La démocratie en question
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Publication : novembre 2013
Mise en ligne : 29 janvier 2014
L’objectif fondamental de La Grande Relève étant la défense de propositions visant à une organisation démocratique de l’économie, nous ne cessons de dénoncer toutes sortes d’atteintes à la démocratie, à commencer par les dérives intolérables de la finance, qui sont cautionnées par les gouvernements en place au détriment de leurs administrés.
Pour expliquer ce qui est ainsi une “démission” d’élus, face à la responsabilité qui est la leur de défendre l’intérêt général et non de favoriser des intérêts particuliers, on peut sans doute évoquer toutes sortes de raisons. Par exemple, le fait que, lorsqu’on a l’ambition de faire une “carrière politique”, il faut, dans ce système mené par l’argent, s’engager vis à vis de “sponsors” pour tirer d’eux les (gros) moyens financiers nécessaires.
Le “pantouflage” en offre une foule d’exemples, et l’enquête que présente Le Nouvel Observateur de cette première semaine de novembre, intitulée Le business des ex, témoigne de l’appétit pour “le fric” de nombreuses vedettes de la politique.
Mais ces démarches intéressées ne sont pas seulement individuelles, elles sont en parfaite harmonie avec toute l’idéologie qui a abouti aux institutions de l’Union européenne. Et l’une des conséquences antidémocratiques les plus lourdes du traité de Maastricht est le développement actuel, en France, du partenariat public-privé (PPP), bien qu’elle ait été, jusqu’ici, presque ignorée, tant elle a été appliquée de manière discrète, souvent même secrète.
L’émission de radio Là-bas si j’y suis a tenté, le 25 février dernier, d’alerter l’opinion sur ce PPP en ces termes : « Vous rêvez de vous faire construire la prison de vos rêves, ou bien un joli stade ou un chouette hôpital ou encore un accueillant ministère de la Défense ? Ça vous plairait ? Mais quoi, que dites-vous, que vous n’avez plus de sous ? Ah, mais, aucun problème, vos amis sont là et ils vont s’occuper de tout ! Le financement, la construction et l’exploitation. Vous n’aurez plus aucun souci. Vous aurez juste un petit loyer de rien du tout à payer, étalé sur dix, vingt ou cinquante ans. Ça s’appelle le PPP, le Partenariat Public Privé, ça représente 18 milliards d’euros en France. Aujourd’hui, tout le monde s’y met. Et qui sont les amis qui s’occupent de tout ? Bouygues, Véolia, Eiffage, des noms qui vous mettent en confiance ! Oh, bien sûr, il y a des grincheux comme la Cour des Comptes pour dénoncer “des formules juridiques contraignantes et des financements aléatoires”, ou des pays comme le Canada, l’Angleterre ou l’Australie qui en sont revenus… le gouvernement du Québec a même suspendu radicalement les PPP… »
Mais comment être informé sur ces dérives ?
— Certes, la communication des documents administratifs en matière de commande publique est disponible sur le site (http://www.economie.gouv.fr/daj-etude-cadaj) de la Direction d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) du ministère de l’économie et des finances. On lit bien sur ce site que « la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public pose le principe de la liberté d’accès aux documents administratifs. L’administration doit communiquer les documents concernés par la loi, parmi lesquels figurent les documents relatifs aux marchés publics ».
Se référant à ce droit, une habitante de la région d’Angoulême a demandé transmission « du contrat de partenariat relatif à la conception, la construction, le financement et l’exploitation -maintenance de l’établissement EHPAD de Beaulieu » (en Charente). La directrice du Pôle médico-social, “chef du projet de réhabilitation Beaulieu”, lui a répondu en lui envoyant les 60 pages du dit contrat, MAIS à moitié “occultées” … de l’essentiel !
Pourquoi cette censure ?
— Parce que, et cette directrice se défend dans sa lettre d’envoi, la mise à jour du 04/01/2013 de la communication des documents administratifs en matière de commande publique précise, dans son chapitre “documents communicables”, qu’un contrat de partenariat n’est communicable que « sous réserve de l’occultation des mentions qui définissent le montage juridico-financier et comptable mis au point par le partenaire ».
On peut donc légitimement se demander ce que cache ce caviardage.
Y aurait-il des arnaques à dissimuler ?
En tout cas, voilà comment fonctionne la démocratie, et comment sont légalement occultées les procédures qui concernent pourtant directement les citoyens.
Ces procédures PPP, qui ont débuté en France dans les années Chirac, prolifèrent depuis Sarkozy. Elles concernent aujourd’hui des centaines de contrats et déjà plus de 40 milliards d’euros y sont engagés, et cela sur plusieurs des dizaines d’années… par des élus qui ne le sont que pour quatre ou cinq ans !
Un groupe de citoyens (quelques membres d’Attac particulièrement courageux) a entrepris d’y voir clair.
S’appuyant sur le cas l’hôpital sud-francilien d’Évry (photo ci-contre) « particulièrement exemplaire des dérives et des perversités de ce mécanisme », ils expliquent : « [Le PPP] associe des partenaires dont les objectifs sont strictement contradictoires : d’un côté, la puissance publique doit veiller à dépenser l’argent de nos cotisations et impôts à bon escient, d’un autre côté, l’entreprise privée capitaliste cherche à maximiser ses profits et ses dividendes distribués.
Les loyers ne cessent de grimper rapidement et cela se traduit par des déficits, donc des coupes dans la masse salariale. Les salariés et les patients subissent actuellement la violence des plans de retour à l’équilibre financier… » Ils estiment que « les cotisations sociales et les impôts ne devraient pas servir à distribuer des dividendes ou à payer des intérêts au privé.
Par ailleurs, les PPP sont un moyen de transférer au privé l’initiative économique pour la construction d’infrastructures qui devrait rester en maîtrise publique.
Cela permet de cacher la dette et il s’agit là d’une conséquence du traité de Maastricht et des règles disciplinaires imposées par l’Union Européenne pour brider les États, afin que seul le privé soit à même d’investir massivement. »
On ne saurait trop soutenir cette initiative. Souhaitons que ces personnes en profitent pour réfléchir sur les moyens d’investissement dont devrait pouvoir disposer une région, ou une commune : ce “pouvoir d’achat” ne devrait-il pas être l’équivalent monétaire des vraies richesses qu’une région est capable de produire, comme ce serait le cas dans une économie distributive ? Et non dépendre des taxes qu’il faudra tirer de sa population pour alimenter l’avidité de grosses entreprises… dont la vocation n’est évidemment pas le bien public.
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Revenons à cette prise de conscience de la façon dont les gros investissements sont aujourd’hui engagés.
L’équipe de l’émission Pièces à conviction, de FR3 a mené l’an dernier, une enquête très approfondie, qui est passée à l’antenne le 9 novembre 2012. On peut toujours la regarder sur http://www.youtube.com/watch?v=Gjuw-BUmMjc. Heureusement, parce qu’elle est édifiante. Elle montre combien les conséquences de ces “baux emphytéotiques” peuvent s’avèrer dramatiques quand il s’agit d’établissements de santé. À la moindre panne, au moindre dysfonctionnement, la bureaucratie s’en mêle, et l’hôpital doit entreprendre de longues démarches auprès de l’entreprise-propriétaire qui, en contestant sa responsabilité, cherche à faire payer l’hôpital-locataire.
Cette enquête montre aussi, au passage, comment les lobbies des grandes entreprises intéressées ont obtenu, le 28 juillet 2008 dans un hémicycle presque vide, le vote de la loi (initiée par le député UMP Hervé Novelli) qui leur a donné le feu vert.
Le feu vert pour pouvoir ainsi achever, à leur profit, le démantèlement des services publics rentabilisés.
Le rôle joué dans cette affaire par l’ancien Président de la République est révélé par une lettre qu’on trouve sur http://www.lemoniteur.fr/131-etat-et-collectivites/article/actualite/521279-exclusif-nicolas-sarkozy-demande-une-loi-pour-developper-le-recours-au-ppp
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L’éco-taxe instaurée par Sarkozy a fait l’objet d’un tel partenariat public-privé, au profit d’un groupe d’entreprises Ecomouv, dont font partie Autostrade per Italia, Thales, SFR, Steria, etc.
Voilà pourquoi abandonner ce contrat déjà passé coûterait la bagatelle de 800 millions, et la maintenir absorberait 25% de la taxe perçue.
Mais il ne semble malheureusement pas que ce soit vraiment cet aspect qui est à l’origine des manifestations violentes en Bretagne contre la poursuite de son installation par Hollande.
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La question qu’il paraît donc urgent de poser est celle-ci : peut-on attendre que la démocratie vienne d’en haut, des élus, des édiles, des “responsables” ? — Benjamin l’expose dans ces colonnes, à partir d’un rapport demandé précisément par de tels “décideurs”. Et comme une réponse négative semble s’imposer, comment arriver, par le bas, à une véritable démocratie ? — C’est le débat engagé par François Chatel dans notre précédent numéro, et qui a déjà suscité les réflexions qu’on trouvera plus loin.