Au fil des jours

Incohérence, précipitation, mépris,
ces trois mots résument le comportement du gouvernement de notre république
Chronique
Mise en ligne : 2 avril 2006

Ce sont d’abord les mésaventures du Clemenceau “désamianté”, voguant, tiré par des remorqueurs, d’abord en Méditerranée, d’Espagne en Grèce, puis rapatrié à Toulon, en repartant précipitamment et sous haute protection pour échapper à Green-Peace, avant de se faire bloquer à l’entrée du canal de Suez, qu’il finit par traverser après avoir convaincu les autorités égyptiennes de son innocuité et en payant le prix fort. Parvenu dans l’océan Indien, il s’approche du port où il doit être démantelé. On découvre alors seulement que les Indiens ne sont pas d’accord et le Clemenceau repart, mais cette-fois-ci en faisant un beau détour par le cap de Bonne Espérance (!), et finir, peut-être, à Brest.

Entre-temps, on aura appris qu’il n’était pas aussi désamianté qu’on le disait.

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Ignorant le résultat du référendum du 29 mai 2005, le gouvernement poursuit implacablement la mise en œuvre de la politique de compétitivité de l’Union européenne. Pas assez vite au gré des autorités de Bruxelles qui « dénoncent l’insuffisance des réformes du premier ministre français » [1]. La Commission note que « le manque d’objectifs quantifiés, d’évaluations d’impacts et d’informations plus détaillées sur les conditions de mise en œuvre de certaines mesures limite le caractère prospectif et opérationnel du programme », que « les mesures présentées en matière de finances publiques ne permettront pas de ramener le déficit sous la barre des 3% [...], qu’un effort accru d’assainissement budgétaire semble indispensable pour garantir la viabilité des finances publiques à long terme » ; même diagnostic en matière de retraites et de santé. Par contre, en matière d’emploi, la Commission se réjouit de la création des contrats nouvelle embauche (CNE), regrettant pourtant que « les aspects liés à l’investissement dans le capital humain ne soient pas abordés de manière explicite » et souligne que « le développement d’une stratégie globale pour l’emploi des seniors reste un défi pour la France [...] et que « les efforts pour assurer la consultation des acteurs concernés auraient pu être intensifiés ».

Cette dernière remarque de la Commission a été considérée comme inopportune par le Premier ministre. Oubliant ses engagements de concertation, tant avec les partenaires sociaux (malgré une loi de mai 2004), qu’avec les parlementaires de sa propre majorité, qu’il a mis devant le fait accompli, il a précipité l’examen de son CPE par l’Assemblée nationale en utilisant le projet de loi sur l’égalité des chances, précédemment adopté par le Conseil des ministres et il n’a pas hésité à recourir à l’article 49-3 de la Constitution pour raccourcir les débats... Comptant sur “l’effet vacances” pour démobiliser les étudiants, il espérait contrer du même coup les syndicats... Il a déclaré à ce propos : « Notre électorat ne comprendrait pas que nous retirions ce projet », chose surprenante de la part d’un chef de gouvernement : prend-il ses décisions au bénéfice de son seul électorat ou bien de tous les Français concernés ?

Le chef de l’État, lui, a déclaré que la loi ayant été votée il faut l’appliquer, ce qui est dans l’ordre des choses. Mais alors que penser de la décision de ramener à 35 % part de l’État dans le capital de Gaz de France, sachant qu’une loi votée en août 2004 garantissait qu’elle ne passerait pas au dessous de 70 % ? Cette mesure est destinée à permettre le mariage de GDF avec Suez, afin de contrer l’offre publique d’achat lancée sur ce groupe privé par une société privée italienne, OPA qualifiée d’agression contre la France par le gouvernement, qui déclare agir ainsi par patriotisme économique. Mais c’est tellement incohérent avec les traités signés et basés au contraire sur la “concurrence libre et non faussée”, que les autres pays de l’Union européenne se mobilisent contre lui à Bruxelles, dénoncent le nationalisme industriel de la France, l’accusent de « protectionisme démagogique » et de « construire des lignes Maginot politiques ».

Cette fusion nous a valu aussi quelques révélations, telle que : « la fusion GDF-Suez donnerait naissance à un grand électro-gazier européen ». Mais n’existait-il pas, il y a peu, un grand groupe électro-gazier qui s’appelait EDF-GDF et qui a été démantelé précisément au nom de la libre concurrence ?

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Un enseignant-chercheur en biologie moléculaire, Christian Velot, faisait partie de la délégation qui est allée au Sénat écouter les débats sur le projet de loi autorisant les OGM. Ayant du mal à s’en remettre il témoigne : « Des 331 sénateurs que compte le Sénat, seuls 49 étaient présents à l’ouverture de la séance et il n’en restait plus que 35 une demi-heure après. Brouhaha incroyable. Personne ou presque n’écoute l’intervenant qui lit son discours. Pas un seul sénateur n’avait le projet de loi sous les yeux. Raffarin et ses potes ont passé leur temps de présence (environ 30 minutes) à causer entre eux et à se marrer, certains tournant carrément le dos à l’intervenant. D’autres remplissaient des dossiers, regardaient leur agenda ou comparaient des photos. Mais, à la fin de chaque intervention, et uniquement lorsqu’il s’agissait d’un intervenant de leur groupe, ils applaudissaient comme des automates. Les âneries de ceux qui défendaient le texte étaient à la hauteur de leur méconnaissance du dossier... Quant à ceux qui étaient censés intervenir contre le texte, ils n’avaient probablement pas lu le projet de loi ou n’avaient pas vraiment envie de s’y opposer ».

Pauvre démocratie !


[1Le Monde, 25/01/2006.