Au fil des jours

Chronique
par  J.-P. MON
Publication : mai 2014
Mise en ligne : 10 octobre 2014

La crise est finie !

En cette période d’élections européennes où l’abstention semble devoir battre tous ses records, les ministres européens font assauts de communiqués pour faire croire que les politiques d’austérité ont porté leurs fruits et que la “crise” est finie. Le cas de la Grèce est particulièrement significatif [1]. À Athènes, au mois d’avril, Angela Merkel a salué les efforts du peuple grec et le premier ministre grec s’est réjouit : « nous avons montré que la Grèce se tient à nouveau sur ses pieds ». Ce n’est pourtant pas le cas pour de nombreux Grecs dont un quart sont exclus du système de santé publique et dont 23,7% vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Il suffit d’ailleurs de consulter l’évolution des chiffres des principaux indicateurs économiques fournis par la Banque de Grèce, pour voir qu’il n’y a pas d’amélioration mais au contraire une détérioration des performances :

2008 2013 variation
PIB(€) 233,2 milliards 182,1 milliards - 28 %
Dette 112,9% du PIB 175,1% du PIB + 65 %
Déficit budgétaire - 9,8% - 2, 1%
Chômage + 7,6% +27, 3%
Dépôts bancaires(€) 280,4 milliards 212,8 milliards -29,5 %
Salaires -13,8 %

Du rififi chez les actionnaires

La révolution a failli éclater [2] chez Barclays, (troisième établissement bancaire du Royaume-Uni), au cours de son assemblée générale annuelle le 23 avril, car un tiers des actionnaires votant ont refusé d’approuver le rapport sur les rémunérations des dirigeants. Ils voulaient ainsi protester contre la hausse des bonus proposée alors que la rentabilité de la banque est en baisse.

Même type de fronde, à quelques milliers de kilomètres de là, à Atlanta, chez Coca-Cola où les actionnaires protestaient contre un plan destiné à transférer un paquet d’actions de près de 12,3 milliards d’euros aux 6.400 principaux dirigeants du groupe (en gros 1,82 millions d’euros par personne !). Mais, rassurez- vous, dans les deux cas, la révolte n’a été que symbolique : les assemblées générales ont fini par voter ce qu’on leur demandait. Le plus surprenant, c’est que ceux qui ont lancé la contestation ne sont pas d’affreux gauchistes mais de fervents défenseurs du capitalisme tels l’assureur Standard Life chez Barclays et, chez Coca-Cola, le célèbre Warren Buffet qui s’est finalement réfugié dans une abstention significative, sans doute par fidélité à la firme.

Les dirigeants ont finalement sauvé leurs bonus, mais il n’en a pas été de même pour les salariés.

La restructuration de Barclays

Quinze jours après, Antony Jenkins, directeur général de Barclays, annonçait le recentrage du groupe sur son “cœur de métier”, la banque de détail, c’est-à-dire sur le prêt d’argent aux particuliers et aux entreprises, la banque d’investissement devenant une activité annexe réduite [3]. Cette réforme se traduira par la suppression de 19.000 emplois au cours des trois prochaines années, l’accélération de l’automatisation permettant dans le même temps de réduire le nombre d’agences. Une structure de “défaisance” sera mise en place pour accueillir les activités dont Barclays compte se débarrasser : introductions en Bourse, matières premières, produits dérivés (en partie) et ses activités de banque de détail en Italie, France, Espagne et Portugal. Le tout correspond à environ 115 milliards d’euros d’actifs à risques. À l’issue de cette restructuration, la banque d’investissement ne représentera plus que 30% du groupe (au lieu d’un peu plus de 50% aujourd’hui).

Ce grand recentrage de Barclays ne diffère pas beaucoup de ceux opérés par ses rivaux HSBC, Royal Bank of Scotland, Llyods Banking Group… ils utilisent les mêmes méthodes : réductions d’effectifs, contrôle des coûts, baisse des risques… Et l’essentiel, selon Jenkins, les coupes dans la banque d’investissement doivent aussi permettre de re-équilibrer les dividendes des actionnaires. Pour les récompenser d’avoir accepté le maintien des bonus ?

Un problème politique

Même si Pierre Briançon [2] remarque que « la question de la rémunération des dirigeants d’entreprises a fini par devenir un problème politique et social autant qu’économique », l’austérité reste de rigueur pour la grande majorité de la population et les salaires réels baissent. Selon ce journaliste, le système n’est plus régulé (l’a-t-il été un jour ?) par le contrepoids des actionnaires et, restreints à leur cadre national, les gouvernements n’ont guère les moyens d’intervenir. Les entreprises “se régulent” donc comme elles l’entendent.

Mais quelles justifications leurs dirigeants peuvent-ils donner à l’envol de leurs rémunérations ? — La théorie libérale leur en fournit deux :
• c’est le jeu de l’économie de marché, la nécessité de conserver les “compétences” (argument principalement utilisé dans la banque) ;
• c’est la récompense des résultats obtenus, de la performance. Il serait ainsi normal qu’une distribution gratuite d’actions vienne récompenser un PDG dont le travail aurait fait monter le cours en Bourse de son entreprise. En réalité, le cours d’un titre dépend surtout du contexte et des fluctuations générales du marché, le lien avec le travail d’un PDG est donc ténu… Et les libéraux ajoutent « après tout, les rémunérations des dirigeants dans le secteur privé ne font de mal à personne, si ce n’est aux actionnaires qui conservent toujours la faculté de sanctionner les dirigeants trop gourmands… Que viendrait faire l’État dans cette affaire ? » [2].


[1Le Monde, 10/05/2014.

[2Le Monde Eco&Entreprises, 27-28/04/2014.

[3Le Monde Eco&Entreprises, 10/05/2014