est chargé d’administrer, vacille sur ses bases financières et comptables et n’en prolonge la durée qu’à coups d’expédients ....

Ainsi l’abondance qui exclut le concept de « valeur » s’est substituée subrepticement à la rareté qui impose la valeur comme fait et réalité. Et l’abondance s’est ouverte sur le monde du jour où la production a augmenté pendant qu’augmentait le chômage.

Tel est l’essentiel de la doctrine si alerte et puissante de Jacques Duboin : en l’exposant, en la plaidant, il s’est acquis une notoriété dont il entend ne se servir que pour la libération de l’humanité qu’il convie à rattraper sur la route de l’intelligence sociale l’immense avance que, sur la route du progrès technique, elle a pu conquérir contre cet ennemi social qui la tenait enchaînée par la force de la tradition et la conspiration de toutes les forces de conservation qui sont, aujourd’hui, son mauvais génie.

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La deuxième partie contient une suite « d’articles » dont, dit l’auteur, « quelques-uns ont pu paraître ». L’Œuvre et la République ont, en effet, comme on sait, ouvert leurs colonnes aux exposés de Jacques Duboin. Les lecteurs de ces quotidiens retrouveront avec plaisir, sous la forme d’un volume, ces articles qui épousent au jour le jour tous les contours de la doctrine. Mais la lecture de ceux qui n’ont pas paru ou pas pu paraître sera, du fait de cette discrimination même, particulièrement suggestive.

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La troisième partie de cet ouvrage en deux tomes s’adresse au lecteur qui, de bonne foi, veut faire l’effort nécessaire pour comprendre pourquoi il s’appauvrit tous les jours. On y trouvera les éléments d’une « technique sociale » et des matériaux constructifs de la société de demain, bâtie à l’envers de toutes les conceptions juridiques qui n’avaient d’autre raison que d’interpréter la « valeur » sur laquelle reposait la hiérarchie sociale. Or, cette « valeur » n’est plus et la société qu’elle portait est moribonde en l’état de survivance où peut être un individu privé d’un de ses organes essentiels. Des aperçus très intéressants sont ainsi dégagés sur la société de loisirs et la société sans classes appelée à devenir le fait universel. Car l’humanité ne peut vivre que sous un régime à vocation universelle. Celui-ci n’éteint pas nécessairement les réactions spécifiques nationales, mais elle oblige les hommes à interpréter les mêmes thèmes et les mêmes constitutions. C’est la condition sine qua non d’une civilisation, et le drame actuel c’est justement celui d’une civilisation brisée par l’autarchie qui est, aussi, l’une des conséquences de la ruine du pouvoir d’achat et de la valeur, dont les effets se font sentir tant entre les nations qu’entre les individus.

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La quatrième partie n’est ni la moins suggestive, ni la moins actuelle puisque, dans « six lettres adressées à un cultivateur », elle dégage les raisons profondes du malaise de la terre nourricière à qui le régime veut imposer ses consignes et disciplines destinées à sauver la «  valeur » en permettant aux produits de satisfaire à l’obligation où ils sont de se vendre, condition sans laquelle ils cessent d’être réalités du régime. La doctrine de Jacques Duboin consiste à évoquer ces réalités au-dessus du régime et à les faire valoir par elles-mêmes. Les épisocles de la lutte à la fois tragique et ridicule menée par le régiune, contre l’Abondance sont trop nombreux pour qu’on puisse supposer que Jacques Duboin, esprit malicieux et puissant, n’en ait pas fait une importante et significative récolte, laquelle est la première à s’accommoder de l’abondance. Dans l’ordre de l’esprit, cette récolte ouvre la voie à toutes celles qui, dans tous les domaines, vont maintenant naître sous le signe de la fécondité et de la puissance, une fois réalisés les indispensables aménagements sociaux qui, selon la clairvoyance et le degré d’intelligence des hommes sur eux-mêmes, se feront dans la paix lucide d’un beau jour ou dans « l’horreur d’une profonde nuit ». Cette alternative témoigne de l’intérêt social et humain qui s’attache à la pensée et à la doctrine de Jacques Duboin. S’employer à les faire connaître c’est servir la seule cause qui soit véritablement commune  : celle de tous les hommes.