Qu’est ce que cette loi Macron ?

Actualité
par  M.-L. DUBOIN
Publication : mars 2015
Mise en ligne : 4 juin 2015

La pression, souvent sous forme de chantage, qui est exercée par les tenants du pouvoir en Europe pour imposer leur politique libérale n’est pas toujours aussi évidente que celle subie par le nouveau gouvernement grec depuis les dernières élections - pour lequel on serre les pouces, en espérant qu’il va tenir le coup. En France, alors que F. Mitterrand avait tenu deux ans, F. Hollande a cédé… sans doute avant même d’être élu. La pression libérale a donc pu être si discrète, et la grande presse être si adroite, que le gouvernement peut poursuivre, et tout en prétendant le contraire, la démolition du code social, qu’il s’agisse de politique intérieure ou de politique extérieure.

À l’intérieur, le dernier avatar porte le nom de loi Macron. À l’extérieur, il s’agit du traité transatlantique qu’on désigne ici par TAFTA (voir GR 1150 p.3, GR 1158 p.3, GR 1160 p.2) et sur lequel nous reviendrons. Dans les deux cas, les conséquences prévisibles sont si graves pour la population que le gouvernement se garde bien de la consulter ; c’est pour cela que la loi Macron a été imposée aux députés par le “49.3” et que les négociations du TAFTA se poursuivent dans le plus grand secret.

Dans ces conditions, et alors qu’ils en feront les frais, les citoyens ignorent l’essentiel des lois et traités qui vont encore plus détruire leur société et détériorer leurs conditions de vie.

Il faut donc essayer de percer le sens de cette politique pour avertir, pour que le désaccord se manifeste, puis, et c’est le plus difficile, pour montrer quel autre monde est possible, pour offrir un but, une voie commune, en un mot l’espoir, à tous ceux qui aujourd’hui se démobilisent ou s’égarent faute d’une vraie perspective de progrès humain.

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Décrypter la loi Macron est d’autant moins facile qu’elle est présentée sous forme “attrayante“. C’est « un projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, et ses auteurs affichaient, le 25 février : « il s’articule autour de trois grands principes : libérer, investir et travailler. Il ne sert qu’un seul intérêt : l’intérêt général ». Comment ne pas être emballé ? On rêve de n’en pas douter !

Malheureusement, on apprend par ailleurs que, « la loi Macron n’étant pas jugée suffisante » [1], la Commission européenne a pris, ce même jour, « une décision sans concession pour le gouvernement français » en exigeant que, d’ici avril, il présente une nouvelle liste de réformes pour faire encore plus de 3 milliards d’euros d’économies supplémentaires dès cette année, en 2015.

Pierre Moscovici a soutenu cette décision en ces termes : « cette décision est juste, équilibrée. Elle assure un bon niveau de pression sur le pays, rendant impératives les réformes structurelles, vitales pour la France… et elle permet de continuer à mener une stratégie de croissance »… Il paraît même que nous avons eu de la chance que ce commissaire européen chargé de l’économie soit français, car il a défendu les intérêts de son pays en lui faisant “bénéficier” d’un sursis de trois mois, alors que les “durs” prônaient une mise en demeure et des sanctions imédiates. Mais le 23 février sur France 2, P. Moscovici n’excluait pas que la France puisse faire l’objet de sanctions si elle ne réduisait toujours pas assez son déficit. Et comme la Commission « ne veut plus croire la France sur parole », rendez-vous est pris en avril, quand les chiffres du déficit public pour 2014 seront connus… Gare !

Car ce n’est pas tout. Le prétexte de ces exigences est le “pacte de stabilité et de croissance” (voir GR 1129 p.3), ce traité que F.Hollande en campagne électorale s’était engagé à ne pas signer… et qu’il s’est empressé de signer une fois élu. Cette trop fameuse “règle d’or” exige que le déficit public soit inférieur à 3% du PIB. D’où sort cette exigence de 3% ? La question ne sera pas posée, même s’il s’avère que c’est un non-sens. Trois pays, France, Italie et Belgique, n’auront pas, pour 2014 et 2015, leurs budgets “conformes”. Celui de la France en 2014 est estimé à 4,4%, et pour 2015 il sera encore supérieur à 4%. C’est “Bruxelles” qui décide de délais (deux ou bien trois ans ?) pour se “mettre en conformité”, et de sanctions sinon. C’est en novembre dernier que la décision devait être prise, mais un répit de trois mois a été “accordé” à Hollande et au Premier ministre italien. Pourquoi ? - Pour leur laisser le temps de prouver qu’ils ont bien l’intention de réformer leurs économies respectives dans le sens imposé, évidemment libéral.

En Italie, c’est fait : le code du travail a ainsi été “réformé” dans cet intervalle de temps.

En France, nous y sommes. C’est donc dans ce contexte que se présente la loi Macron, qui se révèle ainsi être une série de mesures prises par le gouvernement français sous la menace de “Bruxelles” pour montrer, dans l’urgence, qu’il est prêt à faire encore plus d’économies budgétaires… Affirmer que cette loi « ne sert qu’un seul intérêt : l’intérêt général » est donc un leurre. Et le fait que le Premier ministre ait eu recours à l’arme du 49.3 pour la faire passer de force en première lecture à l’Assemblée nationale a pu être présenté à Bruxelles comme la preuve de sa détermination à aller « dans le bon sens ». Et comme cette “réforme” n’est toujours « pas jugée suffisante », la prochaine étape prévue sera le projet de loi dit de “modernisation” du dialogue social. Gare ! Gare !

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Contentons-nous aujourd’hui d’examiner cette première étape. Puisqu’elle est le pendant français de la réforme du code du travail italien, nous nous référons à un spécialiste du code du travail, l’ancien inspecteur du travail Gérard Filoche. Il est l’auteur d’une trentaine de publications sur le sujet et nous lui devons l’analyse de l’ANI que nous avons publiée en mai 2013 (GR 1142). Son analyse de la loi Macron se trouve sur plusieurs sites internet [2] d’où les citations ci-dessous sont extraites :

Avec ses 106 articles et les 19 ordonnances qui suivront, cette loi est à son avis la pire de toutes celles que “la gauche” a proposées depuis 2012. C’est le recul le plus spectaculaire du droit du travail depuis la fin de la seconde guerre mondiale, mais les gens ne vont pas pouvoir s’en rendre compte du jour au lendemain, d’où l’importance de la décortiquer.

On évoque surtout le fait qu’elle concerne le travail du dimanche, mais il faut ajouter qu’elle autorise aussi le travail de nuit, jusqu’à minuit, qu’elle introduit des facilités de licenciement, qu’elle comporte au moins 4 mesures qui vont faire que même les gens qui auront été licenciés à tort ne pourront ni être réintégrés, ni obtenir d’indemnités. Beaucoup de gens se laissent avoir parce qu’on leur fait croire (« il y a là du mensonge officiel », note G.Filoche au passage) que ceux qui travailleront le dimanche seront volontaires pour avoir un meilleur salaire. D’abord, pour lui, « il n’y a personne qui est volontaire. Essayez de travailler le dimanche si votre patron ne veut pas ! Essayez de ne pas travailler le dimanche si votre patron veut ! Ce n’est pas vous qui décidez ! » Et un meilleur salaire, « c’est faux, cette loi ne prévoit aucune majoration de salaire correspondante, elle renvoie “au bon vouloir” du patron ! » et « comme le chiffre d’affaires des magasins déjà ouverts le dimanche est plus bas que celui des autres jours, et qu’il lui faudra payer l’électricité, le gardiennage et les autres frais pour que ça fonctionne un jour en plus », le patron dira qu’il ne peut pas.

L’ancien inspecteur du travail montre que le texte est si compliqué qu’il est difficile d’y voir clair, en donnant un exemple : « il y a un article technique (j’ai dû le lire deux fois avant de le comprendre) qui dit : on change l’article 20-64 du code civil pour en enlever une suppression. Tout le monde ne va pas aller voir cet article dans le code civil. C’est simple, c’est un petit alinéa qui dit que le contrat de travail n’est pas un contrat ordinaire du droit civil ! Donc il peut devenir un contrat ordinaire du droit civil ! Qu’est-ce que ça veut dire ?- Ça veut dire que vous pourrez passer un contrat de gré à gré avec votre employeur qui peut ne pas relever des prud’hommes, ni du code du travail. Ça ne se fera pas du jour au lendemain, évidemment, mais c’est une brèche… Par exemple, les nouveaux chauffeurs de taxis, ils se mettent à leur compte, pas besoin d’être formés, pas besoin de passer de contrat, on leur commande une course et hop !… Hubert fera du lowcost, il enverra ses hommes non salariés partout où il voudra et vous aurez une casse de tout un secteur… Une nuit il fera une course à 4 euros parce qu’il n’y a personne, pas de compétition, et puis, vous allez payer une course 250 euros quand vous reviendrez de la fête du jour de l’an, comme ça a été le premier janvier dernier ! Vous pourrez avoir ça ailleurs, dans le nettoyage, pour les femmes de ménage, pour les profs qui donnent des cours le soir, d’ailleurs, ça existe déjà en partie, ceux qui aident aux devoirs. Vous pourrez avoir, petit à petit, une casse de centaines de milliers d’emplois, qui ne relèveront plus du contrat de travail, donc plus de cotisations sociales, ça fera des rentrées en moins, ils relèveront d’un contrat civil, et, en cas de conflit, ils ne viendront pas devant les prud’hommes, [les litiges] seront tranchés par un juge de paix ordinaire… » Et il commente : « Même dans la lutte contre le travail illégal, ça ira mal parce qu’il n’y aura plus de droit pénal du travail… Alors on n’enverra plus un patron devant un tribunal, entre deux délinquants, parce qu’il aura dissimulé du travail, ce sera l’administration qui le convoquera et qui lui dira : écoutez, vous n’êtes pas en règle, voulez-vous vous mettre en règle, vous avez un délai, et si ça ne se passe pas, on vous interdira pendant un mois, maximum, selon les circonstances, on négociera avec vous. Ce sera le “plaider coupable”. Plus de droit pénal du travail quand un patron fait une faute inexcusable, quand il prend du travail au noir, ça sera à négocier avec l’administration, donc avec des gens … du beau monde !… on va livrer ça aux firmes juridiques anglo-saxones, ça sera plus cher et sûrement plus corrompu. »

En résumé, « alors qu’elle est présentée comme une loi de l’avenir, c’est une loi du XIX siècle, il suffit d’écouter Macron qui dit : « réussissez, enrichissez-vous ! » et aux jeunes : « ayez envie de devenir des milliardaires ! » et il leur fait des autocars parce qu’ils n’auront pas assez de sous pour prendre le TGV ! ». Claire­ment, pour ce spécialiste des lois du travail « tout le monde le sait : quand on dérégule, ça augmente le chômage. Il n’y a pas d’exception : toutes les fois qu’il y a eu augmentation des facilités de licenciement, le chômage a toujours, toujours augmenté… Cette loi Macron ne fera que supprimer des emplois chez les petits commerçants. La DARES a calculé : c’est plus de 30.000 emplois en moins. C’est une loi rétrograde à 100%, c’est une loi contre les salariés, pas une loi économique, elle relève de l’idéologie… » Et il conclut : « La loi Macron, contrairement à ce que laissent entendre de nombreux observateurs, n’est toujours pas adoptée. Elle ne reste qu’un projet de loi qui va être débattu au Sénat, puis reviendra à l’Assemblée nationale. Ce projet de loi doit être retiré, c’est un enjeu déterminant des semaines à venir. La journée de grève interprofessionnelle du 9 avril est un des rendez-vous importants de cette bataille. Cette loi mérite une manifestation de 3 ou 4 millions de personnes. Pas question de lâcher sur ce qui n’est que concession à l’idéologie libérale ».


[1Le Monde éco&entreprise, 27/2/15

[2Par exemple sur le site la-bas-hebdo-premiere