Au fil des jours


par  J.-P. MON
Mise en ligne : 30 juin 2010

Hâtez-vous, … lentement !

Je viens de tomber par hasard sur une information qui date de 2005 et qui était titrée « La BCE part à l’attaque des États les plus déficitaires » ; voici les “bonnes résolutions” qui étaient annoncées : « Dans quelques semaines, la BCE sanctionnera indirectement les États négligents dans la tenue de leurs déficits. Elle va en effet différencier plus clairement les bons et les moins bons élèves en matière de dettes. En conséquence, les banques commerciales qui voudront que la BCE leur prête de l’argent ne pourront plus apporter en garantie les obligations des mauvais élèves. Concrètement, la Banque Centrale prévoit de différencier les dettes qu’elle considère risquées des dettes qui le sont moins, en définissant un critère de sélection des titres à partir de la notation de l’agence Standard & Poor’s. (Cette note illustre la santé des finances publiques d’un pays et sa capacité à rembourser ses dettes). En instaurant ce critère de sélection, la BCE met clairement la pression sur les États les plus mal notés, en l’occurrence la Grèce, l’Italie et le Portugal… » [1]

Il paraît qu’au sein du comité de la BCE qui a élaboré ce projet, les discussions ont été animées. Certains voulaient que la BCE délivre elle-même une note aux dettes des États de la zone euro, alors que d’autres estimaient que ceci reviendrait à attaquer frontalement les gouvernements peu vertueux et qu’il valait mieux s’appuyer sur un système de notation indépendant de la BCE et donc plus neutre (!?). D’autres encore estimaient que si le marché lui-même n’arrivait pas à faire la distinction, la BCE ne pourrait pas non plus la faire. On voit combien l’institution phare de l’Union Européenne et son président sont efficaces !

Les bons et les mauvais élèves

Un peu plus bas, dans la même page, un autre article avertissait « les finances publiques ont tendance à se dégrader » et donnait le classement (pardon : il faut dire le “rating” !) que faisait l’agence Standard and Poor’s de la solidité des pays de l’Euroland d’alors. En tête du classement, avec la note la plus élevée AAA, on trouvait l’Allemagne, la France, l’Irlande, les Pays-Bas, la Finlande, l’Autriche, le Luxembourg et l’Espagne. La Belgique suivait, notée AA+. Les mauvais élèves, l’Italie et le Portugal avaient AA. La Grèce avait, déjà, le bonnet d’âne avec la note A !

Si les mauvais sont restés mauvais, des parangons de vertus budgétaires comme l’Irlande ou l’Espagne ont rejoint les brebis galeuses. Et la France, qui n’a jamais été vertueuse en ce domaine, est en train de les rejoindre.

Mais, ne vous inquiétez pas, tout va s’arranger : la BCE envisage de fonder sa propre agence de notation !

Vieilles lunes

Dans Le Monde, un courrier des lecteurs de la rubrique Horizons « Comment financer les retraites » [2], F.Moreau écrit sous le titre « Taxer les machine ? » : « Le distributeur de billets qui permet d’effectuer de nombreuses opérations bancaires, ainsi que tous les robots installés dans les usines, qui permettent certes une amélioration de la rentabilité, ont le défaut de ne pas s’acquitter d’une charge qui pesait sur le travailleur et l’employeur, c’est-à-dire l’équivalent de la retraite payée par les employés et leurs employeurs. En résumé, l’évolution des techniques a eu pour conséquence un manque à gagner pour les retraites et, plutôt que de continuer à tourner en rond, ne serait-il pas plus utile d’envisager de taxer tout appareil qui permet de se passer de l’apport d’un travailleur ? »

C’est déjà ce que proposait Michel Bosquet, alias André Gorz, dans Le Nouvel Observateur du 23 mai 1977. Ce qui lui attira la réponse de M-L. Duboin dans la GR 744 de juin 1977 : « Pourquoi, M. Bosquet, ne proposez-vous pas à votre directeur de remplacer l’imprimerie du Nouvel Observateur par quelque centaines de milliers de copistes ? Si un seul quotidien suivait ce bel exemple, le problème du million de chômeurs serait résolu ! Mais est-ce bien là ce que vous appeliez plus haut, une efficacité supérieure des investissements ? ». On sait comment évolua par la suite la pensée d’André Gorz [3].

Taxer les machines se traduirait automatiquement par une augmentation des prix des services rendus. Or il existe bien d’autres possibilités pour financer les retraites. Mais il faut pour cela changer de système économique.

Un marché très très noir

« Aujourd’hui, l’Union Européenne demeure un espace où les capitaux et les services financiers s’échangent en toute liberté, sur des marchés de plus en plus fragmentés et qui, pour une part très substantielle, ne sont pas réellement contrôlés et opèrent en toute opacité. Un espace où l’on ne sait toujours pas précisément qui achète quoi, quand, combien de temps et avec quel argent, où l’application effective des règles communes diffère d’un État à l’autre, où les acteurs financiers se livrent une concurrence acharnée pour s’attacher par tous les moyens les meilleurs éléments, pour une utilité sociale qui reste à démontrer. Cette désorganisation de marchés profite aux très grands acteurs financiers, non aux épargnants et aux entrepreneurs. Or, le rôle du marché, c’est d’orienter l’épargne et les liquidités disponibles pour financer les entreprises, l’investissement, le développement économique » [4].

Le dangereux irresponsable qui tient ces propos n’est autre que… M. le Président de l’Autorité des Marchés Financiers, J-P. Jouyet, ancien Secrétaire d’État aux affaires européennes !


[1Le Monde, 11/11/2005.

[2Le Monde, 23-24/05/2010.

[3Numéro spécial de la GR, 1081, nov. 2007. “Trente ans de dialogue avec André Gorz”

[4Audition de M. Jouyet par la Commission des Affaires européennes, Assemblée nationale, 4 mai 2010.