Au fil des jours

Chronique
par  J.-P. MON
Publication : mai 2017
Mise en ligne : 27 septembre 2017

Une Europe plus sociale ?

« Depuis les années 1990, les institutions européennes semblent avoir placé leur totale confiance dans la fable des marchés autorégulateurs censés procéder par eux-mêmes à l’allocation optimale des ressources. Ce fut la principale erreur de conception de l’Union économique et monétaire européenne. Avec la crise, certains responsables politiques semblent aujourd’hui en revenir » [1] . En effet, comme le montrent les chiffres, au lieu de converger, les économies des pays de l’UE n’ont cessé de diverger… C’est peut-être ce constat qui, devant la prise de conscience du “déclassement” des classes populaires et de la montée concomitante de l’europhobie, a poussé la Commission européenne a entreprendre l’étude d’un « socle des droits sociaux » censé renforcer les droits et les protections des citoyens européens. Ce socle social énonce une vingtaine de grands principes concernant les mêmes opportunités d’accès pour tous au marché du travail, des conditions de travail équitables et une protection sociale plus « inclusive ».

La Commission se prononce en outre pour la mise en place dans chaque État-membre d’un salaire minimum qui prenne en compte les évolutions du niveau de vie et des besoins élémentaires des travailleurs.

Il y a cependant peu de chances que ces propositions se concrétisent. Car en matière sociale, contrairement à ce que l’on entend souvent, ce sont les États-membres qui disposent du pouvoir : la Commission n’a pas autorité pour imposer un revenu minimum ou une assurance chômage européenne et jusqu’à présent les États ont bloqué toute tentative d’harmonisation.

La fin des partis ?

Si, comme le révélait un sondage Harris interactive réalisé en avril 2016 pour la Chaîne parlementaire, les Français jugent les partis politiques « nécessaires, notamment pour permettre à toutes les sensibilités politiques d’être représentées et pour organiser les campagnes électorales », ils les considèrent cependant comme menteurs et les jugent incapables d’innover et de réformer. D‘après le Baromètre 2017 de la confiance politique [2], 89% des personnes interrogées estiment que « les élus ne se préoccupent pas de ce qu’elles pensent » et 67% qu’ils se soucient d’abord des riches et des puissants. La chute en 10 ans du nombre des adhésions aux grands partis (- 200.000 au PS, - 130.000 à l’UMP-Les Républicains) constitue une sévère confirmation des jugements exprimés dans ces enquêtes. « Aujourd’hui, beaucoup de partis politiques sont des formations “attrape tout”. Ils cherchent à fédérer une large base électorale et opèrent des rapprochements idéologiques inattendus – c’est le cas par exemple du Parti Socialiste qui a abandonné toute référence à la lutte des classes. Ils sont dans la plupart des pays européens (en France depuis 1989), financés par des fonds publics et, en verrouillant un système électoral qui les favorise, se partagent le pouvoir d’État malgré d’éventuelles alternances politiques » [3].

Il n’est donc pas étonnant que dans un tel contexte apparaissent de nouvelles formations antisystème dont « les plus récentes se proposent de renouveler la démocratie et l’offre politique en dépassant les vieux clivages d’alternance – droite et gauche, socialisme et libéralisme – mais aussi en s’appuyant sur les réseaux et les possibilités de s’exprimer et de se fédérer massivement grâce au Web »4. C’est, bien sûr, le cas du mouvement “En marche !” (240.000 adhérents le 6 avril) et de celui de La France insoumise (430.000 soutiens sur sa plate-forme le 20 avril) qui montrent que la militance peut se développer en dehors des partis traditionnels.

Les prochaines élections législatives montreront s’il s’agit ou non d’un simple phénomène intermittent ou d’un profond changement.

Une synthèse créatrice

Les résultats de l’élection présidentielle ont montré à l’évidence que l’alternative droite-gauche classique est incapable de répondre aux défis sociaux, économiques et environnementaux du monde futur. La campagne électorale ne les a même pas abordés. Pour le paléoanthropologue, Pascal Picq, professeur au Collège de France, ces défis sont : « cinq générations vivant ensemble, une maîtrise médicale et technique sur tous les aspects de la vie, une multiplicité de formes familiales, une appétence effervescente des jeunes générations pour l’entreprenariat, une dissociation croissante emploi-rémunération-travail avec en toile de fond le revenu universel (dont on n’a pourtant jamais autant parlé dans le monde) et la formation, les bouleversements dans tous les métiers de la conception à la commercialisation en passant par les modes de production, une pensée écologique globale alors que la majorité des humains s’urbanise massivement, une médecine qui mute en passant du paradigme de la santé à celui de soin et enfin les questions de citoyenneté » [4] .


[1C. Degryse, Institut syndical européen, Bruxelles.

[2Centre de recherches politiques de Sciences Po.

[3Richard Katz et Peter Mair, Changing Models of Party Organization and Party Democraty , The Emergence of the Cartel Party , Sage Journals, janvier 1995.

[4P. Picq, Bâtir vite un vrai parti progressiste, Le Monde, 7- 8/ 05/2017.