Jusqu’où ira la vague néolibérale ???


par  J.-C. PICHOT
Publication : janvier 2000
Mise en ligne : 14 mai 2010

Loin de s’en prendre aux Lozériens, Jean-Claude Pichot prouve ici qu’on peut réfléchir, même aux problèmes économiques, sans pour autant perdre son humour.

Après la tentative avortée d’une nouvelle rencontre sur le ring de l’OMC, perdue aux poings par tous, avec un avant-goût de chaos, avant la fin du premier round, il m’a paru intéressant de dévoiler un problème que bien peu de Français soupçonnent : celui des parcmètres de Marvejols, Lozère !

En préambule, je précise aux Lozériens qui me liraient que je suis amoureux de leur magnifique pays où je passe tous mes étés, aux portes de l’Aubrac, et je leur demande d’avoir tout lu avant de se prononcer sur cette modeste étude qui n’a aucunement l’intention de montrer du doigt un département (j’allais dire un pays du sud, mais je suis trop marqué par cette opposition nord-sud chère à nos stratèges !) parfois considéré comme un oublié de l’Histoire, bien au contraire...

Les “services” sont, au même titre que l’agroalimentaire, et quelques autres sujets explosifs dont la santé, les nouveaux domaines économiques pris en compte pour les négociations de Seattle ; c’est pourquoi je me suis intéressé aux parkings des automobiles, dont tout le monde connaît la place prépondérante dans nos civilisations, car une voiture, c’est fait pour rouler, mais pas toujours… La gestion payante des parkings publics (oh ! pardon : des places de stationnement… ) a été instituée pour permettre aux propriétaires de véhicules de trouver des places de stationnement momentané en des lieux à l’origine réservés uniquement à la circulation. Il s’agit d’un problème typiquement urbain, et, si je me suis intéressé à la Lozère, c’est bien parce qu’on y trouve des villes. Sans réglementation ni régulation, il est bien évident que de nombreux visiteurs de nos cités, Paris, Mende ou autres, ne pourraient s’y arrêter aisément à cause des tentations de certains de monopoliser une partie du patrimoine commun que sont les rues ; en s’attaquant à l’anarchie (au mauvais sens du terme), le parcmètre est donc bien un vecteur majeur du progrès, même s’il se situe dans une économie de rareté (contrepartie de l’abondance des voitures)...

Cet instrument est vite devenu l’outil de base de cette régulation et le “marché” a permis aux industriels de nous proposer des beaux objets sophistiqués de type mobilier urbain, fabriqués en série, qui déparent moins que de nombreuses poubelles ! Un bienfait pour tous les usagers, qui peuvent désormais choisir leurs durées (jusqu’à certaines limites raisonnables, sinon à quoi serviraient-ils ?), qu’ils y mettent leur obole sous forme de pièces ou par l’intermédiaire de cartes à puces.

C’est là qu’intervient la réflexion économique. Finie l’époque des disques en carton offerts par les commerçants et des stationnements gratuits pouvant atteindre une heure et demie ; maintenant, il y a davantage de besoins et les mesures prises représentent un coût pour la communauté : quoi de plus normal que de demander à chacun d’y participer en fonction du service rendu ? Ce coût, il est facile de le connaître : achat du matériel, installation, entretien, etc., à partir desquels on peut calculer un coût de revient annuel en fonction du délai d’amortissement choisi par le maire ; sans oublier les tenues du personnel chargé d’en vérifier le bon usage et de verbaliser ceux qui ne respecteraient pas la règle.

Qu’il s’agisse de Marvejols ou de Paris (exemple choisi au hasard), le problème est le même ; ou à peu près, dans la mesure où les uniformes des “aubergines” des rues de la capitale ont été conçus par des grands couturiers, et que ces Messieurs doivent se faire payer à la hauteur de leur réputation.

Surprise : 2 heures (durée maximale) de stationnement dans certaines rues du 8ème arrondissement (de Paris) coûtent 30 F à l’automobiliste ordinaire, soit l0 fois plus qu’à la Porte Soubeyran de notre cité gabale, derrière la statue d’Henri IV, pour exactement le même service. Cela rappelle la disparité des impôts locaux en France, ou l’écart de prix entre les truffes noires et les cèpes frais ! Même sans connaître les tarifs des couturiers, on imagine mal que la différence vienne seulement de ce poste de dépense, ou alors… Il y a donc d’autres raisons, que je me suis efforcé d’identifier :

• l’erreur de calcul ? Ce serait très étonnant de la part de Lozériens autant que de Monsieur Tibéri !

• le poids de la concurrence ? Il y a effectivement à Paris des concurrents qui appartiennent au domaine privé, avec des parcs souterrains, coûteux à réaliser et à surveiller ; n’y aurait-il pas, alors, une dérive marchande de la mairie de la capitale, profitant de la situation pour faire du profit sur le dos des automobilistes (en quelque sorte, une nouvelle affaire à la mairie de Paris) ? Et à Marvejols, des espaces publics extra-muros, mais à quelques centaines de mètres seulement offrent des places gratuites en grand nombre ! Dans ces conditions, comment lutter ?

• une sorte de mépris pour l’usager ?

Je préfère naturellement la solution lozérienne (même à Mende, où le tarif est de 6 F au lieu de 3, mais il s’agit du chef-lieu du département, probablement avec des uniformes de meilleure qualité ou plus agréable à voir !), car elle est encore animée de l’esprit de service public. Je veux bien croire que la gestion des parcmètres de Marvejols (s’il y en a une) affiche un déficit couvert par les impôts locaux ! Notre obole serait, en quelque sorte, un ticket modérateur. Mais je commence à craindre pour l’avenir, surtout depuis l’échec de Seattle : après quelques grands organismes étatiques fournisseurs de services tels que les Télécommunications, des banques ou des assurances, ne verrons-nous pas bientôt arriver, sous l’égide de Bruxelles, une grande opération de privatisation des parcmètres municipaux, commençant par ceux de Paris, suivie d’offres publiques d’achat (OPA) sur ceux de province qui ont encore le front de résister à la vague néo-libérale actuelle en pratiquant des tarifs bas ? Monsieur le maire de Marvejols, faites attention : Jean Tibéri sera capable de bien plus de choses quand il aura franchi le cap !

Les capitaux étrangers peuvent un jour s’y mettre aussi. Bon, Marvejols n’a peut-être pas encore trop à craindre : on peut penser que les Américains s’intéresseront d’abord à Versailles ou aux châteaux de la Loire (en compétition avec les Japonais !), où la place disponible permettra à de grosses voitures de se garer à l’aise (emplacements au standard US) ; les Anglais au Mont Saint Michel et à Cherbourg (au fait : pourquoi Cherbourg ?), avec des standards UK correspondant à des véhicules moins longs ; et les Allemands de l’ex Allemagne de l’Est avec des cases pour ... Trabans ! Et nous n’aurons pas le droit de râler car nous serions taxés de protectionnisme !

Le problème des parcmètres, c’est que la concurrence de type libéral ne peut pas jouer efficacement son rôle : il est évident que garer sa voiture en Lozère pour aller visiter le Grand Trianon, ce ne serait pas bien commode ! Il n’empêche que, à défaut d’une gratuité généralisée que l’on voit mal venir, j’apprécierais que Marvejols conserve ses tarifs actuels, et qu’elle continue à assurer la gestion de ses stationnements publics : même si je n’y gare que très rarement ma voiture, elle resterait un exemple concret de bon sens et de résistance face à la mondialisation, dans un pays que j’apprécie particulièrement…