Vivre de son travail ?

Actualité
par  M.-L. DUBOIN
Publication : février 2019
Mise en ligne : 25 mai 2019

« Pourquoi ne pas décider que les manifestations ne pourront se tenir que dans les lieux choisis par le pouvoir et que les revendications non déclarées à la préfecture trois jours à l’avance au moins exposeront leurs auteurs à des sanctions pénales ? » Telle est la question que pose Étienne Tarride, avocat honoraire et ancien membre du Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris.

Jusqu’où, en effet, va aller le gouvernement pour poursuivre sa politique au mépris des critiques qui viennent de partout  ? Il fait tout ce qu’il peut pour faire taire les protestations. Mais, bien que personne n’ait naturellement envie de recevoir des coups, les répressions policières armées et la loi anticasseurs n’y sont encore que modérément parvenues. Son offensive actuelle pour discréditer le mouvement des gilets jaunes est destinée à faire passer tous ceux qui contestent pour des casseurs et des antisémites ; elle est soutenue par de nombreux médias et peut sembler plus efficace. On verra. Quant au “grand débat” organisé par le président de la République, on s’aperçoit qu’il lui permet de mener sa propre campagne, c’est pourquoi des voix s’élèvent pour souligner qu’il en profite en accaparant indûment les médias. En ce qui concerne un référendum, il en est bien question, mais on peut douter de son effet parce que la façon dont il sera tenu compte de son résultat n’est jamais précisée. D’autant plus qu’on observe que des réformes essentielles, que ce soit sur les retraites, la fonction publique, l’enseignement, etc., sont accélérées et il est prévu qu’elles seront prises avant l’été, avant toute concertation publique.

Mais même si les gilets jaunes tiennent le coup et arrivent à se faire entendre malgré leur manque d’organisation, il reste que pour beaucoup d’entre eux, la revendication déterminante est « nous voulons que notre travail nous permette de vivre ». Est-ce encore possible ? Que la politique libérale des gouvernements de ces quatre dernières décennies ait aggravé la situation, c’est une évidence, et le semblant de diminution du nombre de chômeurs en France ne peut pas faire illusion face à “l’uberisation”, à l’échec d’un nombre croissant “d’auto-entrepreneurs” et à l’accroissement manifeste du précariat. Et cette politique catastrophique vient encore d’être renforcée, le 22 janvier dernier, par le traité d’Aix-La-Chapelle entre la France et l’Allemagne. Signé fort discrètement, ce traité donne pour cadre officiel à la coopération franco-allemande le modèle économique libéral libre-échangiste, c’est dire qu’il conduit la France à la soumission pure et simple aux règles du capitalisme allemand.

Or l’obligation de gagner par son travail de quoi vivre est à la base-même du capitalisme, alors que ce n’est plus possible pour tout le monde : les entreprises internationales, géantes, ont la main sur l’essentiel des productions, elles emploient de moins en moins de personnel parce qu’elles n’en ont pas besoin, et les petites entreprises ne peuvent pas rivaliser avec elles. C’est ainsi que, dans le monde d’aujourd’hui, un milliard d’êtres humains sont considérés comme des “déchets” parce qu’inutiles, et l’évolution de plus en plus rapide des techniques de production promet d’élargir encore ce désastre.

Le travail de ces humains laissés pour compte est déclaré inutile parce qu’il n’est pas “rentable”. C’est bien là que se situe le drame, car ces gens sont capables d’assumer toutes sortes d’activités fort utiles mais non rentables. Voilà pourquoi, puisque le monde tel qu’il fonctionne est capable de produire sans eux de quoi leur fournir de quoi vivre, il est urgent de garantir à tous, même pendant les périodes où ils sont sans emploi “rentable”, un revenu suffisant pour vivre et s’épanouir en exerçant ces activités utiles mais “non rentables”.

Et justement, le livre que Gabriel Charmes vient de publier (voir ci-dessous) tombe à pic sur ce sujet brûlant de l’actualité : il faut d’urgence le faire lire à tous les gilets jaunes pour qu’ils comprennent quelle page de l’histoire du monde est en train de tourner et qu’ils orientent leurs revendications de façon réaliste.