Notre vœu pour 2015 : avoir le courage de garder l’espoir !

Éditorial
par  M.-L. DUBOIN
Publication : janvier 2015
Mise en ligne : 5 avril 2015

En ce début d’une nouvelle année, rien de ce qui est annoncé n’incite à l’optimisme. Ceci n’empêche pas les rédacteurs de La Grande Relève de sui­vre la coutume en joignant leurs vœux aux miens pour les présenter à ses lecteurs. D’autant que ces derniers savent bien que la raison d’être de ce journal et tout le travail bénévole qu’il demande, n’ont pas d’autre but que de chercher comment rendre notre monde meilleur pour tous. Mais notre équipe, même sans relâcher ses efforts, ne peut rien sans l’aide active de ses lecteurs… alors même que ceux-ci, comme ceux de tous les journaux, sont de moins en moins nombreux. C’est une des multiples conséquences désastreuses de la voie dans laquelle notre société humaine est engagée, mais c’est un fait : notre principal ennemi c’est la résignation. C’est la conviction, savamment ancrée dans les esprits, qu’on ne peut que subir, rien changer. Que le capitalisme est installé pour l’éternité parce que tout autre modèle éco­nomique ne pourrait être que pire. Que les êtres humains sont tous ainsi faits que gagner de l’argent est la seule motivation possible pour eux et que s’ils ne sont pas mis dans l’obligation de travailler à quoi que ce soit, il est certain qu’ils se vautre­raient dans l’oisiveté, qui est, comme on sait, la mère de tous les vices. Etc.

Où mène cette passivité

Le chemin étant ainsi aplani devant eux, ceux qui décident pour nous peuvent poursuivre les négociations de ces traités dits de “libre échange” (nous en avons traité ans ces colonnes, il y en a de plus en plus, la liste et les détails sont sur internet) qui mettent les popu­lations au service de grandes entreprises commerciales, tout en enle­vant aux États tout reste de souveraineté. Ils peuvent les préparer en secret, n’ayant même plus besoin de maintenir une apparence de démocratie depuis qu’il est entendu que la démocratie c’est désigner, de temps en temps, pour leur donner pleins pouvoirs, ceux et celles qui maîtrisent le mieux l’art de la communication. Ces derniers ne reçoivent donc pas vraiment un mandat de leurs électeurs, ils ne les représentent pas, ils ne se voient aucune obligation et ils se sentent à l’aise pour agir dans le seul souci de leur avancement de carrière puisqu’élu est devenu un mé­tier. Et ils en tirent le sentiment que tout leur est permis, comme le rappelle plus loin (p.5) Bernard Blavette.

Donc notre souhait le plus immédiat est qu’une vive protestation, dénonçant les mensonges auxquels se prêtent les grands médias pour cacher les dangers du TAFTA, réussisse à en empê­cher la signature.

Mais ce traité est loin d’être le seul du genre, et l’exem­ple de l’AMI doit servir de leçon : quand un tel projet échoue parce qu’il a été dénoncé et combattu à temps, d’autres plus pernicieux encore, sont mis en chantier.

Cela ne suffit pas

Il n’y a pas, hélas, que ces traités qui nous préparent un avenir désastreux, c’est toute l’orien­tation de notre société qui nous y mène de force. À l’époque de la création de ce journal, le titre d’un des premiers livres de Jacques Duboin était clair : Nous faisons fausse route [1]. Il montrait que l’humani­té a franchi une étape de son Histoire quand elle a acquis, au XXème siècle, les connaissances et les technologies pour être en mesure de produire, à volonté et avec de moins en moins de travail, ce qui est nécessaire à l’épanouissement de tous. Cette Grande Révolution [2] aurait dû bouleverser la façon de concevoir l’économie. L’objectif de croissance, cette obligation de devoir produire toujours plus pour se mettre à l’abri des pénuries qui, jusqu’alors, étaient une menace permanente, pouvait être abandonné sans dommage. La Grande Relève des Hommes par la Machine [3] pouvait être une Libération [4] en permettant à chacun de cultiver son champ et son esprit, de participer aux choix pour la production soit raisonnablement programmée et que les richesses ainsi produites soient réparties au mieux, et entre tous.

C’est tout le contraire qui s’est produit.

L’humanité s’est laissé mener par une idéologie qui excluait tout débat d’ordre économique. Selon ce modè­le dit “libéral”, imposé par les économistes orthodoxes sous le nom de “loi du marché”, produire ne peut pas avoir d’autre but que vendre à profit. Le seul et unique critère envisageable pour maintenir une entreprise est que ce qu’elle produit trouve un client capable de payer assez pour qu’elle en tire un bénéfice.

Dès les années 1930, La Grande Relève dénonçait déjà les conséquences catastrophiques de ce modèle… qui, en bientôt 80 ans, n’ont fait que s’étendre en empirant.

La production n’est faite que pour des clients solva­bles, les insolvables sont traités comme des inutiles et le fossé se creuse entre riches et pauvres. Les entrepri­ses qui font des profits prennent la clientèle des autres, formant ces multinationales qui dominent le marché, et maintenant les gouvernements du monde soumis à leurs tout puissants lobbies. Les autres entreprises, les “petites et moyennes”, les artisans, tous ceux qui voudraient soigner la qualité, sont peu à peu éliminés. Il faut être compétitif ! Il faut aller le plus loin possible chercher de nouveaux clients en imposant cette rivali­té permanente à tous les peuples de la Terre. Il faut inventer de nouveaux créneaux, pousser à la consommation en créant des besoins artificiels par la publicité et par l’obsolescence programmée. Respect de l’environnement et masse salariale sont devenus des “charges” qu’il faut réduire.

On en est arrivé à ce qu’aujourd’hui il faut d’abord gagner sa vie par n’importe quel moyen, y compris en acceptant n’importe quel emploi dans n’importe quelles conditions. Ensuite on est constamment poussé à acheter le plus possible de n’importe quoi, sans pouvoir faire confiance, sans savoir comment a été produit ce qu’on consomme. Et enfin, quand l’âge ou la santé réduisent notre activité, on s’aperçoit que cette soif de profit a aussi perverti la médecine et qu’on ne peut plus compter sur les protections sociales. Il n’y a plus de solidarité, le “chacun pour soi” est le mot d’ordre général…

Et si le monde reste soumis à cette doctrine du “libéralisme économique”, son avenir s’annonce pire encore. L’esprit mercantile dominant, c’est l’impossibilité de parer au réchauffement climatique, comme le montre N.Klein dans un livre récent (voir p.4 la chronique de J-P Mon), comme c’est l’accaparement de tous les progrés scientifiques jusqu’à aboutir à l’asservissement complet de chaque individu par des robots Big Brother, scientifiquement programmés (nous y reviendrons). Mais déjà, la réalité dépasse, et de loin, les craintes de l’auteur de 1984, G.Orwell.

de Changer le pensement
à Penser le changement

Qu’on me pardonne cette contrepèterie dont je n’ai oublié que le nom de l’auteur, parce qu’elle exprime bien dans quel sens il faut agir.

Certes, il faut résister, dénoncer chacun de ces traités, de ces lois, de ces mesures et de ces chantiers entrepris sans autre considération que le profit de quelques uns. Mais se garder d’épuiser les forces de résistance en se battant contre des effets, parce que c’est leur cause qu’il faut détruire, sinon il en apparaîtra toujours de nouveaux.

Il est vital d’entretenir l’espoir en montrant quel autre monde est possible dans une économie distributive (voir p.15, la lettre d’un lecteur). Il faut prendre le temps de faire comprendre l’importance d’une monnaie distributive, parce qu’elle rend impossible le profit financier. Il faut expliquer pourquoi assurer à tous la garantie d’un revenu libérateur ce n’est pas inciter à ne rien faire, c’est permettre de choisir l’activité dans laquelle chacun peut s’affirmer, se sentir utile et reconnu. Il aut à l’occasion montrer les effets pervers d’un revenu garanti s’il permettait au système capitaliste de faire perdurer la la domination par l’argent. La raison d’être de La Grande Relève c’est bien d’aider ses lecteurs à avoir le courage et les arguments pour porter ainsi autour d’eux cet espoir et cet esprit de construction.

Certes, ce combat a toujours été d’autant plus difficile qu’il s’agit de tenir des propos sur l’organisation économique et sur la monnaie, qui sont encore considérées comme faisant partie d’un domaine réservé à des spécialistes… lesquels ont su imposer la conviction qu’il faut avoir été formé à leurs Écoles et avoir adopté leur langage pour être autorisé à émettre une opinion. Pour surmonter cette intimidation, il suffit de se rappeller que les vecteurs des grandes épidémies de peste des siècles passés, étaient… des puces, et constater que ceux du virus qui est en train de détruire la société humaine sont… des économistes. Mais les puces n’étaient pas conscientes du mal qu’elles propageaient, alors que les économistes prétendent être des scientifiques qui “savent” !

Éviter les pièges

La situation actuelle est dramatique dans le monde entier, mais en France elle présente bien des pièges et ceux-ci sont en général savamment cachés sous les mots. Par exemple, nous avons élu un président de notre république qui se disait “socialiste“ et de “gauche“. Comme la politique qu’il mène n’est pas conforme à l’idée attachée à ces deux termes, il convient de faire appel à notre Histoire pour comprendre comment leur sens a évolué. Certains auteurs ayant fait des recherches à ce sujet, Benjamin, puis Guy Evrard (voir p.9), présentent leurs travaux.

Il paraît que beaucoup d’électeurs, s’apercevant qu’ils se sont trompés en croyant que politiques dites de “gauche“ et de “droite“ étaient différentes, sans voir qu’elles désignent toutes les deux cette politique capi­taliste qui mène le monde depuis des décennies, pensent trouver une bouée de se­cours dans le Front national. Espérons que la métho­de autoritaire et sectaire des élus de ce parti ouvrira leurs yeux pour s’apercevoir à temps que les discours prétendus “sociaux“ sur l’euro, l’Europe ou la Banque centrale, tenus par quelques uns de ses membres, cachent adroitement l’attachement de ce parti à l’argent, au capitalisme qui lui convient si bien, et même que son “patriotisme” dissimule son refus de reconnaître la misère des populations migratoires que ce système exploite impunément.

Si l’espoir n’est pas dans les partis politiques, parce que l’électoralisme y empêche les débats, il ne peut être que dans ces associa­tions citoyennes qui foisonnent, dans ces multiples expériences, par exemple autour des monnaies parallèles, les AMAP et autres coopératives. C’est donc là qu’il faut agir, il faut leur offrir nos idées et participer ainsi à l’élaboration conviviale du monde à mettre à la place de celui qui s’écroule.


[1J. Duboin, Nous faisons fausse route, éd. Portiques, (1931).

[2J.Duboin, La grande révolution qui vient, éd Nouvelles, (1934).

[3J.Duboin, La grande relève des hommes par la machine, éd. Fustier, (1932).

[4J.Duboin, Libération, éd. Grasset, (1937).