Suivez le mouvement ! … on va vous y aider !
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Mise en ligne : 12 octobre 2006
Suivez le mouvement ! :
Cette fin de civilisation dont nous sommes témoins est bien difficile à vivre.
Il y a de quoi désespérer à voir, chaque jour, les grands médias accompagner un numéro de cirque du ministre qui ne pense qu’à sa prochaine candidature, à sentir la haine qui sourd entre les éléphants du PS, à chercher à faire le tri dans la multitude de ceux qui se voudraient l’unique candidat(e) d’une “vraie” gauche mais qui ne proposent pourtant qu’une série de réformes, alors que celles-ci sont toutes en contradiction avec le principe même de cette économie de marché (mot qui remplace celui de capitalisme) qu’ils n’osent pas mettre en cause.
D’une telle foire d’empoigne ne peut émerger aucun projet d’avenir.
Nos décideurs nous entraînent toujours plus vite dans la même voie* : il faut que la France soit plus compétitive, il faut que ses entreprises exportent le plus possible, qu’elles aient une forte croissance, laquelle sera assurément la panacée pour tous.
Ceux qui sont en mesure de leur prendre le volant ont renoncé à envisager un changement d’itinéraire, aveuglés par leur ambition personnelle ils sont incapables de prendre de la hauteur pour voir où il mène.
Peut-on encore se contenter de demander un coussin pour que les cahots soient moins douloureux aux plus mal placés ?
… on va vous y aider ! :
*… Car pour que tout le monde soit bien convaincu que c’est une voie unique, la grande presse et le discours des politiciens pourraient ne pas suffire.
Alors pour compléter ce qu’on peut franchement appeler une action de propagande en faveur de cette voie, le patronat a mis sur pied l’équivalent des ”think tanks“ américains qui ont été décrits, par exemple par Keith Dixon dans Les évangélistes du marché [1], et qui sont des institutions, largement subventionnées dans le but d’orienter l’opinion.
Le think tank des patrons français a été créé sous le nom d’Institut de l’entreprise (IDEP) en 1975, par le patron du patronat de l’époque, François Ceyrac avec l’aide du patron de la société l’Oréal. Rassemblant aujourd’hui plus de 120 personnes, pour la plupart membres de grandes entreprises ou de groupes d’entreprises, cet institut multiplie les contacts pour agir sur l’enseignement de l’économie, et par là sur l’opinioin en matière économique.
Tout commence par un institut patronal …
C’est ainsi qu’au cours des six dernières années, l’IDEP a mené des actions ciblées sur quelque 5.000 professeurs de sciences économiques et sociales afin de les amener à diffuser sa conception de la micro économie auprès des 200.000 élèves de lycée qui suivent des filières économiques. D’après J-P Boisivon, l’ancien directeur de l’Écoles supérieure des sciences économiques et commerciales (l’Essec) qui a dirigé ces actions, leur résultat serait déjà assez sensible puisqu’il rit en affirmant « qu’il n’y a plus aujourd’hui que Francis Mer pour penser que les manuels scolaires d’économie sont marxistes ». Mais cela ne lui paraît toujours pas suffisant car il ajoute : « force est de constater que l’économie enseignée ne sort guère de la vulgate keynésienne, elle est [trop] macroéconomique et donne globalement une vision … [trop] négative de l’entreprise et de la mondialisation ».
J-P Boisivon avec son équipe, ses conseillers et ses experts, a mis au point une base de documentation sur internet, puis lancé de grands “entretiens” thématiques. Les premiers de ceux-ci par exemple, ceux de 2003, portaient sur “la mondialisation et les entreprises”. Un effort particulier a été ciblé sur les 200 enseignants en économie qui ont fait des “stages d’immersion” en entreprise, de deux mois, alternant périodes dans l’entreprises avec périodes d’étude dans le Think Tank patronal où ils suivaient des cours sur, par exemple, le gouvernement d’entreprise, le client, la conjoncture, le marché. Cette mise en condition a pourtant soulevé bien des protestations : « quand nous avons lancé les stages d’immersion, avoue leur promoteur, l’ensemble des syndicats et l’association des professeurs de sciences économiques et sociales écrivaient deux fois par an à leur ministre de tutelle pour mettre fin à cette opération ». Mais J-P Boisivon se réjouit que ces protestations soient restées sans effet : « nous n’en sommes plus là aujourd’hui », il s’en félicite et en profite pour aller plus loin : « Notre pédagodie serait de toucher assez rapidement 400 à 500 enseignants… ».
« On domine d’autant mieux que le dominé en demeure inconscient. » Ignacio Ramonet, dans Propagandes silencieuses.</div |
En outre, cette propagande qu’elle sait si bien présenter comme de la pédagogie ou même de la formation, l’IDEP l’exporte auprès d’autres catégories socio-professionnelles, par exemple auprès des journalistes, des politiciens et même des syndicalistes.
Mais le pédagogue du patronat estime que c’est encore insuffisant. C’est aussi l’avis de Michel Pébereau, président à la fois de cet IDEP et de la BNP Paribas. Il fallait donc faire mieux, puisque selon les termes d’un des conseillers du ministre de l’économie et des finances : « l’acceptation d’une économie de marché fait encore débat » [2].
Quoi, la supériorité du marché pourrait être mise en doute en France ? Notre pays pourrait être une exception ? Il est insupportable qu’il puisse être en “retard” d’une telle “modernité” !
et on aboutit à un Conseil dédié à la culture économique.
Alors, notre brillant Ministre, Thierry Breton, a pris l’initiative d’aller plus loin.
Il a confié [3] à un “Conseil pour la diffusion de la culture économique” (le Codice) le soin de trouver des « vecteurs nouveaux » pour « faire progresser la culture économique dans notre pays », puisqu’il estime qu’elle y est « sous développée ».
C’est fait. Ce Conseil vient d’être officiellement lancé le 4 septembre dernier. Il a pour président Claude Perdriel, le patron de la revue Challenges, entre autres publications. Celui-ci va ainsi disposer, à Bercy, d’un budget, d’un site sur internet et d’une équipe d’une quinzaine de personnes, parmi lesquelles le délégué général du Think tank des patrons qui va lui faire profiter de son expérience, et pouvoir agir sans contestation, avec les moyens.
Il serait impensable ainsi que dans six mois au plus il y ait encore en France une seule personne qui puisse douter des vertus du marché ou ignorer que ses règles sont éternelles et universelles. Ou alors il ne s’agirait que de quelqu’un d’ignare ou d’irréaliste, à qui personne, par conséquent, n’aurait la folie de prêter attention.
[1] aux éd. Raisons d’agir, en 1998.
[2] Le Monde, 3-4/09/2006.
[3] Voir GR 1068, août-septembre 2006, page 2.