Les limites énergétiques de la croissance
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Publication : novembre 2014
Mise en ligne : 30 janvier 2015
« Il y a quelques mois, l’article d’une quinzaine de pages intitulé Les limites énergétiques de la croissance, que Jean-Marc Jancovici a publié en 2012 dans Le Débat (n°171), a été diffusé à une soixantaine de députés, sénateurs et autres animateurs de la vie politique de notre pays. Aucune réaction notable ! Alors que des études étrangères récentes, notamment américaines, confirment l’analyse de Jancovici, qui a l’avantage d’être brève, et en français…
En France, pour l’instant et le proche avenir, on peut espérer un taux de croissance faible ou nul, devenant ultérieurement négatif de façon définitive. On ne saurait donc compter sur la croissance pour diminuer les inégalités sociales ou pour réduire le taux de chômage, ou pour améliorer notre balance commerciale.
Promettre aux résidents français de régler, grâce à la croissance, les graves problèmes qui les affectent, serait irresponsable et pourrait favoriser les votes de désespoir. »
IGR (e.r.) de l’Office de la Recherche Scientifique et Technique outre-mer,
ancien sous-directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé.
Voici, en résumé, l’essentiel du texte cité, de J-M Jancovici :
Dans cette étude, Jean-Marc Jancovici démontre que promettre des jours meilleurs grâce à la croissance est un leurre. Il note, dès son introduction, que toute réflexion doit désormais se placer dans un contexte où il y aura de moins en moins de croissance économique, et que la cause principale de cette évolution est le tassement de l’énergie disponible par personne.
Il rappelle d’abord que l’économie “classique”, qui est dominante dans les analyses de nos décideurs, affirme que la production résulte de deux facteurs : le capital et le travail, comme si ni l’énergie, ni les ressources naturelles n’y jouaient un rôle ! Il y a pourtant une corrélation majeure entre les variations du PIB et celles de la quantité d’énergie disponible. Non seulement l’observation des statistiques le prouve, mais on sait bien que produire, c’est-à-dire transformer les ressources naturelles, demande de l’énergie. En remplaçant le travail manuel par de l’énergie actionnant des machines, on produit mille fois plus par personne : « Le moteur d’un camion est 4.000 fois plus puissant que les muscles de son conducteur… Même l’économie dite “dématérialisée” est donc fortement consommatrice de ressources transformées ». Le PIB est le produit de la quantité d’énergie par l’efficacité énergétique, et ce dernier facteur a augmenté, au cours des 50 dernières années, en moyenne, de 0,8% par an. De même, le PIB par personne est le produit, par ce même facteur d’efficacité énergétique, de la quantité d’énergie disponible par individu, laquelle, après avoir très rapidement augmenté de 2,5% par an depuis la fin du XIXe siècle, a brutalement cessé sa croissance, ramenée après 1980 à 0,4% par an. Ainsi la croissance du PIB par personne est alors passée de 3% de croissance annuelle à seulement 1,2%, « ce qui a “grippé” tout le système redistributif occidental… Ce lien énergie-économie est encore plus vrai pour le pétrole… » et la diffusion dans l’économie d’une tension sur le pétrole « résulte non d’un effet de prix mais avant tout d’un effet de volume ».
Or l’énergie disponible par personne, gaz de schiste compris, va continuer à baisser en Europe, où elle est fossile à 80%.
J-M Jancovici en tirait les conclusions suivantes : le lien énergie-économie signifiant une croissance nulle pour les cinq ans à venir en Europe, cette “décarbonisation involontaire” diminuera de 30 à 40 milliards d’euros le PIB annuel de la France ; comme aucune transition énergétique ne peut exclure une baisse rapide des combustibles fossiles, soit on limite les dégâts en prévoyant la baisse, soit on en subit les chocs et récessions ; cette transition énergétique va démarrer dans un monde sans croissance, « il faut donc privilégier les mesures qui demandent le moins de capital initial par kWh évité » et tout projet, quel qu’il soit, devra être précédé d’une analyse menée sur cette base.
Il ajoutait que la priorité est de sortir gaz et fioul du chauffage des bâtiments, la seconde de “décarboner l’industrie lourde”, puis de diminuer très rapidement la consommation (donc la taille et la puissance) des véhicules à pétrole.
Il estimait que cette transition allait « mobiliser des milliers de milliards d’euros en quelques décennies, 50 à 150 milliards par an ».
Alors, en se plaçant dans l’hypothèse du maintien du système capitaliste, ce qu’il ne précisait pas mais est évident, il faisait le calcul suivant : « si nous prenons un rendement de capital investi de 2 à 4% par an, ce qui est acceptable pour un opérateur public mais pas pour un acteur privé - a fortiori coté en Bourse - on peut justifier d’investir de 1500 à 3000 milliards d’euros pour économiser 60 milliards d’euros d’importation de pétrole et de gaz par an. Mais avec un souhait de rendement du capital investi de 10% par an, on ne peut investir que 600 milliards. Les investissements privés spontanés ne suffiront donc pas pour financer la transition énergétique à la bonne vitesse… Il faut donc passer par des acteurs publics. mais le budget public étant déjà exsangue, il n’y a que deux moyens envisageables pour amener les capitaux nécessaires : la création monétaire dédiée, via le financement par la Banque Centrale européenne… ou la mobilisation de l’épargne ».
Ce qu’il concluait clairement par ceci : nous aurons un effondrement économique et absolument pas… le retour à la croissance “normale” promise par le candidat Hollande.