Manipulations aux Sommets
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Mise en ligne : 28 février 2010
Dans notre dernier numéro, qui était consacré au Sommet de Copenhague, nous avons souligné qu’alors que les responsables des États étaient supposés s’y réunir pour débattre avant de décider, en fait, les jeux étaient faits d’avance. Pour avoir été professionnellement bien placé pour observer de près d’autres “sommets”, Michel Muller en témoigne :
Des négociations dans la discrétion ; des discours solennels face à une assemblée de dirigeants du monde entier ; des organisations non gouvernementales associatives, officieuses ou “officielles” ; des groupes de pression (pseudonymes désignant les multinationales financières et autres) ; un ou plusieurs “contre-Sommets” ; des manifestations de rue avec leurs provocateurs infiltrés dont les agressions servent à brouiller la compréhension des véritables enjeux par des images spectaculaires de violences : un Sommet International.
Cet apparent rituel, qui a pris forme au cours des vingt dernières années, préside, à première vue, aux rencontres planétaires des Nations Unies, mais aussi à celles des plus puissants (G8, G20 etc.), OMC ou encore au récent Sommet de l’OTAN, qui fut révélateur de l’utilisation par la propagande officielle des provocations soigneusement protégées par la police...
Qui décide ? Et quelle est la portée des décisions ?
Les Sommets sont, avant tout, la tribune mondiale par excellence où, d’une manière ou d’une autre, les aspirations des peuples s’expriment… plus ou moins. Mais cette tribune est largement manipulée : les engagements pris (aide aux pays dits du “Sud”, désarmement, développement, diminution et suppression de la pauvreté, préservation de la planète, etc.) sont destinés la plupart du temps, et notamment par les puissants, à produire un effet d’annonce.
Ainsi, par exemple, les États-Unis ont approuvé le texte fondant les Droits de l’enfant lors de la Conférence sur l’enfance qui s’est tenue à New-York en 1992. Mais partant du principe que “rien” ne doit porter atteinte à la “souveraineté” US (en l’occurrence l’interdiction de recruter des enfants soldats de moins de 16 ans), le Congrès États-unien n’a toujours pas ratifié la Convention Internationale sur les droits des enfants.
À Vienne en 1993, à l’occasion de la Conférence mondiale sur les Droits de l’homme fondant le droit humain au développement, comme d’ailleurs lors de la Conférence mondiale de l’alimentation de 1996 à Rome, les États-Unis, tout en approuvant les résolutions finales, y ont ajouté des codicilles sous la forme de “non papiers” (terme conventionnel qui affirme, à la fois, que le document n’existe pas et qu’il faut tenir compte de son contenu) précisant qu’elles n’avaient, selon eux, aucun caractère contraignant. Les exemples de ce genre sont multiples, allant jusqu’à des situations où les États-Unis se retrouvent du même côté que les régimes les plus rétrogrades, notamment lorsqu’il s’agit d’affirmer le droit inaliénable des femmes à disposer d’elles-mêmes (IVG) comme au Caire en 1994 lors du Sommet sur la population et à Pékin en 1995 à l’occasion du Sommet sur les droits des femmes.
Dans le même temps, avec l’irruption du mouvement social dans le débat planétaire (écho et, à la fois, acteur des aspirations populaires), les forces dominantes ne sont plus à même de maîtriser intégralement à leur profit les aspirations des peuples.
L’échec à Seattle, en décembre 1999, de la conférence ministérielle de l’OMC (organisation que les grandes puissances du système capitaliste devenu universel veulent transformer en centre de la gestion du monde, avec son “directoire” G2, G7+1 ou G20) est révélateur d’un processus de rupture. Un an plus tôt, en France, après une bataille populaire acharnée, le gouvernement mettait fin à la participation de la France aux discussions de l’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI) [1]. Dans sa réponse du 14 octobre 1998 à un député du groupe communiste, le Premier ministre, Lionel Jospin, affirmait pourtant : « La France proposera à ses partenaires de reprendre les négociations sur les problèmes d’investissements sur des bases totalement nouvelles et dans un cadre associant les pays en voie de développement. Ce cadre, à nos yeux, est tout naturellement l’OMC, dont les modes de travail, l’approche progressiste et le caractère universel garantissent un examen sérieux et équilibré ».
Oui vous avez bien lu !
Le mouvement social, avec toutes ses limites (dont notamment le refus de l’engagement politique en tant que tel), avec les pays du Sud, victimes du mépris du “Nord,” a conduit à l’échec de Seattle. De la même manière, l’échec de Copenhague signe l’incapacité dans laquelle le système capitaliste dominant est tombé : les opinions publiques ont de moins en moins confiance (ce qui est tragique pour le développement d’une véritable démocratie participative planétaire) et, dans le même temps, les pouvoirs politiques se dévalorisent, pour autant que leurs démagogies humanistes ne soient plus crédibles.
Alors qu’en l’espace d’une soixantaine d’années, l’Organisation des Nations Unies est devenue le cadre incomparable de l’élaboration d’un puissant corpus mondial des droits des êtres humains, universellement reconnu par les opinions publiques, la véritable “communauté internationale”.
[1] Nos fidèles lecteurs se souviennent que nous avions lancé l’alerte à propos de ce “faux AMI” dès le numéro de mars 1998 (GR 975).