Le loup dans la bergerie

Opinion
par  M.-L. DUBOIN
Publication : juillet 2016
Mise en ligne : 2 novembre 2016

Maître de conférences de “science politique ” à l’Institut d’Études politiques de Lyon, Philippe Corcuff reconnaît le rôle de M. Rocard dans la naissance de la “deuxième gauche”, mais il prétend que c’est sa foi dans les vertus de l’économie de marché qui a contribué, vingt ans plus tard, à désarmer la gauche face au tournant libéral :

Philippe Corcuff se définit comme « social-démocrate libertaire et anarchiste pragmatique, anticapitaliste et anti-étatiste ».

Auteur de Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard, il a titré sur son blog de médiapart un article intitulé : Pour en finir avec le rocardisme et le mitterrandisme : pour une nouvelle gauche, dans lequel il expose son point de vue personnel de l’histoire de la gauche. Pour lui, qui a adhéré au PS en 1977, Rocard y a incarné « une certaine renaissance de la gauche dans les années 1960, dans la double critique de l’implication de la SFIO dans la meurtrière guerre coloniale en Algérie et du stalinisme dominant encore le PCF ». Il estime que l’anticapitalisme « y dominait encore (à travers l’hégémonie des discours marxistes sur la gauche française), mais que déjà pointait également, justement à travers des figures comme Rocard (initialement inspecteur des Finances), une vision technocratique de l’économie, qui sera de plus en plus attirée par le référentiel de “l’économie de marché” ».

Il ajoute : « ce qu’on appellera à partir de 1977 “la deuxième gauche” aura comme figure politique Rocard et comme pôle organisationnel la CFDT. Deux de ses théoriciens principaux seront Pierre Rosanvallon et Patrick Viveret ».

Il poursuit (sans excès de modestie) : « nous avions été parmi les rares a bien identifier très tôt le risque d’enlisement social-libéral. Rocard a ainsi lancé dès octobre 1976, lors d’un colloque du magazine “L’Expansion“, face à des patrons français : “le système de régulation restera le marché (…) on ne biaise pas avec le marché, sa logique est globale”. » [*]

Et il conclut : « Cette réhabilitation du marché comme valeur cardinale de la gauche a contribué à la désarmer au moment de la révolution néolibérale des années 1980… la “deuxième gauche” avait fait entrer le loup néolibéral dans la bergerie de la gauche. »


[*p. 182 dans Les socialistes face aux patrons, éd. Flammarion, Paris, 1977,