Au fil des jours

Chronique
par  J.-P. MON
Publication : février 2013
Mise en ligne : 1er mai 2013

Triste Europe

La “grande” presse, toujours attachée à la défense sans condition de “l’Union” européenne, n’a pas manqué, à l’occasion du cinquantenaire du traité de l’Elysée signé par de Gaulle et Adenauer, de nous rappeler que, même si « les relations entre les deux pays sont aujourd’hui moins faciles, notamment en raison de la crise économique » [1], la France et l’Allemagne se sentent investies « d’une responsabilité commune pour l’Europe ». Les titres de la rubrique “Décryptages” de ce même numéro du Monde sont éloquents : « L’Allemagne et la France au service de l’Europe, aujourd’hui plus que jamais » par Laurent Fabius [2] et Guido Westerwelle, ministres français et allemand des affaires étrangères ; « Nous devons réinventer l’avenir européen, une plus grande unification est indispensable » par Tom Enders président exécutif d’EADS ; « Des noces d’or pour resserrer le couple franco-allemand. Intégrons les sociétés civiles » par Henri Froment Meurice, ambassadeur de France, etc. Et on a mis les petits plats dans les grands : Conseil des ministres commun à la Chancellerie fédérale, deux déclarations communes de Hollande et de Merkel ; l’une, brève, a rappelé « l’importance du rôle moteur du couple franco-allemand dans la définition et la mise en œuvre des orientations qui dessineront l’Europe de demain » [3], l’autre, de 17 pages, constitue un catalogue de mesures pour relancer les relations des deux pays… mais ce “fourre-tout” ne comporte qu’exceptionnellement un calendrier et aucune indication sur les moyens budgétaires de sa mise en œuvre !

Pendant ce temps, à Londres, le Premier ministre conservateur David Cameron a promis aux citoyens britanniques un référendum d’ici à 2017 sur le maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union européenne [4]. Il ne supporte pas le poids des directives communautaires…

(Rappelons qu’en 2011 Cameron a opposé son veto au pacte de stabilité budgétaire européen, ce que n’a pas fait la France, et qu’en 2009 les eurodéputés conservateurs britanniques ont quitté le Parti populaire européen pour s’allier aux extrémistes de droite tchèques et polonais au sein d’un groupe anti-fédéralistes.)

Cameron veut, dès à présent, négocier un nouvel accord avec l’UE, centré sur le marché unique (il n’y a que ça qui intéresse les Anglais !) et il a averti, dans son discours du 23 janvier : « Quand nous aurons négocié un nouvel accord, nous offrirons aux Britanniques un référendum avec un choix très simple : rester au sein de l’UE sur cette nouvelle base ou en sortir complètement. Ce sera un référendum sur l’appartenance ou non à l’UE ». Finalement De Gaulle n’avait pas tort quand il ne voulait pas du Royaume-Uni dans l’Union Européenne [5].

« Adieu l’Europe, rafiot conservateur »

Cette Union Européenne capitaliste Juan Goytisolo ne la supporte plus. « Goytisolo est un des écrivains les plus importants de la seconde moitié du XXème siècle. Attaché par des liens sentimentaux, intellectuels, très forts à l’Espagne où il est né, il a pourtant vécu en exil et développé un regard critique vis-à-vis de son pays d’origine. Ce regard critique l’aura aidé à construire une œuvre d’une grande originalité idéologique et stylistique et à adopter une position politique originale devant le nouvel ordre mondial de la fin du XXème siècle. […] Son enfance est marqué par la Guerre civile espagnole, notamment parce que sa mère a été tuée pendant les bombardements de Barcelone par l’aviation franquiste en 1938 » [6].

Il a longtemps vécu en exil, notamment en France mais depuis quelques années il partage sa vie entre quatre pays : le Maroc, la France, les États-Unis et l’Espagne.

Et c’est à Tanger qu’il vient de découvrir son bonheur : être enfin un octogénaire apatride [7] : « Cet automne, en regardant la mer depuis le mirador tangérois de la Hafa, je découvris que de l’autre côté du détroit, la péninsule ibérique, enveloppée dans un épais brouillard, n’était plus à la place qu’elle occupait habituellement[…]. Voguait-elle à travers l’océan, à mille lieues de l’Europe de Bruxelles, de la Banque Centrale Européenne et de la “dame de fer” allemande ?[…] Vers quelle destination ? Je l’ignorais, mais j’en éprouvais un immense soulagement. Lointaine, toujours plus lointaine, l’Espagne cessait d’être pour moi un fardeau encombrant. Je pouvais tirer un trait sur les notions de patrie et de nation, d’identités exclusives et figées ».

Enfin libre et heureux, il s’élève contre tous les nationalismes étroits : « Comment décrire le bonheur qui m’envahit ? Apatride enfin ! Tous liens coupés avec les purs, les authentiques : Finlandais, Autrichiens, Hollandais, Hongrois ! Avec l’impératif national de roumaniser les gitans et d’espagnoliser les Catalans ! À distance salvatrice de cette “Aube dorée” [8] néonazie aux relents de camps de la mort. De l’Europe de la peur, prête à expulser de son sein les étrangers qui viennent voler le travail de ses citoyens et profiter des prestations sociales. De cet espace commun des Vingt-Sept soumis à la loi des spoliateurs et des escrocs. De ces gouvernements esclaves du Dieu cruel des marchés et de ses agences de notation vénales. Ces sociétés dans lesquelles le mot démocratie a été vidé de sa substance. Ces partis politiques affichant des programmes auxquels plus personne ne croit. Ces dirigeants occupés à remplir leurs poches et non à répondre aux besoins de ceux qui naïvement ont voté pour eux… »


[1Le Monde, 22/01/2013.

[2Je crois me souvenir qu’il avait fait campagne pour le NON au référendum de 2005 !!!

[3Le Monde, 23/01/2013

[4Le Monde, 25/01/2013

[5La Grande Relève, n° 835, juin 1985.

[6Wikipedia.

[7“Adieu l’Europe, rafiot conservateur”, Le Monde, 6-7/01/2013.

[8Parti néo-nazi qui a fait son entrée au parlement grec en 2012.