Demandez le programme ! - 2.
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Mise en ligne : 17 mai 2006
Dans la perspective des Présidentielles, François Châtel a montré, dans notre précédent numéro, que le bilan du système actuel discrèdite l’idéologie qui le soutient.
Dans cette deuxième partie de ses réflexions, il exprime son aspiration à un autre avenir et à d’autres préoccupations pour l’humanité :
Comme l’explique Albert Jacquard dans “Tentatives de lucidité” : « le schéma (de l’économie) libéral(e) classique repose sur un thème central : l’existence d’un marché où se décide le prix des différents biens. Ce schéma admet que les divers acteurs qui interviennent sur ce marché ne tiennent compte que de leur propre intérêt. C’est l’affrontement des égoïsmes qui aboutit à un équilibre global supposé optimal pour la collectivité. Si ce schéma est effectivement réalisé, il ne tient compte que des intérêts de ceux qui peuvent se manifester. Il exclut donc les humains des générations futures... Là est sans doute le vice fondamental de la théorie économique libérale : elle néglige la majorité des membres de notre espèce, ceux qui ne sont pas encore nés... L’hypothèse d’une émigration de l’humanité sur une planète neuve (étant) à exclure de nos projets, il reste à gérer en bons pères de famille, notre propriété. Cette gestion ne peut être pilotée qu’en ayant constamment à l’esprit les conséquences lointaines de nos actes du moment. Le marché prôné par les théories libérales est évidemment à l’opposé de cette attitude puisqu’il ne donne la parole qu’aux présents. Ces théories ne peuvent être réalistes que dans la mesure où les décisions d’aujourd’hui n’ont que peu de conséquences pour demain et après-demain. Cela a été le cas pendant toute l’histoire passée des hommes. Le siècle qui vient de s’achever a bouleversé ces conditions aux limites. Nous retrouvons ici la phrase de Paul Valéry, “le temps du monde fini commence” ».
Une civilisation qui situe le progrès au niveau de l’Avoir ne peut pas être représentative de l’avenir humain. Une personne adulte qui bénéficie de la liberté de choix en ce qui concerne ses propres besoins relègue l’Avoir au second plan et ne peut s’identifier qu’au progrès de l’Être. Une civilisation qui privilégie et prône la production et la consommation alors que dans le même temps l’expression démocratique est négligée, que la véritable culture est envoyée aux oubliettes et que le service public est spolié (santé, énergie, transports, éducation, ...) ne peut pas dépasser le stade du “Moi”, du passionnel, de l’adolescence nombriliste. Comment évoluer vers l’âge adulte, celui du “Nous”, de la solidarité et de l’échange, le seul capable de générer une réaction saine aux différentes menaces ?
Des résistances naissent ou se développent partout dans le monde. Elles s’opposent à cette “voie unique” proposée par l’économie libérale, à cet unilatéralisme, à cette évangélisation faisant l’apologie de la “religion” du marché. Ce nouvel élan d’opposition représenté, par exemple, par les altermondialistes, les partisans de la décroissance, certains écologistes, possède de quoi revigorer notre optimisme. Ces mouvements contestataires en lutte contre les abus du système libéral remportent certes des victoires encourageantes mais s’aperçoivent que le monstre est loin d’être terrassé. Même atteint d’une maladie incurable qui le ronge, il poursuit sa conquête de l’ensemble de l’humanité. Son agonie se manifeste par une amplification croissante de son cynisme et des expressions de violence qui l’ont toujours caractérisé.
Un programme : l’Économie distributive :
Ces mouvements ligués pour condamner le capitalisme aux oubliettes cherchent à évoluer de la contestation à l’élaboration d’un programme révolutionnaire. Ils mettent en place toutes sortes de réunions, forums, séminaires, afin de collecter les avis et élaborer des solutions alternatives. Ils tergiversent alors qu’ils ne peuvent plus méconnaître l’existence de l’économie distributive, dont ils pourraient adopter l’ensemble des principes comme base de réflexion, sinon même de programme. Parviendront-ils à oser proposer, par exemple, la séparation du revenu et du travail (ou service civil), une monnaie non-thésaurisable dont la quantité émise correspond aux biens produits, une distribution équitable selon les besoins de chacun, l’abolition de la propriété privée des moyens de production ? Ces mesures, véritables contre-pieds au capitalisme, les effraient-elles ? Doit-on s’en remettre à quelques “mesurettes” par crainte du “désordre et du terrorisme généralisés” selon leur propre discours ?
Le changement est nécessaire. Le système économique appliqué de nos jours ne peut que nous conduire dans un mur. Il n’a jamais été adapté pour s’appliquer à un environnement fermé, aux ressources limitées. Plus nous serons nombreux à refuser le suicide collectif, à rester lucides et convaincus, plus nous parviendrons à tourner le volant pour éviter l’écueil.
Cette détermination n’aura de poids et de crédit que par la résistance passive et l’action non-violente. C’est le système actuel qui se nourrit par la violence sous toutes ses formes, l’alimenter par des mouvements de révolte ou de terrorisme violent serait se jeter dans la gueule du loup. Face à un monde immature, toute opposition violente joue sur le terrain de l’adversaire. En supposant même une victoire improbable, il faut se rappeler la leçon de l’Histoire : toute révolution qui s’instaure par les armes ne peut se maintenir que par elles et par la répression violente.
Le système qui doit succéder à celui qui est devenu caduc, ne serait-ce que par ce qu’il exclut une grande partie de l’humanité, ne saurait tomber dans le même travers et se comporter en classique mouvement révolutionnaire.
Le nouveau système ne doit pas vaincre, mais convaincre.
Un programme est nécessaire et son contenu doit refléter l’objectif poursuivi : permettre à l’humanité d’évoluer vers la maturité, favoriser l’expression de l’Etre et renvoyer l’Avoir au second plan.
Ainsi, la plupart des concepts qui définissent les objectifs dans la société actuelle ne peuvent, dans la nouvelle, que se voir reclasser comme des moyens. En particulier, la monnaie doit retrouver sa place de moyen, donc n’avoir que des fonctions de mesure, de prévision et d’accès à la consommation. Et sa distribution doit être gérée par un (ou des) service(s) public(s).
Toute production de biens ou de services ne peut se comprendre qu’en termes de service rendu puisqu’elle permet de répondre aux besoins. Et toute activité humaine participant à cette production revient donc aussi à un service rendu à la collectivité.