La logique distributive
Publication : décembre 1996
Mise en ligne : 3 décembre 2005
L’économie distributive est rendue possible par les progrès des sciences et des techniques. Ce n’est pas pour autant une économie de gaspillage, car, faisant passer les intérêts humains avant les impératifs financiers, elle se développe dans le respect de l’environnement en gérant écologiquement les ressources naturelles et humaines.
Quand les équipements fonctionnent avec de moins en moins de travail humain, faire dépendre de ce travail les revenus des ménages, c’est les faire inexorablement diminuer.
L’économie distributive s’adapte au fait que la production peut croître avec les progrès des techniques qui font diminuer l’emploi nécessaire. Un siècle environ après la fin de l’esclavage, elle permet de mettre fin au salariat, ce qui correspond aux possibilités de notre époque.
Pour partager d’une part les richesses, et d’autre part les tâches nécessaires pour les produire, 3 propositions essentielles : |
– Le remplacement de la monnaie capitaliste par une monnaie gagée sur la production, ne permettant pas la spéculation ;
– La garantie d’un revenu suffisant pour vivre libre ;
– le service civil, pour assurer les tâches essentielles ;
Le partage des richesses et des tâches
Comment partager d’une part, les richesses, et d’autre part, les tâches qui restent nécessaires pour les produire ?
Pour cela, trois propositions :
1. Le partage des richesses s’effectue par la distribution d’un revenu, basé sur ces richesses, et auquel chacun a droit de sa naissance à sa mort : le revenu social.
2. Le partage des tâches est un devoir que chacun doit effectuer, selon ses goûts, ses compétences et ses aptitudes. On peut prévoir qu’il s’allègera au rythme des progrès scientifiques. À ce devoir, Jacques Duboin avait donné le nom de service social. 3. Pour réaliser l’équilibre entre production et consommation, la gestion distributive utilise une monnaie de consommation gagée sur la production. |
Les modalités de fonctionnement doivent pouvoir évoluer pour s’adapter à de nouveaux moyens, varier en fonction des besoins, voire même des régions, et les institutions nécessaires à leur mise en œuvre prendre différents aspects.
Quelles que soient ces modalités, les principes sur lesquels repose l’économie distributive ouvrent des perspectives qui sont diamétralement opposées aux effets pervers de l’organisation capitaliste. Il va de soi que ce sont les gens concernés qui auront à en décider, mais on peut en imaginer quelques aspects :
Un droit : le revenu social
L’attribution d’un revenu social à chacun dès sa naissance est la reconnaissance du fait que tout individu qui nait aujourd’hui arrive dans un monde où la richesse n’est plus exclusivement produite à la sueur du front des vivants actifs, mais grâce aux connaissances accumulées par toutes les générations précédentes, par des machines automatisées. Ce revenu social, c’est donc l’usufruit d’un patrimoine commun. Et c’est la fin à la misère. Ce revenu assure les ressources économiques suffisantes pour que chacun puisse s’épanouir selon ses aspirations et ses talents, pourvu, bien entendu, que cette liberté n’empiète ni sur celle d’autrui, ni sur celle des générations suivantes.
Un devoir : le partage du travail.
L’économie distributive permet la diminution de la durée légale du travail au rythme du développement de nouvelles technologies, ce mythe dont on parle aujourd’hui sans pouvoir le réaliser. Dans cette économie de partage, quand une entreprise s’automatise, elle contribue à la baisse du service civil. Et quand elle accroît ainsi sa production, elle accroît du même coup le pouvoir d’achat général. Il n’y a donc plus opposition entre l’intérêt des ménages et celui des entreprises. Le chômage n’est plus une catastrophe, c’est du temps libéré que chacun peut consacrer aux activités de son choix. La grande relève ne mène plus vers l’exclusion, elle devient, pour tous, une libération [1] du travail contraint.
Libération et non plus exclusion.
En se libérant ainsi de l’aliénation du travail de production, la société va pouvoir consacrer de plus en plus de son temps et de ses moyens aux activités qui lui permettent de se développer : l’éducation, la formation, la recherche, la santé, l’art. Dans ces conditions, le niveau général de la culture (et il ne s’agit pas là de culture "commerciale") ne peut que s’élever...
Aujourd’hui, dés l’enfance, les gens sont mis en condition pour “gagner”, pour “l’emporter” sur les autres. Ils deviennent ainsi agressifs et égoïstes. À cette compétition sauvage, parce qu’il faut être le premier quand il n’y a de place que pour le meilleur, l’économie des besoins substitue des relations conviviales, dans une société où chacun a sa place. L’éducation change alors complètement d’objectif. Il ne s’agit plus de former de jeunes loups, mais des hommes et des femmes équilibrés, que les éducateurs peuvent aider à se déterminer, à découvrir leurs dons et leurs aspirations. Et on peut miser sur la diversité de la nature humaine et sur les moyens modernes de formation pour être assuré que toute tâche nécessaire trouve les compétences qu’elle requiert.
création et destruction monétaires
La monnaie distributive n’est plus qu’un pouvoir d’achat de biens et de services. Seuls les organismes officiels sont habilités à créer la monnaie par alimentation des comptes, et en exécution de directives démocratiquement établies.
La masse monétaire émise pour une période donnée est l’équivalent des biens mis en vente dans la même période.
Elle est créée par alimentation de deux sortes de comptes : les comptes des entreprises et les comptes personnels. Les premiers servent aux entreprises pour acheter ce dont elles ont besoin pour produire. Les seconds permettent à tous de vivre librement.
Au fur et à mesure que ces comptes sont ainsi utilisés, les sommes correspondantes en sont retranchées, donc détruites.
Ainsi masse monétaire et production sont deux flux équivalents, créés et détruits au même rythme : la monnaie ne sert qu’à faire passer la production à la consommation.
La fin du secret en matière économique.
Il ne peut plus y avoir d’argent sale puisque la monnaie n’est plus anonyme et ne circule pas. C’est aussi la fin du secret dans toute l’économie, plus de brevets limitant l’accès des connaissances. C’est la fin des fortunes basées sur les trafics, comme celui de la drogue, des détournements de fonds et autres abus de biens sociaux tels que ceux qui défraient aujourd’hui la chronique.
La publicité mensongère n’a plus de raison d’être. Pousser à la consommation ne rapporte plus rien à personne.
Assurer la tâche dont on a pris la responsabilité n’est plus le moyen de s’enrichir au détriment des autres, voire au mépris de la santé et de l’environnement. C’est un devoir en échange de tout ce que la société nous apporte dès la naissance.
Et c’est ainsi que les hommes, et les femmes au même titre, pourront devenir les artisans de leur évolution, au lieu d’en laisser aveuglément le soin à “la main invisible du marché” et qu’ils pourront transformer les progrès de leurs savoir-faire en véritable progrès social.
[1] Titre d’un ouvrage de Jacques Duboin paru en 1937 chez Grasset, puis d’un journal "distributiste" qui a paru pendant plusieurs années.