Le contrat civique
par
Publication : décembre 1996
Mise en ligne : 3 décembre 2005
Comment déterminer le service civique que doit accomplir tout individu pour remplir son devoir de citoyen ?
On peut imaginer que ce temps de service est calculé par l’Institut des statistiques et des études économiques, pour que le travail “contraint” soit justement réparti entre tous et pourvoir aux besoins de l’économie : au niveau de la région, par secteur professionnel, par vie humaine. Dans ce contexte, les décisions économiques sont prises à partir de ces statistiques et études prospectives qui chiffrent les besoins, les moyens, les quantités à produire (incluant les exportations destinées à équilibrer les contrats d’importation) et les services nécessaires.
Le budget général est établi à partir de ces estimations de la production mise en chantier.
Côté “dépenses”, la première ligne de ce budget concerne les services publics et les équipements, une autre chiffre les investissements décidés, et le reste constitue la masse des revenus disponibles, donc à distribuer entre les citoyens pour acheter la production prévue.
On peut alors discuter pour savoir comment en est faite la répartition, quelle est la part des jeunes, quelle est celle des actifs et comment celle-ci varie en fonction de l’activité puis après cessation d’activité. D’autres propositions ont été faites, consistant à fixer arbitrairement (par continuité) les revenus, et de laisser le marché ajuster l’offre et la demande par les prix.
Dans tous les cas il n’y a ni impôts ni taxes puisque les besoins publics sont financés, comme les revenus, par création de la monnaie de consommation correspondante. Il va de soi qu’il s’agit d’une monnaie dématérialisée, versée sur un compte que seul un organisme officiel peut alimenter et qui est débité lors de tout achat. à échéance, on fait le bilan, et on tient compte du résultat pour mieux prévoir le budget suivant.
On peut aussi imaginer une façon de procéder, beaucoup plus souple, plus individualisée et décentralisée, non autoritaire mais gérée toujours de façon à adapter l’économie aux besoins des gens : le contrat civique. La proposition en a été faite11 en cherchant comment définir et mettre en œuvre une véritable démocratie économique et sociale. Cette organisation présente en plus la souplesse nécessaire pour répondre à la complexité et aux incertitudes de notre temps.
Voici, en quelques mots pour lancer le débat, comment on peut imaginer le fonctionnement de l’économie d’une région sur la base du contrat civique, en économie distributive.
La gestion de la production de biens et de services et la gestion de l’activité des personnes sont coordonnées par une même institution, qui remplace à la fois le Parlement (ou le conseil régional, ou le conseil municipal, selon le niveau administratif) et les instituts actuels de crédits. Donnons-lui le nom de conseil économique et social (CES), la Constitution devra définir comment seront formés ces conseils, qui seront vraiment le siège de la démocratie puisque les décisions qui en émaneront seront à la fois de politique générale, d’ordre économique et d’intérêt social. Il faudra que les débats en soient publics. On cherchera le meilleur dosage de leurs membres entre des élus, des experts, des citoyens plus ou moins concernés, sollicités selon les besoins, voire tirés au sort comme des jurés ou simplement volontaires pour suivre sérieusement les débats.
La charge de ces conseils est donc double. Pour gérer l’activité des personnes, il leur appartient d’examiner, de débattre et de décider des contrats civiques présentés par les citoyens de leur ressort. Et ils se basent sur les contrats civiques acceptés pour établir leurs budgets et gérer l’économie. Ainsi, par le choix des projets, les CES sont en mesure d’orienter la production en fonction des besoins réels et des moyens disponibles. Ils peuvent même décider de lancer, à l’essai, de nouvelles activités, et juger de leur utilité, de leur succés auprès du public, sans référence à une rentabilité financière.
Le contrat civique est donc le rouage de la démocratie en économie, conciliant l’individualisme et la responsabilité de chacun avec la prospérité de l’ensemble de la société.
C’est par son contrat civique que tout individu adulte peut définir quelles activités il se propose d’avoir pendant une période donnée, quelle sera sa production, quels moyens il lui faut pour la réaliser et, éventuellement, s’il a des arguments à faire valoir (intérêt général, dévouement, pénibilité, talent particulier, longue expérience), quel supplément de revenu (par rapport au revenu de base) il demande. On peut imaginer que, s’il demande des installations spéciales et coûteuses, il lui soit demandé d’en prévoir la transformation en cas d’échec.
Après avoir été largement publiée, la proposition de contrat est débattue publiquement, éventuellement amendée puis acceptée ou rejetée, en présence, dans la mesure du possible, des personnes concernées par les activités proposées. On peut imaginer pour cela que chaque CES s’assure, suivant les cas, de l’avis de professionnels dans le domaine d’activité concerné, de spécialistes de l’environnement, ou de l’urbanisme ou de médecins, et, dans presque tous les cas, de quelques uns des usagers, c’est-à-dire de clients ayant déjà eu affaire au proposant ou de ceux qui seront à même d’acheter les biens ou les services qu’il fournira. Précisons que le CES auquel un contrat devra être soumis dépendra de l’importance du contrat, en vertu du principe de subsidiarité.
Si la proposition est refusée, le postulant continuera à recevoir le revenu de base jusqu’à ce qu’une autre proposition de sa part soit acceptée.
Si elle est acceptée, le postulant recevra du CES les moyens qu’il a demandés, et à l’issue de la période, il devra rendre compte de la façon dont il l’a exécutée, et joindre ce rapport, pour information, à toute nouvelle proposition.
C’est par l’acceptation de son contrat civique qu’un individu est reconnu comme citoyen, au sens plein du terme. Un tel contrat lui donne les moyens d’organiser sa vie en alternant à volonté les périodes pendant lesquelles il accomplit son service civique, soit en participant à la production générale, soit en acceptant des responsabilités politiques, culturelles ou sociales, avec les périodes de formation ou de perfectionnement qui l’intéressent, avec les périodes pendant lesquelles il décide de ne s’occuper que de lui-même ou d’un parent, de voyager, de se cultiver, à loisir.
On peut imaginer toutes sortes de contrats, qu’il sera évidemment plus ou moins facile de faire accepter. Un contrat donné pourra programmer plusieurs activités différentes sur une année.
Bien sûr, il sera possible de présenter des contrats groupés, par exemple ceux des membres d’une entreprise qui tourne et qui ne seront qu’une simple formalité, mais, remplaçant toutes les paperasseries actuelles, elles permettront de comptabliser le temps de travail et la production, de prévoir des transformations, de négocier des augmentations de revenus. Des offres de contrats pourront être publiées, équivalentes aux offres d’emploi d’hier. Des citoyens ayant acquis une certaine expérience pourront proposer que leur “service” consiste à... faire œuvre de sages citoyens en étudiant des propositions de contrats dans leur spécialité, en conseillant leurs auteurs, ou de sièger pendant une certaine période, ou pour certains types de propositions, dans un CES. On peut imaginer les contrats de chercheurs, dans tous les domaines de la science, de romanciers, d’artistes, de sportifs, qui, tous feront valoir leur compétence, et en apportant témoignage de leur talent ou de leur notoriété, pourront être de plus en plus exigents. Mais on peut douter qu’une assemblée démocratique vote l’attribution à l’un d’eux de revenus plusieurs millions de fois plus élevés que le revenu de base !
Le montant de ce revenu de base doit résulter d’un choix politique débattu à grande échelle, car on voit mal ce montant varier d’un village à l’autre. Il est probable qu’on décidera d’un pourcentage entre masse de base et masse contractuelle. Si l’Assemblée régionale estime que l’activité doit être stimulée, elle décide de diminuer la part des revenus de base (ou seulement celle des adultes) et de mettre plus dans les contrats pour stimuler des demandes d’activité. Elle peut inversement augmenter le revenu de base, si le rythme de l’activité est jugé bon. Il n’y a plus de course vers une croissance mythique, mais la recherche permanente d’un optimum. Enfin n’oublions pas les possibilités que nous apporte l’informatique. Les grandes places boursières ont mis au point des programmes fournir instantanément, à l’échelle de la planète, des indicateurs pertinents. Leur adaptation permettra les ajustements nécessaires des comptes.