Mieux que des discours, des arbres !

Réflexion
par  H-C MATTON
Publication : janvier 2016
Mise en ligne : 12 avril 2016

Pour que l’agriculture soit “rentable”, ce n’est pas seulement les paysans qui ont été décimés : nos campagnes ont été déboisées pour faciliter le passage de gros tracteurs. Henri-Claude Matton montre qu’y replanter des arbres serait plus efficace contre le réchauffement que tous les discours autour de la COP21 :

La énième grand-messe censée résoudre les problèmes liés aux débordements consuméristes de nos pays dits développés s’est tenue à Paris le mois dernier. En dehors des habituels thuriféraires de ce genre de manifestation, il y a bien peu de gens qui croient à un grand mouvement d’ensemble des pays les plus polluants afin de limiter l’augmentation de température aux fatidiques 2°C, au-delà desquels les prévisions les plus alarmistes ne donnent pas cher de notre peau. La preuve, c’est le peu d’engouement de la population du pays d’accueil : dûment consultée par sondage, elle a révélé un enthousiasme mitigé pour la chose. Tout juste 20% des sondés estiment que le réchauffement planétaire est une question primordiale par les temps qui courent, en tout cas loin derrière le problème du chômage et les difficultés attachées à cette situation. Ce n’est pourtant pas faute des admonestations de longue date des scientifiques (rappelons-nous le club de Rome) relayés depuis peu par la presse, rabâchant l’antienne des nuages noirs des pollutions de toutes sortes qui planent par-dessus nos têtes bien peu pensantes et vont rendre notre planète inhabitable. Ces seuls 20% convaincus de l’urgence de la question environnementale témoignent une fois de plus du hiatus qui sépare nos dirigeants de la population. Ou plutôt, peut-être que les gens ne croient plus aux discours des politiques manipulés par des intérêts privés bien éloignés de celui des peuples.

Aucun bouleversement tellurique majeur, d’où aurait jailli miraculeusement une conscience environnementale universelle que l’on n’aurait pas perçue, loin de là sur les pentes immaculées du dernier Davos, ne s’étant produit, il n’est ressorti de cette nouvelle grand-messe que ce qui ressort habituellement de ce genre de chose. Du vent !

Au siècle dernier, en 1936, l’auteur du Meilleur des Mondes, Aldous Huxley, avait commis un autre roman, La Paix des profondeurs d’où j’extrais ces quelques lignes révélatrices : « Les États et les nations n’existent pas en tant que tels. Il y a seulement les gens. Les nations ne modifieront pas leurs politiques nationales à moins que les gens ne modifient auparavant leurs politiques individuelles. Tous les gouvernements, même ceux de Hitler, Mussolini, Staline sont représentatifs, projection à grande échelle du comportement individuel d’aujourd’hui, des intentions et des désirs secrets de l’individu ». En bref, on a les politiques qu’on mérite. En fonction des personnages visés, l’affirmation de Huxley peut paraître quelque peu déplacée, mais ceux-ci n’avaient pas encore, à cette époque, donné la pleine mesure de leur nuisance. Et pourtant aujourd’hui, modifier nos politiques individuelles serait bien plus important que les blabla des grandes réunions internationales.

C’est d’ailleurs une évolution qui s’installe dans les populations, trop peu et trop lentement bien sûr, mais la tendance y est. S’il est un domaine où les choses pourraient bouger rapidement et favorablement, c’est l’agriculture.

La déforestation est donnée aujourd’hui comme un problème majeur dans le réchauffement climatique en cours, cité parmi les frontières vitales dorénavant dépassées, les grandes forêts pluviales d’Amérique du sud et du Sud-est asiatique décimées et promises à la latérisation, aux productions d’agro carburants ou de palmiers, dont certaines renferment des espèces endémiques perdues à jamais pour la science et la biodiversité.

Plus près de nous, les départements du Nord et du Pas-de-Calais envisagent un reboisement de trois mille hectares qui est loin de remplacer ce qui a été détruit à partir de la fin de la seconde guerre mondiale  : arrachage subventionné des fruitiers, destruction du bocage pour implanter du maïs et faciliter le passage d’engins comme ceux qui sillonnent actuellement nos campagnes et devaient assurer à leurs propriétaires des gains de productivité décisifs dans la guerre économique, chère à nos économistes en chambre. On sait ce qu’il en est.

Depuis une vingtaine d’années, la recherche agronomique travaille sur l’association arbres et cultures (céréales, vergers, parcours d’élevage) sur une même parcelle dans une cohabitation harmonieuse, mêlant les objectifs économiques et les nécessités environnementales, en un mot “l’agroforesterie”.

L’affaire n’est pas nouvelle, dans la première moitié du 20éme siècle, l’arbre était présent dans le paysage agricole, notamment dans les zones bocagères, mais aussi en grande culture, fruitiers majoritairement, pommiers de haute tige, noyers… jusqu’aux années 70 où la mécanisation, associée à la spécialisation en matière de production, a fait un sort à ce qu’on n’appelait pas encore l’agroforesterie.

La plantation d’arbres de valeur en tant que bois d’œuvre ou fruitiers dans une parcelle destinée à des productions classiques ou au pâturage, dans la mesure où l’orientation, l’espacement, l’alignement sont pris en compte pour la valorisation d’ensemble des productions associées, représente selon l’INRA de Montpellier une solution particulièrement efficace pour limiter la pollution et économiquement rentable pour l’agriculture, selon la formule « économiser en dépolluant ».

Indépendamment des mesures issues de la COP 21, l’Union Européenne s’est fixé une réduction des gaz à effet de serre de 20% (par rapport au niveau de 1990) à l’horizon 2020. Si l’on ajoute que l’Europe est un potentiel agroforestier de 90 millions d’hectares, on peut mesurer l’importance de l’enjeu. Selon la densité d’arbres (50 à 100), le stockage moyen de carbone par hectare oscille entre 1 et 2 tonnes et compte tenu de la relation carbone-CO2, une tonne de carbone stocké dans le sol, c’est l’équivalent de 3,67 tonnes de CO2 capturé, l’agriculture est donc potentiellement l’atout majeur dans la lutte contre le réchauffement planétaire, à terme d’une vingtaine d’années et, a fortiori, au-delà. Même si, accompagnée d’une campagne de vulgarisation et d’aides spécifiques, on n’obtient que 10 à 20% de ce potentiel dans un premier temps, c’est bien un vrai challenge qui s’offre aujourd’hui aux agriculteurs, dorénavant acteurs potentiels de la lutte contre la pollution atmosphérique, après avoir été trop longtemps adeptes du monde selon Monsanto.

En contribuant à ce challenge, l’agriculture renouera avec la tradition qui fut la sienne : nourrir la population tout en participant au maintien de la biodiversité. Les études menées depuis une vingtaine d’années par la recherche agronomique montre qu’au terme de 30 ans, l’agroforesterie s’avère rentable par rapport au système grande culture spécialisé, grâce à l’optimisation de l’association : les sols agricoles étant dopés par l’apport de matière organique des arbres, et l’approfondissement de leur système racinaire limitant les stress hydriques saisonniers.

En matière de biodiversité, c’est bien le repeuplement des auxiliaires qui est attendu au terme de quelques années de plantation, limitant, voire supprimant, les traitements phytosanitaires.

Si l’agriculture était capable de relever ce nouveau défi, la génération qui naît aujourd’hui renouerait avec les paysages qu’ont connus leurs arrière grands-parents : ceux d’une France repeuplée des arbres chers au botaniste Francis Hallé, si disert en la matière, recouvrant les grandes plaines céréalières aujourd’hui si tristes et si malmenées, arbres que les municipalités auront à cœur de replanter, au lieu de construire des maisons individuelles affligeantes quand on peut faire du collectif digne de ce nom.

Des arbres pour piéger nos appétits consuméristes et plus encore pour embellir nos vies…