Maastricht et ses conséquences

Actualité
par  J.-P. MON
Publication : novembre 2011
Mise en ligne : 3 mars 2012

Le 7 février 1992, les sept ministres des affaires étrangères de l’Union européenne signent à Maastricht le Traité de l’Union Européenne (TUE). En juin 1992 le Danemark le rejette par référendum. En France, sous la pression de l’opinion publique, Mitterrand accepte à son tour le principe d’un référendum qui a lieu le 20 septembre. Le “oui” à la ratification du traité l’emporte de peu (51,04%).

De crise en crise

Quelques jours avant, le 16 septembre, la Livre sterling, entrée en 1990 dans le Système Monétaire Européen (SME) [1], avait été obligée d’en sortir parce que la parité initialement fixée était trop élevée. Ceci rendait les produits anglais plus chers que les produits européens, et seule une “dévaluation compétitive” pouvait tirer l’Angleterre de ce mauvais pas… Mais comme le traité de Maastricht fixe désormais irrévocablement les parités, le financier Georges Soros comprend rapidement que l’Angleterre va être obligée de quitter le SME. Et avant la dévaluation qui s’en suivra automatiquement, son fonds spéculatif Quantum vend aussitôt tous ses avoirs en Livres sterling et achète des marks. Moutonniers, comme toujours, de nombreux spéculateurs suivent son exemple. Les cours s’effondrent. Le Parlement anglais vote aussitôt la sortie de la Livre du SME. Peu après la lire italienne en sortait à son tour, tandis que la peseta espagnole, l’escudo portugais et la livre irlandaise étaient dévalués.

Bref, une bonne pagaille, telle que celles que nous connaissons depuis, commençait à s’installer.

Il faut relire l’éditorial de la Grande Relève d’octobre 1992. Intitulé « Toujours la monnaie », voici comment Marie-Louise Duboin et Jean-Pierre Mon y décrivaient ce psychodrame, devenu maintenant classique au sein de l’Union européenne : « Quelle affaire ! Affolés par l’initiative des spéculateurs contre le Franc, le Chancelier de l’Allemagne Fédérale, H.Kohl et le Président de la République Française, F.Mitterrand, ont dù se rencontrer précipitamment le 22 septembre pour chercher ensemble les moyens de faire face. On ne pouvait espérer plus magistrale démonstration du pouvoir des spéculateurs ! Un communiqué, signé en commun par le Président de la Banque Fédérale d’Allemagne, H.Schlesinger et par le Gouverneur de la Banque de France, a eu beau affirmer solennellement qu’aucun changement des cours centraux n’était justifié, que le niveau du Franc doit être maintenu parce que l’économie française est jugée en pleine forme selon les critères reconnus, il n’empêche qu’au moment où nous écrivons ces lignes, les commentateurs ne sont pas sûrs que les efforts conjugués des deux Banques Centrales seront suffisants, et ce, malgré les milliards qu’elles ont été obligées de mettre sur les marchés des changes ! Le pouvoir des spéculateurs serait-il plus grand que celui des chefs politiques et des gouverneurs des Banques Centrales réunis ? » [2].

Tout cela n’empêche pas les responsables politiques européens de mettre en œuvre, dès le début de 1993, le “Marché Unique” en supprimant les dernières barrières douanières entre les pays de l’Union. Et cette année 1993 est aussi la première année de récession en Europe depuis 1945 et la croissance va rester faible à cause de la rigueur imposée par la préparation du lancement de l’euro.

Pour tenter de calmer les tensions nées des différences de compétitivité obtenues par les dévaluations des monnaies des divers “partenaires” européens, les pays membres du SME signent en août 1993 le Compromis de Bruxelles, qui élargit les bandes de fluctuation des monnaies de plus ou moins 15% autour du cours pivot (au lieu des plus ou moins 2,5% autorisés jusqu’alors). C’était déjà une première victoire pour les spéculateurs !

D’autres suivront et de plus en plus grandes… Intéressons-nous à la dernière en date.

La crise grecque

Le 10 février 2010, les banquiers du monde entier vendent massivement les bons du Trésor émis par le gouvernement grec. Le résultat ne se fait pas attendre : leurs prix s’effondrent… Les spéculateurs pensent aussitôt que la Grèce va devoir sortir de l’euro et dévaluer sa monnaie d’au moins 30 %. Les attaques contre la dette grecque créent une énorme tempête boursière. Les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro décident de se réunir le vendredi 7 mai pour mettre au point un plan de “résistance aux spéculateurs”.

Dans une mise en scène d’un genre qu’il affectionne particulièrement, Nicolas Sarkozy, seul, debout, sur une estrade éclairée par les projecteurs, déclare que les politiciens ont décidé de se battre contre les spéculateurs : « La zone euro vient de traverser sa pire crise depuis sa création mais les spéculateurs sont actuellement sur le point de payer pour leurs attaques ». Dans ce but, l’UE va s’appuyer sur un plan dont les détails sont encore secrets et dont l’objectif à terme est de préserver la stabilité financière de l’Europe.

Malgré les embrassades officielles, l’accord entre la Chancelière allemande et Nicolas Sarkozy n’est qu’apparent. Ce dernier veut un “noyau dur” de décideurs en nombre restreint, tandis que l’Allemagne souhaite une gouvernance économique par les 27 États de l’Union. Angela Merkel a promis « un signal très fort » et Sarkozy a déclaré en conclusion : « L’objectif, c’est de doter la zone euro d’un véritable gouvernement économique […] Les spéculateurs en seront pour leurs frais… »

Mais ces fiers propos n’empêchent pas les spéculateurs de spéculer et les Bourses de jouer au yoyo de « réunion de la dernière chance », en G8, et en G20. 2011 ne fut pas mieux que 2010 !


[1Le SME, mis en place en 1979 par le Président français Giscard d’Estaing et le Chancelier allemand Helmut Schmidt, avait pour objectif principal de limiter les fluctuations de taux de changes entre les monnaies des pays membres.

[2GR 915, octobre 1992.