Au fil des jours
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Mise en ligne : 16 février 2006
In-dé-crot-ta-bles !
On pouvait lire dans l’éditorial du Monde du 17 janvier, intitulé “Le pari de l’emploi” que « le devoir d’un gouvernement, qu’il soit de gauche ou de droite, est de tout entreprendre pour éradiquer le mal », c’est à dire le chômage, dont le taux (officiel) est encore à 9,6%. Et l’éditorialiste ne peut s’empêcher de louer le dernier plan du Premier ministre, consistant à détruire systématiquement le code du travail en précarisant de plus en plus le contrat de travail. « Sans se soucier d’éventuel procès en libéralisme », s’extasie-t-il, « en matière de lutte contre le chômage, le Premier ministre fait sien le principe de Tony Blair selon lequel “ce qui compte, c’est ce qui marche” ».
On verra ci-dessous ce qu’il en est du miracle britannique. Notons pour l’instant qu’après nous voir décrit les nouvelles mesures de Dominique de Villepin, notre éditorialiste se prend tout à coup à douter : « Mais le combat est loin d’être gagné. Le chômage baisse principalement grâce au départ à la retraite des premières générations du baby-boom mais l’emploi ne repartira sérieusement que lorsque les conditions de la croissance seront réunies ».
La fin d’une illusion
Margaret Hodge, Ministre britannique de l’emploi, a décidé de « réintroduire dans comptabilité du chômâge et donc de tenter de remettre sur le marché du travail » (?) un tiers environ des 3 millions d’inactifs en âge de travailler, mais bénéficiant, jusqu’ici, d’une allocation dite d’incapacité [1]. Selon la Ministre, le statut de “malade de longue durée” serait un biais habile pour dissimuler les vrais chiffres de l’emploi. Officiellement le Royaume Uni compte moins de 5% de chômeurs, mais sur une longue période (de 1975 à nos jours) il n’a pas créé plus d’emplois que la France.
Intox journalistique
« L’Irlande, meilleur élève de l’économie européenne », tel était le titre s’étalant sur toute une page de la rubrique “Économie et entreprises” du Monde [2]. Les trois quarts de l’article vantaient en effet les bons résultats de l’économie irlandaise (suivant les critères néolibéraux, bien sûr) : d’abord « les deux indicateurs clés pour toute nation européenne, la croissance et l’emploi » : meilleur taux de croissance de la zone euro, second PIB par habitant après le Luxembourg, taux de chômage le plus bas de l’Union européenne, accueil permanent de nombreux émigrants (dont la majorité viennent de Pologne ou des pays baltes et jouissent d’un accès quasiment libre au marché du travail), flexibilité du marché du travail, notamment en matière de licenciement, enfin (et surtout) régime fiscal attractif (impôt sur les sociétés le plus faible d’Europe, prélèvements obligatoires inférieurs à la moyenne de l’Union européenne), etc. Le paradis en quelque sorte... Mais, comme toujours, il ne faut pas se borner à lire le titre des articles de ce genre de rubriques, pour se faire une idée de la réalité. Car si l’on continue à lire, on découvre aussi que « la compétitivité de l’Irlande, réduite par la hausse des coûts de production, est passée du 4ème au 30ème rang mondial entre 2000 et 2005 », que l’inflation tend à déraper, que l’immobilier flambe, que l’endettement des ménages atteint 133% de leurs revenus annuels, que les services de santé sont en retard, que l’éducation doit être relancée, que les dépenses de recherche sont insuffisantes (moitié moindre que celles de la France) et que ses infrastructures sont à la traîne...
Démocratie ? qu’est-ce que c’est ?
Lors de sa rencontre avec J. Chirac, à Versailles le 23 janvier, la Chancelière allemande, Angela Merkel, a déclaré que l’Allemagne ne voit pas de raison pour l’Europe de renoncer au traité Constitutionnel. Le lendemain, José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, reçu à l’Assemblée nationale française, s’est permis d’ironiser sur le “malaise” français, qui serait du au vote Non des électeurs et il n’a pas craint d’annoncer que la directive Bolkenstein serait adoptée par les institutions européennes : « ce n’est pas en dénigrant l’entreprise, a-t-il dit, qu’on créera de la croissance et de l’emploi » (applaudissements nourris sur les bancs de l’Assemblée).
Pendant ce temps, la Commission donne, dans son jargon technocratique mais néanmoins diplomatique, son avis sur le programme de réformes que lui a transmis en octobre le gouvernement français ; elle note que : « le manque d’objectifs quantifiés, d’évaluations d’impact et d’informations plus détaillées sur les conditions de mise en œuvre de certaines mesures limite le caractère prospectif et opérationnel du programme ». En ce qui concerne les finances publiques : « les mesures présentées ne permettront pas de ramener le déficit public sous la barre des 3% [...] Un effort accru d’assainissement budgétaire semble indispensable pour garantir la viabilité des finances publiques à long terme ». En matière de retraites et de santé : « ces réformes vont dans la bonne direction même si elles sont insuffisantes pour assurer la viabilité à long terme des finances publiques ». Enfin : « le développement d’une stratégie globale pour l’emploi des seniors reste un défi essentiel pour la France ».
En d’autres termes, on veut nous faire avaler tout ce à quoi les Français ont dit massivement Non le 29 mai 2005.
Et le droit constitutionnel ?
Dans son préambule, rédigé en 1946, la Constitution Française proclame que : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». Arguant que les pouvoirs publics doivent faire appliquer la Constitution de la République, un conducteur de car breton, placé à mi-temps contre son gré par son employeur, a demandé à la Préfecture de son département de lui payer la différence entre son salaire et celui d’un plein temps. La Préfecture lui ayant répondu qu’elle n’avait pas un devoir de résultats en la matière, le conducteur a saisi le tribunal administratif de Rennes, attaquant l’État pour non respect de son droit à travailler. On ne connaît pas encore le verdict du tribunal, mais c’est un exemple à suivre.