Bonne année aux fraudeurs du fisc !

Éditorial
par  M.-L. DUBOIN
Publication : janvier 2016
Mise en ligne : 12 avril 2016

C’est à tous les citoyens du monde qui se voient méprisés par ceux qu’ils ont élus pour les défendre, à tous les défenseurs des droits humains qui constatent que la démocratie n’est qu’une utopie face au pouvoir de l’argent, à tous les déshérités, à tous les déportés au nom de fausses croyances, à tous ceux qui se désespèrent et dont on prétend que s’ils ne trouvent pas de travail c’est qu’ils sont bons à rien et ne méritent pas une part des merveilleuses richesses qui restent encore sur notre planète, que je voudrais offrir nos vœux.

En espérant que de tels vœux leur soient utiles…

Mais exprimer des souhaits ne suffit pas, car les dirigeants du monde sont sous influence. Il faut les amener à se dégager de leur soumission à un système qui compromet l’avenir de l’humanité. La volonté de survie doit être assez forte pour affirmer qu’il existe une alternative, une ouverture vers une nouvelle civilisation et qui permet de reprendre espoir. Mais il faut faire vite si on veut que cette prise de conscience soit menée par la raison et non par la violence, car celle-ci gagne du terrain partout.

En France, les médias insistent sur les menaces terroristes. On ne saurait nier de telles menaces. Mais pourquoi s’en servir de prétexte pour faire passer des lois tellement liberticides qu’on frémit en constatant qu’elles préparent le terrain à un parti totalitaire qui accéderait au gouvernement ? En outre, elles sont l’occasion toute trouvée pour tenter de passer sous silence d’autres lois qui sont tout aussi incompatibles avec la démocratie.

C’est ainsi qu’en plus des négociations sur les traités commerciaux bilatéraux de libre-échange (TAFTA, CETA, TISA) qui se poursuivent en secret, qu’en plus des expulsions annoncées avec la reprise des travaux de l’aéroport de N-D des Landes, qu’en plus d’une foule d’autres décisions qui prouvent l’absence de toute volonté de réduire le réchauffement climatique, le gouvernement vient de faire passer (et de quelle manière !) des lois qui auraient soulevé un tollé général si les citoyens n’étaient pas si mal informés.

Je fais allusion, par exemple, à une manœuvre concernant ce qui est désigné par “le reporting public pays par pays”. Début décembre, l’Assemblée nationale a voté positivement en faveur d’une mesure qui était défendue depuis une dizaine d’années par de nombreuses organisations de la société civile : obliger les entreprises françaises à rendre publiques, une fois par an, des informations sur leurs activités et sur les impôts qu’elles paient dans tous les territoires où elles sont implantées. Pourquoi faut-il s’assurer que ces impôts correspondent bien à la réalité de leur activité économique  ? Parce que c’est une façon de lutter contre les paradis fiscaux, ces territoires dont les gouvernements établissent des lois qui permettent de faire croire qu’une transaction économique quelconque (par exemple recevoir un profit, des dividendes, un héritage, etc.) s’est produite sur leur territoire, qu’elle y est juridiquement enregistrée, contrôlée et taxée, alors que c’est faux. Ces montages artificiels privent le pays où ces transactions se produisent des recettes fiscales qui lui sont dues (estimées à plus de 70 milliards par an pour la France  !), et c’est autant de moins pour ses services publics. Instituer cette transparence répondait donc bien à la volonté ainsi exprimée en avril 2013 par le président F. Hollande  : « Les banques françaises devront rendre publique, chaque année, la liste de toutes leurs filiales, partout dans le monde, et pays par pays. Elles devront indiquer la nature de leurs activités. (…) L’ensemble de ces informations seront publiques et à la disposition de tous. Je veux que cette obligation soit également appliquée au niveau de l’Union européenne et, demain, étendue aux grandes entreprises ». Le G20 a prévu d’obliger les grandes multinationales à fournir des données aux administrations fiscales, mais pas à leurs actionnaires, aux élus, aux journalistes. Il y avait doncc lieu de se réjouir de voir que les députés avaient entrepris de réaliser une vraie transparence fiscale, d’autant que, 10 jours après, l’Assemblée nationale a voté à nouveau cet amendement. Et c’est là que les choses se gâtent et qu’on voit si la France est une démocratie : en pleine nuit, le gouvernement décide une suspension de séance, réveille ses partisans et fait voter, à 1 h 30 un nouvel amendement qui annule le précédent. On peut trouver les votes des députés, donc le nom de ceux qui ont changé d’avis en moins d’une heure, sur le site de l’Assem­blée nationale (http://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/%28legislature%29/14/%28num%29/1207 ).

En 2013, la France a obligé les banques à fournir ces informations et à les rendre publiques, et le Parlement européen lui a emboîté le pas  : toutes les banques doivent désormais communiquer, à tous, ces informations. Mais pas les grandes entreprises : leur lobbying s’est opposé à cette transparence et le gouvernement du candidat Hollande qui avait affirmé « mon ennemi, c’est la finance », s’est incliné… La France ne sera donc pas le pays moteur contre les paradis fiscaux mais, comme l’écrit Ch.Chavagneux dans Alternatives économiques, elle en est le frein moteur.