La Grèce richissime… ?


par  G. PETIT
Publication : août 2012
Mise en ligne : 17 novembre 2012

Incroyable ! La Grèce pourrait obtenir des taux d’emprunt inférieurs à ceux de l’Allemagne car ses réserves pétrolières et gazeuses sont faramineuses… et l’objet de convoitises douteuses.

Gilles Petit interroge : n’est-ce pas ce qui explique bien des choses ?

Marie-Caroline Porteu, blogueuse sur Médiapart, est partie d’un article de William Engdahl, journaliste américain spécialisé dans l’énergie et la géopolitique, paru en mars 2012. Elle a entamé une enquête au long cours étonnante, ne se refusant pas le titre emblématique « TROP, C’EST TROP. J’ACCUSE ! ».

Cette colère à la Zola est venue de l’importance récemment découverte (2011) de gisements pétroliers et gazeux dans les eaux maritimes grecques : « Ces gisements seraient totalement suffisants pour permettre à la Grèce de se désendetter ! ».

De fait, Antonis Foskolos, professeur à l’Université de Crète, estime à 22 milliards de barils les réserves au sud de son île. Une exploitation possible, dès 2016, qui égalerait la production de l’Iran.

Grèce et Crète : à portée d’un pactole libérateur.

Oui, mais voilà : ces gisements, découverts par la Grèce elle-même, tombent dans les lois de la Commission Européenne de 2007 dont une, explicite, autorise la libéralisation du marché de l’énergie et la permission de privatiser les entreprises publiques exploitant et distribuant ces ressources.

Résultat ? « Les banques d’investissement américaines se sont approprié, en toute impunité, en profitant d’un marché déstabilisé par la soi-disant “crise des dettes souveraines européennes”, une partie des infrastructures européennes de transport d’énergie. »

Puis débarqua Noble Energy [1], même pas inventeur des réserves… qui réclama 60% de la production ! Selon un rapport de l’analyste politique Aristote Vassilakis (juillet 2011), Washington poussait la Grèce et la Turquie à s’associer pour le pétrole et le gaz, leur proposant 20% chacune et pour Noble Energy (déjà foreuse dans les eaux israéliennes), 60% : ce qu’on appelle un bon deal !

Ou plutôt, selon Marie-Caroline Porteu, « une escroquerie, dont le peuple grec se retrouverait encore victime… sachant que l’Allemagne, par la voix du PDG de la Deutsche Bank, demande l’accélération des privatisations des services publics européens. »

Grecs contre Grecs et… d’autres

Certains Grecs ne sont pas restés insensibles à cette “escroquerie”, on s’en doute. On ne parle pas du nouveau gouvernement (Antonis Samaras, Premier ministre conservateur, associé au PASOK socialiste), mais de la société Latsis, majoritaire dans le groupe Hellenic Petroleum : à son menu, la recherche de partenaires financiers. Il faut préciser que Spiro Latsis, le patron, connait fort bien le portugais José-Manuel Barroso, le président de la Commission Européenne [2]. Cette recherche de gros fric “ami” ne pouvait donc s’adresser aux pouvoirs publics.

Pour mieux comprendre “Vivre est un village” autre blog de Mediapart, donne une réponse limpide : « Les entreprises Spiro Latsis ont eu, au moins, à six reprises, les honneurs de la Commission Européenne. De 1999 à 2004, la banque du groupe, EFG Eurobank, a été choisie par la Commission pour faire transiter l’argent des financements européens en Grèce. De même, l’exécutif européen a autorisé plusieurs rapprochements entre le groupe Latsis et des banques grecques. Enfin, Barroso, une fois installé, a nommé conseiller spécial un certain Dusan Sidjanski, également patron du Centre Européen de la Culture (fondé par Denis de Rougemont), un machin largement financé par le groupe Latsis ».

Washington, Moscou et autres voraces…

Dès juillet 2011, Washington s’est précipité sur cette invraisemblable manne pétrolière grecque : Hillary Clinton s’est ruée à Athènes avec Richard Morningstar, ancien conseiller de son président de mari, spécialiste du démembrement de l’ex-URSS. Morningstar et le curieux Matthew Bryza avaient été les artisans des projets d’oléoducs et gazoducs destinés à couper la Russie de l’Europe. Bryza ne voulait pas entendre parler de l’oléoduc russe South Stream pendant que Morningstar défendait mordicus l’oléoduc BTC qui part de Bakou (sur la mer Caspienne en Azerbaïdjan), passe par Tbilissi (Géorgie) pour déboucher au port turc de Ceyhan. Une entreprise fort coûteuse, mais évitant un transit par la Russie.

Puis Morningstar a tenté de convaincre les Grecs d’oublier leur coopération avec Moscou sur le South Stream, de s’entendre avec les Turcs en oubliant la question Chypre… tout ça pour en arriver aux fameux 60% de bénéfices pour Noble Energy !

Mais Chypre complique la situation : Noble Energy a découvert du gaz au large de ses côtes : 200 milliards de mètres cubes, confirmé par Charles Davidson, son directeur général : « un gisement de première importance mondiale ».

Mais voilà, l’île gréco-turque est partagée en deux : le gaz de Noble Energy se situe dans la partie grecque, membre de l’UE, dirigée par Demetris Christofias, le seul président communiste de l’UE. Christofias est également proche d’Israël et de Moscou, donc critique vis-à-vis des États-Unis et de la Turquie : vous voyez le patacaisse ?

En ce moment, Israël projette de construire un gazoduc sous-marin à travers les eaux de Chypre jusqu’en Grèce à destination de l’UE… en oubliant la Turquie. Imaginez les bisbilles aujourd’hui entre l’Union Européenne, Chypre, Noble Energy (donc les Etats-Unis), la Grèce, la Turquie, Israël, le Liban, la Syrie (très riche : la croûte de sel affleure chez elle) et la Russie !

Tiens, tiens, il ne se passe rien en Syrie, à l’heure actuelle ? Et la Russie ne refuse-t-elle toujours aucune ingérence de l’ONU chez l’ami Assad ? Bizarre, bizarre.

De son côté, le docteur Duxen, de l’Université de Crète comme Antonis Foskolos, a écrit dans l’humour (Janvier 2012) en titrant sur son blog : « Les Grecs pourraient vivre comme les Saoudiens » (il ne précise pas lesquels !). En illustration de Une, une dame blonde dénudée, une voiture de luxe, un paysan arrogant en fustanelle et une pluie d’euros dégringolant du ciel bleu sur une bouteille d’ouzo. Idyllique.

Mais il ne dépasse pas le constat révolté de Marie-Caroline Porteu devant la braderie des technocrates européens, la lâcheté des politiciens et l’actuel silence indigne des médias : « ils participent à ce dépeçage », s’indigne-t-elle.

Duxen, certes, rappelle que les premières découvertes de ces gisements fabuleux remontent aux Allemands durant la deuxième Guerre Mondiale. Ils avaient tout cartographié en détail. Ces cartes sont ensuite tombées aux mains des Américains et Anglais… qui n’en ont rien fait avant aujourd’hui.

Il précise également qu’Hellenic Petroleum (le fameux Latsis), depuis 2002, gère toujours un pipe-line de 230 km entre Thessalonique et sa raffinerie de Skopje en Macédoine. Mais il se demande « pourquoi le gouvernement grec a caché si longtemps de tels faits ? », ajoutant naïvement « peut-être pour des intérêts privés ? » Son résumé est simple : « L’ancien ambassadeur américain en Grèce, Nicholas Burns, a révélé ces énormes gisements en mer Egée. Cela va provoquer des tensions entre la Grèce et la Turquie, un climat explosif, sans parler de Chypre ! »

D’accord pour la question turque qui évoque des histoires de creusements aux bonnes distances respectives. Mais le vrai problème est ailleurs.

9.000 milliards de dollars…

« Pourquoi cette insistance à vouloir garder la Grèce dans l’euro ? » s’interroge Marie-Caroline Porteu.

Pétrole français dans les calanques

La croûte de sel en Méditerranée est énorme : 2 km d’épaisseur, dus à la “crise de salinité messinienne”, il y a 5 millions d’années, lorsqu’à Gibraltar, les mouvements tectoniques refermèrent la Méditerranée. Une mer qui baissa de 1.500m : Bouygues s’en rendit compte avec la construction du périphérique de Lyon où l’on s’aperçut que le “canyon” du Rhône avait laissé de la rocaille et non le sable attendu.

Mais qui disait sel, disait protection et sédiments… et donc pétrole. Les carottages récents donnèrent raison aux géologues Georges Clauzon et l’italienne Maria Chita, violemment hués et agressés en France et en Italie lorsqu’ils évoquèrent leurs conclusions et l’idée de pétrole en 1971.

Il existe donc bien un gisement dans le Golfe du Lion. Il s’étend sur 9.375 km2 (plus vaste que la Corse !), à 30 km des côtes varoises et du futur Parc National des Calanques. Le permis d’exploration “Rhône Maritime” fut délivré en 2002 à la société TGS (Shell, Halliburton, Statoil Russia), puis prolongé en 2006 au profit de Melrose Mediterranean Ltd, aujourd’hui aux mains de Noble Energy France (la revoilà !), dont le siège est à Houston.

Nicolas Sarkozy s’était montré péremptoire lors du renouvellement, le 6 avril dernier, du permis d’exploration : « Je n’accepterai pas de forage pétrolier devant les calanques. Je n’ai pas voulu d’éoliennes dans la baie du Mont Saint-Michel », propos confirmé par Nathalie Kosciusko-Morizet.

Une énième entourloupe de l’Ex, puisque le 8 juin, Nicole Bricq, la nouvelle ministre de l’Environnement, découvrit que le droit minier “Rhône Maritime” (avec Noble Energy) était toujours valide.

Tiens, tiens, Nicole Bricq fut débarquée le 22 juin. Certes, on prétexta le féroce lobbying de Shell pour les forages au large de la Guyane qu’elle aurait stoppés (avec l’accord d’Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement Productif). Mais Shell l’emporta sur la ministre par chantage, promettant de ne pas toucher à la raffinerie Petroplus de Rouen, fief de l’électorat de Laurent Fabius.

C’est sans doute vrai. Mais l’histoire de Rhône Maritime s’y est forcément rajoutée. Et elle confirme que la France était au courant de ces richesses depuis un bon moment. Et donc de la politique à mener avant les élections législatives grecques et du soutien public à donner soit au conservateur Antonis Samaras, soit au Syriza (Front de Gauche) d’Alexis Tsipras (que François Hollande démolit consciencieusement à la télévision grecque).

À méditer sur les choix du nouveau gouvernement français.

Ben tiens, l’exploitation des réserves des mers Egée et Ionienne permettraient de résorber la dette. Cela ne serait pas du goût des nouveaux souverains étrangers, bien sûr. Ainsi a-t-on vu Hillary Clinton débarquer à Athènes en juillet 2011. Tout le monde s’est aperçu depuis la découverte en 2010 de gisements de gaz au large d’Israël que cette partie de la Méditerranée regorgeait d’immenses ressources et pouvait entraîner d’énormes bouleversements économiques et, bien entendu… géopolitiques.

Selon Aristote Vassilakis, « les enquêtes mesurant la quantité de gaz naturel ont évalué les réserves à 9.000 milliards de dollars » !

La dette grecque parait ridicule comparée à cette somme. L’expert David Hynes, de l’Université de Tulane (Nouvelle-Orléans) a confirmé à Athènes : « La Grèce pourrait tout rembourser, et cela lui rapporterait 300 milliards d’euros en 25 ans. »

En attendant, la Grèce en est à son onzième plan d’austérité, quémande prêts sur prêts à l’UE et au FMI, réduit les salaires, remanie son personnel politique, suspend le versement des retraites. Ces mêmes FMI et UE, tout comme l’Allemagne, exigent que la Grèce vende ses ports, ses entreprises publiques (avec les compagnies pétrolières publiques, bien entendu) : paradoxal, non ?

La Grèce est un peu fautive dans cette offre dégradante de braderie : elle a omis de déclarer une Zone Économique Exclusive (ZEE, créée en 1994) pour dénicher du pétrole ; elle pêchait alors par simple ignorance de son réservoir. Le problème, c’est qu’une ZEE confère à l’État des droits relatifs aux richesses de son sous-sol jusqu’à… 200 milles marins de ses côtes.

Et l’écologie, hein ?

Il est évident que je n’ai parlé que de revenus financiers dans ces ressources pétrolières et gazières. L’actualité, c’est que les compagnies privées, notamment américaines, ont actuellement le champ libre. Avec la gentille permission de l’Union Européenne et d’une oligarchie complice et bien sûr intéressée.

C’est pourquoi je n’ai nullement évoqué le problème écologique, constatant simplement qu’aujourd’hui, la Grèce pourrait facilement se sauver de sa misère et devenir un “Qatar” européen. Il reste deux problèmes majeurs : s’accroche-t-on désespérément au pétrole jusqu’à son extinction ou l’abandonne-t-on définitivement pour d’autres sources d’énergie ? Impossible, bien sûr.

Le 20 avril 2010, la plate-forme suisse Deepwater Horizon, travaillant pour BP, a explosé dans le golfe du Mexique. Ses 1,27 million de litres de pétrole extraits quotidiennement ont continué des mois durant à se déverser et polluer la Louisiane. Une évidence s’est imposée : on ne savait pas vraiment gérer les accidents de forages en profondeur. Et on ne le sait toujours pas, deux ans plus tard. Creuser en toute sécurité à moins 2.000 mètres, on ne sait toujours pas faire. Et c’est la profondeur au large de Marseille.

Alors, d’un côté, sauver la Grèce, enrichir la France (et l’Italie, et Chypre, et la Turquie, et la Syrie, et le Liban, et Israël ou bien les fonds de pensions américains, les oligarques russes, les banques allemandes et conjointes), de l’autre côté, ne pas prendre le risque de polluer définitivement la Méditerranée : vous sauriez prendre une décision, vous (si vous étiez le seul décideur) ?

Une colonisation moderne

Bref, on est en train d’assister à la belle mise à sac d’un pays, rappelant curieusement les colonisations depuis deux siècles avec les pillages calédoniens (nickel), chilien (cuivre) ou du sous-sol africain (récurrentes, après le pétrole algérien, avec l’uranium et son radon mortel de Falea au Mali aux mains d’Areva). Mais là, on est en 2012 et en Europe. Plus besoin de troupes armées et de massacres : des groupes financiers multi nationaux bien assis suffisent. Avoir lu de-ci de-là que le peuple grec était tricheur ou feignant fait sourire tellement les chiffres en jeu sont disproportionnés par rapport aux milliards « oubliés » par les non-imposés (armateurs ou le clergé orthodoxe) et surtout par ce hold-up fomenté aujourd’hui par les banques sur ces énormes richesses potentielles. Sans parler du superbe silence des médias. Lesquels, benoîtement, assistent à l’augmentation de la pauvreté d’un peuple “irresponsable”, désormais obligé de mendier. On ne sait comment aurait réagi Alexis Tsipras, le leader de Syriza, le frère du Front de Gauche, s’il avait été élu. Quels auraient été ses moyens pour lutter contre les groupes américains et la Commission Européenne et sauver son pays de cette escroquerie étrangère ? Se sachant responsable d’un pays potentiellement le plus riche d’Europe ? Je ne saurais répondre.


[1Noble Energy est une société américaine douteuse mais claire : financée par des fonds de pension et des “hedge funds”, son principal lobbyiste n’est autre que Bill Clinton, l’ancien Président des États-Unis. Pas étonnant donc d’avoir vu débarquer à Athènes (juillet 2011) son épouse Hillary, ministre d’Obama. Noble Energy produit également du gaz de schiste en Pennsylvanie, du pétrole dans le golfe du Mexique et au Cameroun.

[2Spiro Latsis est la 50ème fortune de la planète (la banque de son père et son armada).

Il invita José Manuel Barroso (son copain de promotion à la London School of Economics) sur son yacht un mois avant que le Président de la Commission Européenne n’accorde 10 millions d’euros de subventions aux activités bancaires de son ami Latsis…