Au fil des jours
par
Publication : octobre 2013
Mise en ligne : 3 janvier 2014
L’Europe démystifiée
L’économiste Robert Salais, ancien élève de l’École polytechnique et de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE) est administrateur de l’INSEE. Il travaille au laboratoire de recherches du CNRS Institutions et dynamiques historiques de l’économie et au Centre franco-allemand de recherches en sciences sociales Marc Bloch à Berlin. Il vient de publier un ouvrage intitulé Le Viol d’Europe, Enquête sur la disparition d’une idée [1] dans lequel il montre que la crise de l’Europe est « un exemple éclatant des conséquences de la dérive dogmatique qui, faute d’un débat démocratique et contradictoire, a présidé très tôt aux décisions menant à l’union économique et monétaire » [2]. « Dès l’origine, au cours des années 1940-1950, dit Robert Salais, s’est nouée à l‘Ouest l’alliance paradoxale entre partisans du plan et partisans du marché. Plan et marché à la mode de l’immédiat après-guerre communiant ensemble sur l’optimalité du meilleur des mondes, le monde industriel de la rationalisation et de la standardisation d’où l’humain (et la nature) est exclu. […] Marché parfait et plan centralisé sont les deux faces de la même médaille, deux dogmes mis en équation. […] Le consensus était si large et si puissant qu’il a envahi l’espace public et intellectuel à un point tel que les doutes et les idées alternatives ont beaucoup de peine à se faire entendre ».
Par sa lecture des “textes fondateurs”, Salais explique qu’entre autres le rapport Spaak (1956), qui servit de base au traité de Rome, a fait passer la libéralisation des marchés (y compris financiers) avant l’objectif d’une union politique. (Ce qui montre que les racines de la crise actuelle sont bien antérieures au virage néolibéral des années 1980 ou au traité de Maastricht). D’autres choix étaient pourtant possibles et ont été proposés à diverses étapes de la construction européenne mais n’ont pas été mis en œuvre. Ce qui n’empêche pas Salais de rester, malgré tout, optimiste en concluant « Il y a toujours eu une pluralité de chemins qui auraient pu s’ouvrir. Même si à chaque fois le mauvais choix a été fait, ces chemins ne sont pas pour autant définitivement fermés ».
Quand les automates s’affranchissent…
Grosse panique le 20 août dernier chez Goldman Sachs, le maître de la finance mondiale : à l’ouverture des marchés américains, un des automates utilisés par la banque a envoyé des ordres invalides qui ont déclenché des échanges à des prix anormaux (entendez des prix trop bas !). Occasion que n’ont pas manquée un certain nombre de concurrents dont les automates ont acheté à un dollar l’unité un fonds qui cotait la veille plus de 35 dollars. Selon le Financial Times, si ces transactions ne sont pas annulées, cela pourrait coûter une centaine de millions de dollars à Goldman Sachs (qui n’en est pas à cela près : sa firme a gagné quelque 4 milliards de dollars dans les six premiers mois de l’année !). Goldman Sachs n’est d’ailleurs pas la seule victime de cette course à la vitesse dans les transactions financières. Trois jours plus tard, Everbright, un courtier d’État chinois, perturbait la Bourse de Shanghaï avec des ordres fantaisistes lancés par ses automates. En fait, depuis qu’ils utilisent des robots programmés pour réagir à la milliseconde près, la moindre erreur d’un intermédiaire, aussi modeste soit-il, peut provoquer une grande panique dans des marchés mondialement interconnectés. L’alerte la plus grave a été jusqu’ici le “flash-crash” du 6 mai 2010 lorsque les Bourses américaines se sont sans raison effondrées de 10% en moins de vingt minutes : l’enquête menée par le “gendarme” des marchés américain a montré que la panique avait été déclenchée par un ordre envoyé par une obscure firme du Kansas. La réaction en chaîne (on sait que les boursiers sont très moutonniers…) qui s’ensuivit avait conduit à l’effacement momentané de 1.000 milliards de valeur boursière.
Toutes les sociétés financières ne s’en tirent pas comme Goldman Sachs. C’est notamment le cas de Knight Capital Group, une firme américaine de services financiers mondiaux, réputée pour ses algorithmes de Bourse en ligne à très haute fréquence, occupant 17,3% des parts de marché de la Bourse de New York et 16,9% de celles du Nasdaq. En août 2012, une erreur de transaction lui fit acquérir plus de 7 milliards de dollars en actions qui lui occasionnèrent 476 millions de pertes qu’elle n‘a pu résorber. Elle a été rachetée en décembre 2012 par une autre firme.
Mais heureusement qu’il y a des automates !
La question de la fatigue physique des pilotes de ligne vient de faire les gros titres de la presse britannique. En effet, selon un sondage effectué auprès de 500 pilotes britanniques, 56% avouent s’être déjà endormis aux commandes de leur appareil et un tiers d’entre eux déclarent avoir trouvé à leur réveil leur copilote également endormi [3]. Ce ne sont pas les nouvelles règles communautaires que doit bientôt adopter le Parlement européen qui amélioreront la situation. Elles prévoient en effet d’autoriser les pilotes à travailler 110 heures sur une période de deux semaines… alors que la législation britannique actuelle fixe un plafond de 95 heures.
Il ne reste qu’à souhaiter que les pilotes automatiques soient moins capricieux que les automates des financiers !
[1] aux Presses Universitaires de France, 2013.
[2] A. Reverchon, Le Monde, 22/8/2013.
[3] Le Monde, Economie et Entreprise, 29-30/09/2013.