Vox clamans in deserto


par  J. DUBOIN
Publication : 16 novembre 1935
Mise en ligne : 8 octobre 2006

Nous donnons ci-après une page capitale du dernier livre de notre Président, En Route vers l’Abondance, qui vient de paraître et que notre éminent collaborateur Joseph Dubois analyse plus loin.

Le régime économique, qui disparaît, a remarquablement résolu le problème de la création des richesses. Leur répartition fut le moindre de ses soucis. Il ne s’est jamais borné qu’à distribuer la possibilité de se procurer de l’argent. Ceux qui peuvent se procurer de l’argent sont habilités à consommer. Ceux qui ne peuvent pas s’en procurer sont exclus du régime.

Cependant, si la production des richesses précède tout naturellement la consommation, cette dernière, néanmoins, est indispensable pour qu’il y ait lieu à production nouvelle.

De sorte que, si des millions d’êtres humains sont incapables d’acquérir les produits déjà fabriqués, toute nouvelle production devient inutile, en ce sens qu’elle n’est plus payante pour les producteurs.

Et pourquoi les chômeurs ne peuvent-ils acquérir les produits fabriqués ? Tout simplement parce qu’on n’a pas besoin d’eux pour en fabriquer d’autres.

Ces constatations font naître les questions suivantes :

Pourquoi les uns travaillent-ils, et les autres se croisent-ils les bras ?

Pourquoi laisse-t-on perdre des milliards d’heures de travail humain ?

Pourquoi, chose plus grave encore, laisse-t-on perdre des milliards d’heures de chevaux-vapeur pourquoi n’emploie-t-on qu’une partie des kilowatts-heure qui ne demandent qu’à produire pour nous ? Alors que tant d’hommes et leurs familles sont dans la misère !

On résume donc la situation en quelques mots :

La France, comme tous les grands pays supérieurement équipés, a une capacité de production qui tient du prodige. Mais cette capacité de production reste, en puissance, bien que d’innombrables besoins demeurent inassouvis.

Parce que l’aspirant-consommateur est ligoté par la capacité d’achat que lui concède la production et que celle-ci, tous les jours, exige un peu moins de travail humain. D’où arrêt de toute activité agricole, industrielle et commerciale ; et le prodigieux équipement industriel, comme les hommes, finissent par rester sans emploi.

On découvre, enfin, que l’économique devrait tenir la première place dans les préoccupations de nos contemporains.

L’économique n’est autre chose que l’étude des efforts que fait l’homme pour assurer son existence matérielle.

A l’époque la plus reculée de la pré-histoire, l’homme pourvoit seul à sa nourriture ; il s’approprie une caverne ou construit sa hutte. Dès qu’il fait troupe avec ces camarades de misère, ceux-ci se divisent le travail et se partagent les aliments. A cette seconde, ils ont créé un système économique. Certes celui-ci ne cessera pas de se développer, et surtout de se compliquer, au fur et à mesure que progressera la civilisation ; mais le but final est toujours le même : assurer le vivre, le couvert, le vêtement, l’éducation, les soins médicaux, bref le maximum de contort possible, à tous ceux qui vivent dans ce régime économique.

Aujourd’hui, les jeunes n’ont pas de travail et les vieux n’ont pas le moyen de se reposer : le système fonctionne donc mal.

Des millions de gens sont dans la misère alors que les choses utiles déjà fabriquées s’entassent inutiles : le système est devenu déplorable.

Mais voilà qu’on détruit les choses utiles déjà créées, alors que la misère gagne de proche en proche ; le système est devenu complètement imbécile car il place l’homme au-dessous du singe. L’idée ne viendrait jamais à ce dernier d’infliger la grande pénitence à ses petits sous prétexte qu’il y a abondance de noix de coco ; et un ours ne se condamnerait pas à passer l’hiver dehors, sous prétexte que les abris sont trop nombreux.

La preuve étant faite que tous les remèdes, pris dans le régime, ne peuvent qu’aggraver les choses, qu’attendons-nous pour nous évader de ce régime ? On guérit un malade, on ne ressuscite pas un mort.

Dirons-nous avec Edouard Herriot : « Je me refuse d’admettre que le peuple de France s’en aille vers je ne sais quoi, vers une sorte de Terre promise cachée par une colline de nuées [1].

Le peuple de France va découvrir, sans guide, le système économique nécessaire. Il l’aperçoit à travers M. Herriot lui-même : c’est la civilisation de l’abondance, succédant à 6.000 ans de rareté !

Les principes de cette économie nouvelle sont faciles à dégager :

La richesse d’un pays se mesure à sa puissance de fournir des produits ou des services quand, où, et comme les citoyens le demandent.

A toute augmentation des moyens de production doit correspondre une augmentation des moyens de consommation.

La science, en relevant progressivement l’homme de son dur labeur d’autrefois, a doté l’humanité d’un patrimoine commun de civilisation dont tous les hommes doivent profiter, puisque toutes les générations ont contribué à le constituer. Chacun de nous doit, en effet, à ses prédécesseurs ou à ses contemporains, la meilleure part de ce qu’il a, et même tout ce qu’il est. Ce patrimoine commun permet un affranchissement qui doit faire de la joie et non de la misère. Il suffit de répartir, entre tous, les tâches encore nécessaires et les loisirs heureux.

En conséquence, le droit aux produits et aux services doit être libéré de la considération du travail fourni [2], car si l’homme est sur la terre, c’est pour vivre : il ne doit travailler que dans, la mesure où son labeur est encore nécessaire.


[1Phrase débitée dans le discours au Congrès des Débitants à Lyon, le 23 septembre 1935.

[2Si ceci choque le lecteur, qu’il n’oublie pas que, si on continue à distribuer les biens en proportion du travail fourni, c’est-à-dire à les vendre, il ne sera bientôt plus possible de vendre quoi que ce soit.