L’exemple de Madison


par  J.-P. MON
Publication : avril 2011
Mise en ligne : 3 mai 2011

Les événements de Madison marquent-ils la renaissance du syndicalisme américain ?… Les médias français en ont très peu parlé, mais pendant plus de trois semaines, en février et mars, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans les rues de la capitale du Wisconsin pour protester contre le projet de loi de ”réforme budgétaire” de Scott Walker, le gouverneur républicain de cet État du Middle West des États-Unis. Ce projet est en fait une machine de guerre contre les syndicats du secteur public, notamment en supprimant leur droit de négociation collective. Il propose aussi, en autres ignominies, de mettre fin au système de retraites du Wisconsin qui est bien financé (75 milliards de dollars de réserve), bien géré, et qui verse de généreuses pensions aux retraités des services publics.

Cela ferait, bien sûr, l’affaire des assurances privées.

Vive réaction

La découverte du contenu de ce projet de loi a mis le feu aux poudres. Commencé au début de février, le mouvement de protestation initié par les travailleurs du secteur public, est rapidement monté en puissance, avec des moments forts comme la première manifestation du jeudi 17, qui mit 50.000 personnes dans les rues et, le 18 février, l’occupation du Capitole de Madison pendant six jours. Les enseignants, colonne vertébrale des manifestations, furent rapidement rejoints par les pompiers et les policiers municipaux. Les travailleurs du privé, métallurgistes, tôliers, électriciens, ouvriers du bâtiment, employés de commerce, etc. se joignirent en masse au mouvement. Tous demandaient « quand allons nous nous mettre en grève ? » Alertés par courriel vers 17 heures, les gens accoururent immédiatement. Beaucoup de parents étaient là avec leurs enfants. C’était une manifestation comme on n’en avait pas vu depuis longtemps aux États-Unis. « C’est un tournant. La colère des gens a vaincu leur peur », écrivait une journaliste [1].

Bloqué pendant les trois semaines de manifestation, le projet de loi fut sournoisement retoqué par les sénateurs républicains le 9 mars au cours d’une « véritable nuit des longs couteaux » [2]. Les sénateurs coupèrent en deux le projet de loi dont la partie financière exigeait un quorum, qui n’était pas atteint. Ils votèrent ensuite séparément les deux parties. Violant délibérément une loi de l’État qui, afin d’assurer la transparence, exige une délai de 24 heures avant la tenue d’un vote de ce type, le gouverneur fit voter la partie concernant la négociation collective qui avait provoqué l’ire des syndicats.

La constitutionalité de ce tour de passe-passe est maintenant mise en cause et devrait être examinée par la Cour suprême de justice… dont le verdict dépendra de l’élection d’un nouveau juge, progressiste ou conservateur !

En attendant, avec l’abolition de la négociation collective, d’énormes menaces planent sur les travailleurs : la privatisation des biens publics est désormais au programme. Walker prévoit ainsi la vente sans adjudication des centrales de production d’énergie de l’État. Les 37 centrales à vendre assurent le chauffage et la climatisation à bas prix des universités de l’État et des prisons. Leur vente bradée à des investisseurs privés constituerait en quelque sorte un remerciement pour les entreprises telles que Koch industries qui soutiennent financièrement les campagnes électorales de Walker. Les nouveaux acquéreurs n’auraient plus qu’à augmenter leurs tarifs pour compenser leurs investissements, et ce serait encore une fois les petits contribuables qui paieraient. Mais pour ne pas s’arrêter en si bon chemin, Walker propose aussi de commencer à privatiser l’Université du Wisconsin et de vendre les forêts domaniales du Nord, riches en minéraux et bois de construction.

Bref, la démarche du gouverneur Walker est un exemple type du fonctionnement de l’économie capitaliste.

Une vue optimiste

La presse de gauche (mais oui, ça existe aux États-Unis, même si on n’en parle pas beaucoup en France) a trouvé dans les événements de Madison une raison d’espérer, comme en témoigne le Socialist Worker, en substance : si Scott Walker a, peut-être, gagné une bataille, il a allumé une guerre qui est loin d’être finie. Après le soulèvement du Wisconsin, la guerre des classes oppose maintenant deux partis comme ça n’a jamais été le cas depuis des décennies. On peut espérer que dans quelques années le succès de Walker dans son combat antisyndical paraîtra moins important que la naissance du mouvement des travailleurs auquel il a donné naissance dans tous les États-Unis. L’offensive contre la classe ouvrière se répète en effet sous différentes formes dans tous les États, provoquant maintenant des réponses comme on n’en avait pas vu depuis une génération.

Mais les rassemblements de masse n’ont pas empêché Walker de promulguer sa loi. Les travailleurs doivent maintenant dépasser le stade de la manifestation pour obliger Walker et ses supporters des milieux d’affaires à battre en retraite. On peut se demander si la colère des syndiqués de base va pousser les directions syndicales à agir. Jusqu’à présent les leaders syndicaux ont plutôt suivi le mouvement qu’ils ne l’ont dirigé. À suivre…


[1Lee Sustar, journaliste au Socialist Worker, 10/03/2011

[2Michael Hudson et Jeffrey Sommers, Counterpunch, 11/03/2011.