Les yeux s’ouvrent

Actualité
par  M.-L. DUBOIN
Publication : juin 2019
Mise en ligne : 29 octobre 2019

Quand on pense à toutes les connaissances que l’humanité a su découvrir et accumuler en les transmettant, on peut se dire qu’elle est sans doute la plus ingénieuse des races animales vivant sur terre. Mais le manque de scrupule dans la façon dont elle a utilisé ses savoirs pour arriver à la situation actuelle, richesses naturelles pillées, atmosphère et océans asphyxiés par la pollution, incite généralement à rejeter la responsabilité de ce gâchis à ce qu’on désigne par la “nature humaine”, prétexte vague pour laisser faire en se persuadant qu’on n’y peut rien…

Heureusement, cette attitude défaitiste n’est pas générale. De plus en plus de monde a le courage de chercher à comprendre ce qui a conduit l’humanité à ce comportement tellement absurde qu’il l’a amenée à une situation devenue suicidaire.

’’

Parmi ces gens courageux, je veux saluer un certain Jean-Marc Sérékian auteur d’un livre dont le titre est Capitalisme fossile. Je ne pense pas qu’il y ait lieu de s’étonner que cet auteur soit un médecin et non pas un économiste ou un politicien, ni que le sous-titre soit De la farce des COP à l’ingénierie du climat, ni que l’éditeur soit Utopia, dans sa collection Ruptures…

Il faudrait que tout le monde lise ce livre parce qu’il explique parfaitement, mais simplement, en s’appuyant sur une foule de faits indéniables, ce qu’est le véritable responsable de la situation actuelle  : l’esprit du capitalisme.

Dès l’introduction, il s’attache à regarder le monde comme il va en constatant que la science et ses techniques performantes permettent aujourd’hui « d’établir un pronostic précis et d’évaluer la proximité temporelle de la fin catastrophique de la civilisation. Trop de voyants flashent dans le rouge depuis trop longtemps ». Ce qui n’empêche pas que beaucoup de savants soient dans la Lune, que les économistes médiatiques tablent « sur un ou deux points de croissance pour qu’enfin les plus démunis puissent connaître un peu de “justice sociale” » (?!), et que les bons patrons français, fidèles à leurs convictions, attendent de Macron qu’il dynamise l’économie et renoue avec le plein-emploi. « Les promesses sont vertigineuses même si… cette révolution “En Marche” prépare l’explosion du chômage de masse de demain » !!

Seul point noir au tableau, les laborieux savants du GIEC. Ils font grise mine, par exemple par leur avertissement lors de la COP 23 qui tentait de rappeler l’état « de délabrement avancé de la planète » mais sans aller jusqu’à en préciser la cause : « aucun effort de synthèse de leur part » dénonce notre médecin, qui en conclut : « il va falloir la trouver nous-mêmes ». Et il souligne au passage que l’article publié alors par Bioscience signalait bien la déforestation massive qui s’est accélérée après ce fameux premier Sommet de la Terre des nations Unies, mais omettait de préciser que « c’est la Banque mondiale qui a massivement financé ce désastre environnemental, à la fois par sa politique aveugle de soutien aux grands barrages et sa fumeuse politique “d’aménagement et développement forestier” car, pour aider les élites (milliardaires) des “pays pauvres” à mettre en coupes réglées des centaines de milliers d’hectares de forêt primaire impénétrable, il fallait massivement financer les aménagements routiers, portuaires et logistiques nécessaires à la mise en branle de la foresterie industrielle ».

Il en arrive ainsi à s’interroger sur la raison pour laquelle les COP « tournent inlassablement comme des moulins à prières collectives ».

Il trouve une première approche dans la réflexion d’un Pasteur théologien de l’université de Zurich, Walter Hollenweg, que cite Jean Ziegler dans son livre Les nouveaux Maîtres du Monde et ceux qui leur résistent (Fayard, 2002) : « La cupidité obsessionnelle des riches de chez nous (en Occident) alliée à la corruption pratiquée par les élites des pays dits en développement constitue un gigantesque complot de meurtre ». Il n’y a dons pas échec des COP, mais imposture. Il n’y a pas d’un côté des pays riches responsables à 99% du sort imposé aux écosystèmes, et de l’autre, des pays pauvres et exploités, « mais un seul capitalisme mondialisé nommé “complot de meurtre” par le théoricien zurichois, qui n’a pas peur des mots… Alors pourquoi ces grands-messes de mise en scène d’une volonté de lutte collective contre le dérèglement climatique ? ».

Pour répondre, il faut se référer, là encore, « au monde comme il va », à « l’organisation industrielle du mensonge, qui fait désormais partie intégrante du Capital au XXIème siècle ». La cause historico-économique de la crise environnementale et de « la grande accélération du saccage des écosystèmes et de la sixième extinction des espèces » correspond « à la mondialisation forcée du modèle américain, avec l’utilisation massive des énergies fossiles. L’esprit du capitalisme en est le maître d’œuvre ».

Et dans deux chapitres, intitulés “Repères de malfaiteurs menteurs” et “Quand cessera la farce des COP ?”, notre auteur entreprend un rappel critique des conférences internationales qui, depuis 1960, prétendent se pencher sur les problèmes environnementaux, en soulignant au passage le rôle des États-Unis qui « gardent leur leadership dans tous les domaines ».

Notons la fameuse formule prononcée par Hugo Chavez lors du fiasco de la COP 15 : « décidément le climat n’est pas une banque, en conséquence les volontés manquent pour le sauver ».

Et retenons cette conclusion : « Malgré plus de cinquante ans de bonne volonté manifestée par la communauté internationale et les Nations unies, il est encore aujourd’hui plus facile de produire du pétrole et des automobiles que de fournir de l’eau et du pain pour satisfaire les besoins élémentaires d’un être humain ».

Notre médecin se penche alors sur ce qu’il appelle “les folies fossiles des sixties” et constate que « tout ce que les sciences et les techniques annonçaient comme de grandes promesses de bien-être et de libération s’est instantanément transformé en autant de menaces environnementales et que, tout aussi vite, il y eut une conscience écologique claire et totale du drame, anticipant largement les catastrophes futures ». Mais cette prise de conscience fut sans effet.

L’esprit du capitalisme

J-M Sérékian se concentre alors sur “l’éminence grise” qui agit « derrière le modèle économique étatsunien qui unifie et verrouille le marché mondialisé d’aujourd’hui » : “l’esprit du capitalisme”.

Pour montrer de façon éloquente, ce que Naomi Klein a décrit en 2008 comme le capitalisme du désastre, il rappelle de nombreux faits, en une trentaine de pages, dont le passage suivant décrit en deux mots ce qu’est cet “esprit du capitalisme” : « Après les ravages en Asie du tsunami de décembre 2004, un haut responsable de l’administration américaine a exprimé en public sa grande satisfaction en deux mots seulement : “merveilleuse opportunité” ».

Ainsi le désastre humanitaire (250.000 personnes périrent dans ce raz de marée) fut perçu comme une chance pour les les milieux d’affaires étatsuniens !

À quand remonte le début de ce nouvel “ordre économique” ?

Pour les historiens du monde occidental, à la fin du Moyen-Âge, dès la montée en puissance des marchands banquiers, car le capitalisme était déjà un désastre humanitaire et environnemental. Les conséquences humaines de l’expropriation féroce des paysans dans l’Angleterre des XV-XVIème siècles furent épouvantables : quand l’élite anglaise a décidé d’entrer dans le marché de la laine et des draps, des milliers de villages furent rayés de la carte comme par un tremblement de terre : les paysans, chassés par des moutons, en furent transformés en vagabonds. Ce sont « les premiers migrants économiques des temps modernes ».

Mais notre auteur souligne que la boucherie qu’a été la Grande Guerre de 14-18 « fut pour les milieux d’affaires, la haute finance, la grande industrie et les compagnies pétrolières l’une des plus “merveilleuses opportunités” de l’histoire contemporaine »…

Aujourd’hui, le modèle économique du capital a pris la forme dite du néolibéralisme, décrite en ces termes de l’École de Chicago : « pour la liberté des transnationales, il faut aplanir le résidu de lutte des classes ou mettre en fuite les populations locales. »

À bons entendeurs…


Navigation

Articles de la rubrique